Sous-estimé par une grande majorité des gens au moment de sa parution, royalement ignoré par la critique de l'époque, Scraps at Midnight s'est installé confortablement dans les discothèques de bon goût, meilleur album de Mark Lanegan destiné paradoxalement à être éternellement mal aimé. Difficile de déterminer pourquoi, toujours est-il que si à l'aune des années 2000 Whiskey for the Holy Ghost (1994) sera redécouvert puis encensé par les amateurs des Queens Of The Stone Age, et si Field Songs obtiendra un joli succès d'estime... Scraps at Midnight, pour sa part, reste aujourd'hui encore dans l'ombre - un comble pour un album aussi lumineux.
Car c'est bien entendu son singulier apaisement qui fait du second volet de cette trilogie folk/blues imaginaire (*) (que le plus électrique Bubblegum semble avoir définitivement enterrée) un album essentiel du loup-garou d'Ellensburg, suite parfaite aux tendances suicidaires de Whiskey... et prélude idéal au libérateur Field Songs. Sans doute la présence au générique de Mike Johnson (bassiste de Dinosaur Jr dont on ne saurait trop vous recommander les albums solo - l'excellent Year of Mondays en tête), qui produit et co-signe la moitié des morceaux, n'est-telle pas pour rien dans la luxuriance d'un « Because of This » ; néanmoins c'est réellement l'état d'esprit du chanteur qui marque lorsque celui-ci se répercute sur l'atmosphère. Point de comptines macabres à la « Mockinbirds » ici, mais d'étranges ballades contemplatives (« Wheels », « Last One in the World »), une folk planante du plus bel effet (« Day & Night », qui préfigure étrangement les travaux de Tue-Loup) distillée au gré d'un album à la construction volontairement décroissante. Soit donc, pour être plus clair, un disque s'ouvrant sur le chaotique « Hospital Roll Call » et son grondement menaçant, enchaînant avec l'hazlewoodien en diable (= très entraînant) « Hotel », baissant d'un ton (et d'un temps) pour le délicieux « Stay »... et ainsi de suite, s'enfonçant progressivement dans la torpeur mélancolique qui caractérisera également Field Songs trois ans plus tard. De plus en plus lent et lascif au fil des plages, de plus en plus crépusculaire aussi sans doute... et ici le concept de trilogie évoqué plus haut prend-il tout sens, Fields Songs obéissant précisément au schéma inverse (il s'ouvre dans la noirceur la plus total pour avancer vers la rédemption). Soit : on a au mieux affaire à un dyptique dans lequel s'insère finalement assez mal Whiskey For The Holy Ghost. Il n'empêche qu'il demeure troublant de constater comme ces trois albums, loin de se répéter, se répondent en permanence (« Praying Ground » faisant par exemple figure d'introduction au « Miracle Song » de 2001).
Quoiqu'il en soit il sera difficile de résister à la séduction de cet album, qui demeure à ce jour le plus « accessible » de son auteur. Savoir qu'il s'en est à peine écoulé quelques milliers d'exemplaires à l'époque laisse profondément songeur, idem pour ces réflexions insupportables - et de plus en plus répandues depuis qu'il est devenu prolifique - relativisant sans cesse la qualité des albums solos du bonhomme. Il est bien entendu que Mark Lanegan est un interprète remarquable, de même qu'il est évident que les plus belles chansons sur lesquelles il ait posé sa voix ne sont pas nécessairement sur ses propres disques (on pense « This Lullaby » sur le Lullabies to Paralyze des Queens Of The Stone Age, ou à « Seafaring Song » sur le récent Sunday at Devil Dirt). L'idée selon laquelle il serait en contrepartie un piètre compositeur est en revanche totalement fausse et cruellement injuste - comme si un songwriter pouvait être réduit à la liste de ses amis ! Que ceux qui en doutent jettent une oreille sur cet album sensuel et distingué, peuplé d'anges et de fantômes... et qu'ils viennent nous dire après sur quel opus des Queens Of The Stone Age on trouve des blues du calibre de « Hotel » ou des titres aussi poignants que « Stay »...
(*) The Winding Sheet ne compte pas, d'abord parce qu'il est plus sombre, ensuite parce qu'il était envisagé comme un projet parallèle aux Screaming Trees et enfin tout simplement parce qu'il est moins bons que les trois chefs-d'œuvre à venir
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Car c'est bien entendu son singulier apaisement qui fait du second volet de cette trilogie folk/blues imaginaire (*) (que le plus électrique Bubblegum semble avoir définitivement enterrée) un album essentiel du loup-garou d'Ellensburg, suite parfaite aux tendances suicidaires de Whiskey... et prélude idéal au libérateur Field Songs. Sans doute la présence au générique de Mike Johnson (bassiste de Dinosaur Jr dont on ne saurait trop vous recommander les albums solo - l'excellent Year of Mondays en tête), qui produit et co-signe la moitié des morceaux, n'est-telle pas pour rien dans la luxuriance d'un « Because of This » ; néanmoins c'est réellement l'état d'esprit du chanteur qui marque lorsque celui-ci se répercute sur l'atmosphère. Point de comptines macabres à la « Mockinbirds » ici, mais d'étranges ballades contemplatives (« Wheels », « Last One in the World »), une folk planante du plus bel effet (« Day & Night », qui préfigure étrangement les travaux de Tue-Loup) distillée au gré d'un album à la construction volontairement décroissante. Soit donc, pour être plus clair, un disque s'ouvrant sur le chaotique « Hospital Roll Call » et son grondement menaçant, enchaînant avec l'hazlewoodien en diable (= très entraînant) « Hotel », baissant d'un ton (et d'un temps) pour le délicieux « Stay »... et ainsi de suite, s'enfonçant progressivement dans la torpeur mélancolique qui caractérisera également Field Songs trois ans plus tard. De plus en plus lent et lascif au fil des plages, de plus en plus crépusculaire aussi sans doute... et ici le concept de trilogie évoqué plus haut prend-il tout sens, Fields Songs obéissant précisément au schéma inverse (il s'ouvre dans la noirceur la plus total pour avancer vers la rédemption). Soit : on a au mieux affaire à un dyptique dans lequel s'insère finalement assez mal Whiskey For The Holy Ghost. Il n'empêche qu'il demeure troublant de constater comme ces trois albums, loin de se répéter, se répondent en permanence (« Praying Ground » faisant par exemple figure d'introduction au « Miracle Song » de 2001).
Quoiqu'il en soit il sera difficile de résister à la séduction de cet album, qui demeure à ce jour le plus « accessible » de son auteur. Savoir qu'il s'en est à peine écoulé quelques milliers d'exemplaires à l'époque laisse profondément songeur, idem pour ces réflexions insupportables - et de plus en plus répandues depuis qu'il est devenu prolifique - relativisant sans cesse la qualité des albums solos du bonhomme. Il est bien entendu que Mark Lanegan est un interprète remarquable, de même qu'il est évident que les plus belles chansons sur lesquelles il ait posé sa voix ne sont pas nécessairement sur ses propres disques (on pense « This Lullaby » sur le Lullabies to Paralyze des Queens Of The Stone Age, ou à « Seafaring Song » sur le récent Sunday at Devil Dirt). L'idée selon laquelle il serait en contrepartie un piètre compositeur est en revanche totalement fausse et cruellement injuste - comme si un songwriter pouvait être réduit à la liste de ses amis ! Que ceux qui en doutent jettent une oreille sur cet album sensuel et distingué, peuplé d'anges et de fantômes... et qu'ils viennent nous dire après sur quel opus des Queens Of The Stone Age on trouve des blues du calibre de « Hotel » ou des titres aussi poignants que « Stay »...
👑 Scraps at Midnight
Mark Lanegan | Sub Pop, 1998
(*) The Winding Sheet ne compte pas, d'abord parce qu'il est plus sombre, ensuite parce qu'il était envisagé comme un projet parallèle aux Screaming Trees et enfin tout simplement parce qu'il est moins bons que les trois chefs-d'œuvre à venir
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