Si les expérimentations littéraires ne font pas toujours les grands livres, Les Vingt-et-un jours d'un neurasthénique demeure à ce jour l'une des rares exceptions qui confirment la règle. Parce qu'Octave Mirbeau détestait cette institution souvent rigide qu'est le roman réaliste traditionnel (autrement dit le roman romanesque tel qu'on le pratiquait à l'époque... et encore aujourd'hui) il n'eut de cesse de lui mettre des coups de canifs de plus en plus violents au fur et à mesure qu'avançait sa bibliographie... rêvant on l'imagine d'en être un jour le fossoyeur (s'il savait le pauvre que c'est aujourd'hui encore le Genre Littéraire Roi !).Ainsi se livre t'-il dans ce roman bigarré à un exercice de recyclage pour le moins inédit, prenant pour base plusieurs de ses contes publiés dans différents endroits et à différentes époques, ajoutant un narrateur aux airs de Monsieur Loyal (le neurasthénique du titre) pour servir de liant, et secouant le tout en vue d'obtenir un résultat probant. Octave Mirbeau - inventeur du cut-up ? L'idée semblera excessive ; une chose est sûre en revanche c'est que dans ces Vingt-et-un jour d'un neurasthénique l'auteur du Jardin des supplices invente le roman-chronique soixante-dix ans avant l'heure. Et tandis que ses contemporains s'adonnent à des compilations hétéroclites en vue de publications de contes et chroniques aux fins bien peu artistiques, Mirbeau découvre les joies du bricolage, des châteaux de cartes et de l'assemblage de bouts de ficelles. Le résultat est assez fascinant et l'est d'autant plus lorsqu'on a bien en mémoire ces contes publiés tels quels au sein de la somme rétrospective des Contes cruels (je vous renvoie d'ailleurs à mon billet sur ce livre pour plus ample informé sur le contenu). Non pas tant parce que le travail de l'auteur est stupéfiant... mais justement parce qu'on s'aperçoit avec étonnement que finalement Mirbeau n'a quasiment pas touché au texte, se contentant de le modeler selon une suite narrative aussi branlante que fluide et délicieuse à parcourir. Sacré auteur, tout de même : même la structure de ses livres est ironique ! Ici, c'est en assumant le côté hétéroclite de son entreprise qu'il parvient à créer une cohésion. Les auteurs contemporains, qui n'aiment rien tant que compiler leurs nouvelles de la dernière décennie sans le moindre souci de suivi ni de cohérence, auraient une fois encore beaucoup à apprendre d'une (re)lecture de Mirbeau...
A noter pour conclure que, bien entendu, Les Vingt-et-un jours d'un neurasthénique peuvent parfaitement s'apprécier tels qu'en eux-mêmes. En l'occurrence cette courte non-critique est on ne peut plus accidentelle : je les ai relus quelques mois après avoir relu les Contes cruels... et j'avais complètement oublié la manière dont ils se composaient !
👑 Les Vingt-et-un jours d'un neurasthénique
Octave Mirbeau | Bibliothèque Charpentier, 1901
