Le chroniqueur (au lecteur du Golb) :
Mon cher, mon tendre, mon fidèle ami,
Tu me demandes souvent, dans tes commentaires ou dans tes mails, ce que je pense de tout ça - la vérité. La réalité. La fiction. De ces notions nous parlons souvent, et j'ai beau répéter qu'en littérature vérité et réalité n'ont aucun sens... je n'en parle pas moins. Malgré tout.
Aujourd'hui je vais te donner une astuce pour parvenir à identifier un livre fictif du début à la fin. Si l'auteur(e) écrit en première page :
« Ceci est une histoire vraie, je vous le jure. Oh, j'ai changé les noms, bien sûr ; j'ai changé les lieux, l'époque, les métiers, les dialogues, l'ordre des événements et leur signification ; et pourtant, tout ce que je vais vous raconter est vrai. »
... tu peux être sûr à cent pour cent qu'il faut comprendre le contraire. Méfie-toi (je te l'ai souvent dit) des auteurs prétendant écrire des choses vraies. Il arrive qu'il s'agisse de crétins n'ayant rien compris à la littérature (peut-on même, d'ailleurs, les appeler « auteurs » ?) ; le plus souvent ceci dit ce sont des artistes machiavéliques prenant un malin plaisir à brouiller toutes les pistes.
C'est évidemment le cas de Nancy Huston. D'ailleurs son adresse au lecteur n'en est pas une : dans ce roman sans narrateur (ce qui a au moins le mérite d'évacuer une question antédiluvienne... pour en poser mille autres) la romancière est un personnage au même titre que les autres - quelle surprise de la part d'une auteure qui n'a eu de cesse de remettre en cause ce concept (Cf. au hasard Instrument des ténèbres).
Polyphonique, « Une adoration » est construit comme une pièce de théâtre sans décor et sans didascalies, une pièce de théâtre mentale à laquelle l'auteure (ou la Romancière, ou Nancy Huston ou la personne se présentant comme telle) a donné la forme bigarrée d'un procès détourné.
Cosmo est mort. Chacun vient à la barre raconter l'histoire de sa relation avec lui, tentant de se disculper du mieux possible et énonçant nombre de secrets de polichinelles qui ne manqueront pas de te désarçonner. Tout ça pour ça ? diras-tu... tout ça pour ça, oui : je conviens que l'intrigue d' « Une adoration » n'est pas des plus captivantes - elle pourra même te sembler plutôt convenue. C'est que comme souvent chez Huston il faut voir au-delà de l'intrigue, au-delà même des personnages : la construction millimétrée du roman n'est pas uniquement sa forme mais également son fond (d'où bien sûr l'insertion de la Romancière en personne dans la polyphonie), son être et sa raison d'être. Soit donc, chaque témoigange mis bout à bout, l'improbable portrait en creux d'un personnage (évidemment) bien plus complexe qu'il y paraît de prime abord. Qui loin de se révéler au fil des pages ne fait qu'apparaître de plus en plus insaississable - sinon incompréhensible. La faute à l'absence d'exposition digne de ce nom, qui aurait jeté les bases sur lesquelles chaque instrument aurait pu venir s'épancher... ? C'est possible... la mécanique tourne du coup un peu à vide par moment : tu es le seul juge, toi le lecteur, mais tout est fait pour que tu sois dans l'incapacité de trancher. Alors s'il n'y a guère d'exposition reconnaissons à l'auteure le mérite de la cohérence : il n'y a pas plus de conclusion.
Pourtant je t'assure que tu aurais tort, mon cher ami, de ne pas t'attarder sur ce roman singulier : la diversion est aussi un art, dans les romans et plus encore dans les procès. Celles de Nancy Huston sont bien entendu marquées du sceau d'une écriture à la splendeur poétique et par quelques unes de ces réflexions fulgurantes dont elle a le secret. Tu auras donc bien du mal, crois-moi, à ne pas traverser ce texte complètement fasciné - quand bien même tu seras conscient de ses faiblesses et de ses carences...
Mon cher, mon tendre, mon fidèle ami,
Tu me demandes souvent, dans tes commentaires ou dans tes mails, ce que je pense de tout ça - la vérité. La réalité. La fiction. De ces notions nous parlons souvent, et j'ai beau répéter qu'en littérature vérité et réalité n'ont aucun sens... je n'en parle pas moins. Malgré tout.
Aujourd'hui je vais te donner une astuce pour parvenir à identifier un livre fictif du début à la fin. Si l'auteur(e) écrit en première page :
« Ceci est une histoire vraie, je vous le jure. Oh, j'ai changé les noms, bien sûr ; j'ai changé les lieux, l'époque, les métiers, les dialogues, l'ordre des événements et leur signification ; et pourtant, tout ce que je vais vous raconter est vrai. »
... tu peux être sûr à cent pour cent qu'il faut comprendre le contraire. Méfie-toi (je te l'ai souvent dit) des auteurs prétendant écrire des choses vraies. Il arrive qu'il s'agisse de crétins n'ayant rien compris à la littérature (peut-on même, d'ailleurs, les appeler « auteurs » ?) ; le plus souvent ceci dit ce sont des artistes machiavéliques prenant un malin plaisir à brouiller toutes les pistes.
C'est évidemment le cas de Nancy Huston. D'ailleurs son adresse au lecteur n'en est pas une : dans ce roman sans narrateur (ce qui a au moins le mérite d'évacuer une question antédiluvienne... pour en poser mille autres) la romancière est un personnage au même titre que les autres - quelle surprise de la part d'une auteure qui n'a eu de cesse de remettre en cause ce concept (Cf. au hasard Instrument des ténèbres).
Polyphonique, « Une adoration » est construit comme une pièce de théâtre sans décor et sans didascalies, une pièce de théâtre mentale à laquelle l'auteure (ou la Romancière, ou Nancy Huston ou la personne se présentant comme telle) a donné la forme bigarrée d'un procès détourné.
Cosmo est mort. Chacun vient à la barre raconter l'histoire de sa relation avec lui, tentant de se disculper du mieux possible et énonçant nombre de secrets de polichinelles qui ne manqueront pas de te désarçonner. Tout ça pour ça ? diras-tu... tout ça pour ça, oui : je conviens que l'intrigue d' « Une adoration » n'est pas des plus captivantes - elle pourra même te sembler plutôt convenue. C'est que comme souvent chez Huston il faut voir au-delà de l'intrigue, au-delà même des personnages : la construction millimétrée du roman n'est pas uniquement sa forme mais également son fond (d'où bien sûr l'insertion de la Romancière en personne dans la polyphonie), son être et sa raison d'être. Soit donc, chaque témoigange mis bout à bout, l'improbable portrait en creux d'un personnage (évidemment) bien plus complexe qu'il y paraît de prime abord. Qui loin de se révéler au fil des pages ne fait qu'apparaître de plus en plus insaississable - sinon incompréhensible. La faute à l'absence d'exposition digne de ce nom, qui aurait jeté les bases sur lesquelles chaque instrument aurait pu venir s'épancher... ? C'est possible... la mécanique tourne du coup un peu à vide par moment : tu es le seul juge, toi le lecteur, mais tout est fait pour que tu sois dans l'incapacité de trancher. Alors s'il n'y a guère d'exposition reconnaissons à l'auteure le mérite de la cohérence : il n'y a pas plus de conclusion.
Pourtant je t'assure que tu aurais tort, mon cher ami, de ne pas t'attarder sur ce roman singulier : la diversion est aussi un art, dans les romans et plus encore dans les procès. Celles de Nancy Huston sont bien entendu marquées du sceau d'une écriture à la splendeur poétique et par quelques unes de ces réflexions fulgurantes dont elle a le secret. Tu auras donc bien du mal, crois-moi, à ne pas traverser ce texte complètement fasciné - quand bien même tu seras conscient de ses faiblesses et de ses carences...
👍 Une adoration
Nancy Huston | Actes Sud, 2003