...
Il a joué dans l’un des plus fameux groupes de la décennie mais personne ne connaît sa tête – encore moins son patronyme. Il a le charisme d’une huître, un groupe pourvu d’un nom ridicule et un look qui ferait passer Chris Martin pour un dangereux excentrique. Et pourtant : John Hassal vient, l’air de rien, de publier le disque classe, fun et incontournable de ce morne été 2008.
Récapitulons : des trois entités nées presque simultanément des cendres encore brûlantes des Libertines, Yeti fut longtemps la plus mystérieuse et de loin la plus discrète – rien d’étonnant de la part d’un type aussi peu enclin à faire des vagues que le sympathique John Hassal. Ainsi tandis que Pete Doherty d’un côté (Babyshambles), Carl Barat et Gary Powell de l’autre (Dirty Pretty Things), se prenaient les pieds dans le tapis de la hype, se jetaient dans des tournées interminables (et souvent décevantes), et publiaient à toute allure des albums parfois inégaux, Hassal prenait-il son temps – ne livrant en tout et pour tout qu’une poignée de singles pub-rock somme toute assez éloignés de ce premier opus. Bien lui en a pris, sans aucun doute ; les groupes de rock, dans le fond, sont comme n’importe quel collectif : pour être performants ils ont besoin d’accumuler ce vécu commun qui de toute évidence manque cruellement à un Babyshambles (vulgaire assemblage de bras cassés autour d’un leader incontrôlable). Durant trois années de galères en tout genre, de changements de line-up, de concerts dans des clubs microscopiques loin de la jet-set rock et de singles underground, Yeti a souffert, failli se disloquer à deux ou trois reprises… mais apparaît aujourd’hui comme un groupe infiniment plus cohérent que les deux autres excroissances libertines. Logique, somme toute : quand Doherty et Barat profitaient d’une aura acquise au gré de deux albums communs faisant déjà figure de classiques (Up the Bracket! et The Libertines) Hassal, pour sa part, restait dans l’ombre… et Yeti de vivre, finalement, la trajectoire normale de n’importe quel petit groupe pop anglais aspirant au succès et à la reconnaissance.
Ce nécessaire rappel effectué, merci à présent d’oublier tout ce qu’on vient de vous raconter.
Vous avez bien lu : oubliez tout ce qui concerne les Libertines, le contexte, le passé (du moins : ce passé-là). Essayez dans la mesure du possible de poser cet album sur votre platine en étant vierge de tout a priori – vous n’avez de toute façon pas tellement le choix. Car ici s’arrêtent les trajectoires communes : doux euphémisme que de dire que Hassal et son nouvel alter ego Mark Underwood tissent leur propre univers, à des années-lumière de la power-pop/punk des Libertines. A aucun moment The Legend of Yeti Gonzales n’évoque les Londoniens cultes, même pas le temps d’une petit note, d’un pont, d’une ligne de refrain… rien de rien ! Si les premiers opus de Babyshambles ou de DPT étaient à n’en pas douter la suite d’une œuvre entamée en 2002, The Legend of Yeti Gonzales est incontestablement le premier album d’un nouvel artiste ne manquant ni de finesse ni de talent, et dont tous ceux – nombreux – n’ayant jamais entendu les premiers singles découvriront médusés l’art mélodique et l’amour de la pop sixties. Les Libertines disaient Clash, Smiths et Heartbreakers ? Yeti répond Byrds, Love, Kinks et Marc Bolan période Tyranosaurus Rex. Autrement dit : les mélodies sont aériennes, les atmosphères radieuses et les arrangements – à dominante acoustique – luxuriants. Entre Americana et Swingin’ London, pas question de choisir : les amateurs de Bob Dylan & The Band goûteront sans déplaisir "Can’t Pretend" ; ceux des Beatles era 1965 fondront à coup sûr devant la sublime "Never Lose Your Sense of Wonder" – typiquement le genre de morceau qui diffusé au petit déjeuner illuminera le reste de votre journée.
Entêtantes et émouvantes juste ce qu’il faut, les compositions de Yeti séduisent aussi (surtout ?) parce qu’elles nagent complètement à contre-courant des modes soniques d’aujourd’hui, et s’attaquent à une période de la musique pop (en gros la fin 60’s / début 70’s) encore peu abîmée par les revivals successifs. Difficile en effet de trouver des groupes contemporains s’inscrivant dans cette lignée, The Coral (en plus sombre) et Kula Shaker (en plus déjanté) mis à part. Au mieux pourrait-on rapprocher le groovy "Midnight Flight" du récent album de Vincent Vincent & The Villains… à ceci près toutefois que la musique de Yeti révèle autrement plus d’épaisseur, de fêlures, et que l’album affiche une cohésion bien au-dessus de la sucrerie susnommée. De l’insouciance, certes… mais aussi une capacité rare à embarquer l’auditeur ("Jermyn Girls"), un côté road-trip particulièrement séduisant ("In Like with You") et une urgence dans les titres les plus rockabilly ("The Last Time that You Go") qui font de The Legend of Yeti Gonzales un peu plus qu’un disque sympa pour la plage : une de ces très jolies pièces d’orfèvrerie pop, comme on en croise de moins en moins depuis que la musique est devenue un produit de consommation courante.
Reste qu’on peut légitimement s’inquiéter de savoir si Yeti parviendra à trouver des auditeurs. Ne pas ressembler aux Libertines étant, de ce point de vue, à la fois sa principale qualité et son plus gros défaut : The Legend of Yeti Gonzales, en faisant fi du romantisme urbain et adolescent qui fit connaître Hassal, pourrait tout à fait attirer à ses auteurs un public très différent de celui des Libertines, sans doute plus cultivé et volontiers plus âgé. Il serait même susceptible de plaire à des gens détestant l’ex groupe des tonitruants Pete Doherty et Carl Barat. L’écouteront-ils ? C’est tout le problème : à l’instar de Krist Novoselic après Nirvana, Hassal, même méconnu et planqué au fond d’un authentique collectif, restera ad vitam aeternam « le bassiste de ce groupe-là ». Si rien ne prouve que Yeti ne sera pas victime des préjugés des vieux rockers détestant les Libertines, rien n’indique non plus que les fans desdits Libertines soient susceptibles de l’aimer – ils n’y retrouveront en tout cas rien de ce qu’ils aimaient chez leurs idoles. On ne peut que souhaiter ardemment que les uns comme les autres parviennent à dépasser leurs a priori, tant ce premier album de Yeti mérite mieux que l’accueil poli qu’il reçoit depuis quelques semaines…
Il a joué dans l’un des plus fameux groupes de la décennie mais personne ne connaît sa tête – encore moins son patronyme. Il a le charisme d’une huître, un groupe pourvu d’un nom ridicule et un look qui ferait passer Chris Martin pour un dangereux excentrique. Et pourtant : John Hassal vient, l’air de rien, de publier le disque classe, fun et incontournable de ce morne été 2008.
Récapitulons : des trois entités nées presque simultanément des cendres encore brûlantes des Libertines, Yeti fut longtemps la plus mystérieuse et de loin la plus discrète – rien d’étonnant de la part d’un type aussi peu enclin à faire des vagues que le sympathique John Hassal. Ainsi tandis que Pete Doherty d’un côté (Babyshambles), Carl Barat et Gary Powell de l’autre (Dirty Pretty Things), se prenaient les pieds dans le tapis de la hype, se jetaient dans des tournées interminables (et souvent décevantes), et publiaient à toute allure des albums parfois inégaux, Hassal prenait-il son temps – ne livrant en tout et pour tout qu’une poignée de singles pub-rock somme toute assez éloignés de ce premier opus. Bien lui en a pris, sans aucun doute ; les groupes de rock, dans le fond, sont comme n’importe quel collectif : pour être performants ils ont besoin d’accumuler ce vécu commun qui de toute évidence manque cruellement à un Babyshambles (vulgaire assemblage de bras cassés autour d’un leader incontrôlable). Durant trois années de galères en tout genre, de changements de line-up, de concerts dans des clubs microscopiques loin de la jet-set rock et de singles underground, Yeti a souffert, failli se disloquer à deux ou trois reprises… mais apparaît aujourd’hui comme un groupe infiniment plus cohérent que les deux autres excroissances libertines. Logique, somme toute : quand Doherty et Barat profitaient d’une aura acquise au gré de deux albums communs faisant déjà figure de classiques (Up the Bracket! et The Libertines) Hassal, pour sa part, restait dans l’ombre… et Yeti de vivre, finalement, la trajectoire normale de n’importe quel petit groupe pop anglais aspirant au succès et à la reconnaissance.
Ce nécessaire rappel effectué, merci à présent d’oublier tout ce qu’on vient de vous raconter.
Vous avez bien lu : oubliez tout ce qui concerne les Libertines, le contexte, le passé (du moins : ce passé-là). Essayez dans la mesure du possible de poser cet album sur votre platine en étant vierge de tout a priori – vous n’avez de toute façon pas tellement le choix. Car ici s’arrêtent les trajectoires communes : doux euphémisme que de dire que Hassal et son nouvel alter ego Mark Underwood tissent leur propre univers, à des années-lumière de la power-pop/punk des Libertines. A aucun moment The Legend of Yeti Gonzales n’évoque les Londoniens cultes, même pas le temps d’une petit note, d’un pont, d’une ligne de refrain… rien de rien ! Si les premiers opus de Babyshambles ou de DPT étaient à n’en pas douter la suite d’une œuvre entamée en 2002, The Legend of Yeti Gonzales est incontestablement le premier album d’un nouvel artiste ne manquant ni de finesse ni de talent, et dont tous ceux – nombreux – n’ayant jamais entendu les premiers singles découvriront médusés l’art mélodique et l’amour de la pop sixties. Les Libertines disaient Clash, Smiths et Heartbreakers ? Yeti répond Byrds, Love, Kinks et Marc Bolan période Tyranosaurus Rex. Autrement dit : les mélodies sont aériennes, les atmosphères radieuses et les arrangements – à dominante acoustique – luxuriants. Entre Americana et Swingin’ London, pas question de choisir : les amateurs de Bob Dylan & The Band goûteront sans déplaisir "Can’t Pretend" ; ceux des Beatles era 1965 fondront à coup sûr devant la sublime "Never Lose Your Sense of Wonder" – typiquement le genre de morceau qui diffusé au petit déjeuner illuminera le reste de votre journée.
Entêtantes et émouvantes juste ce qu’il faut, les compositions de Yeti séduisent aussi (surtout ?) parce qu’elles nagent complètement à contre-courant des modes soniques d’aujourd’hui, et s’attaquent à une période de la musique pop (en gros la fin 60’s / début 70’s) encore peu abîmée par les revivals successifs. Difficile en effet de trouver des groupes contemporains s’inscrivant dans cette lignée, The Coral (en plus sombre) et Kula Shaker (en plus déjanté) mis à part. Au mieux pourrait-on rapprocher le groovy "Midnight Flight" du récent album de Vincent Vincent & The Villains… à ceci près toutefois que la musique de Yeti révèle autrement plus d’épaisseur, de fêlures, et que l’album affiche une cohésion bien au-dessus de la sucrerie susnommée. De l’insouciance, certes… mais aussi une capacité rare à embarquer l’auditeur ("Jermyn Girls"), un côté road-trip particulièrement séduisant ("In Like with You") et une urgence dans les titres les plus rockabilly ("The Last Time that You Go") qui font de The Legend of Yeti Gonzales un peu plus qu’un disque sympa pour la plage : une de ces très jolies pièces d’orfèvrerie pop, comme on en croise de moins en moins depuis que la musique est devenue un produit de consommation courante.
Reste qu’on peut légitimement s’inquiéter de savoir si Yeti parviendra à trouver des auditeurs. Ne pas ressembler aux Libertines étant, de ce point de vue, à la fois sa principale qualité et son plus gros défaut : The Legend of Yeti Gonzales, en faisant fi du romantisme urbain et adolescent qui fit connaître Hassal, pourrait tout à fait attirer à ses auteurs un public très différent de celui des Libertines, sans doute plus cultivé et volontiers plus âgé. Il serait même susceptible de plaire à des gens détestant l’ex groupe des tonitruants Pete Doherty et Carl Barat. L’écouteront-ils ? C’est tout le problème : à l’instar de Krist Novoselic après Nirvana, Hassal, même méconnu et planqué au fond d’un authentique collectif, restera ad vitam aeternam « le bassiste de ce groupe-là ». Si rien ne prouve que Yeti ne sera pas victime des préjugés des vieux rockers détestant les Libertines, rien n’indique non plus que les fans desdits Libertines soient susceptibles de l’aimer – ils n’y retrouveront en tout cas rien de ce qu’ils aimaient chez leurs idoles. On ne peut que souhaiter ardemment que les uns comme les autres parviennent à dépasser leurs a priori, tant ce premier album de Yeti mérite mieux que l’accueil poli qu’il reçoit depuis quelques semaines…
👍👍👍 The Legend of Yeti Gonzales
Yeti | Get up & Go, 2008