[Mes disque à moi (et rien qu'à moi) - Hors-série N°3]
Nimrod - Green Day (1997)
La honte en matière de musique a quelque chose de désespérément relatif puisqu'elle se mesure avant tout non pas à la qualité intrinsèque de son objet... mais bien à l'égo de celui qui la ressent. Ce qui rend toute entreprise de type Rock'n'Roll Hall of Shame caduque à peu près cinq minutes après qu'on en ait établi la définition. S'il peut arriver que l'on regrette d'avoir aimé quelque chose durant sa jeunesse (Metallica pour G.T., U2 pour votre serviteur...), si les années de formations musicales sont presqu'autant pavées de chausse-trapes que l'Enfer de bonnes intentions... croisera-t-on beaucoup de gens, dans la blogosphère, pour avoir littéralement honte de leurs goûts ? Ce n'est pas à l'auteur du célèbre "Je suis une midinette" (je dis célèbre parce que c'est de loin l'article le plus consulté depuis la création du Golb) que l'on fera gober pareille bêtise. Oui, j'aime même les derniers albums de Placebo. Oui, je trouve que l'album Debbie, de Saez, est vachement chouette. Oui, je suis fan de Dream Theater. En ai-je honte ? Bien au contraire : j'ai prouvé au cours de ces trois (deux et demi) années de blogging que non seulement j'assumais mais qu'en plus je pouvais argumenter à l'infini sur ces sujets. Justement parce que je n'ai pas honte, c'est vous dire si j'ai hésité longuement avant de participer à ce qui n'est rien d'autre qu'une mascarade automnale organisée par un maître de cérémonie en mal de reconnaissance blog-rankienne.
J'ai choisi Nimrod, ce qui n'aura rien d'une révélation vu que je n'ai jamais caché un penchant absolument pas coupable pour Green Day. Pire encore : je considère Green Day comme bien plus qu'un simple divertissement que je m'autorise en cachette - mais comme un groupe de grande classe dont je guette chaque nouvelle sortie avec impatience. Peut-on faire pire encore ? Aucun problème : figurez-vous qu'à la grande époque de leur succès (époque qui pour les gens de ma génération est évidemment celle de 1994-95, Dookie, Insomniac et "Basket Case" à la radio)... je ne les aimais pas ! Je trouvais leur musique simpliste et un peu con, ça ne me parlait pas du tout et le simple fait de leur voir accolé le mot PUNK me faisait bouillir de rage. Riez si vous voulez, vous pouvez même me dire que j'avais meilleur goût à quatorze ans qu'à vingt-sept... ou alors tout simplement vous pouvez écouter Nimrod (ou son tout aussi excellent successeur Warning :) et constater comme moi que ce sont de très bons disques que les snobs du rock trouveraient tout à fait sympas et dignes d'intérêt (pas beaucoup plus - n'exagérons rien) s'ils avaient été enregistrés par un autre groupe. Pas étonnant que Green Day ait fini par enregistrer différents albums sous différents pseudos (pas de bol, le récent Foxboro Hot Tubs est beaucoup moins bon que n'importe quel disque officiel de Billy Joe Armstrong).
La valeur n'attend certes pas le nombre des années, il n'empêche qu'à partir de Nimrod les choses changent sensiblement du côté de la Bay Area. La faute à l'insuccès d'Insomniac ? A l'approche de trentaine ? On ne peut être un punk régressif jusqu'à la fin des temps, ce serait complètement ridicule. Billy Joe Armstrong décide donc en 1997 de devenir songwriter... ça faisait un moment que ça le démangeait (les premiers albums du groupe témoignaient d'une capacité rare à torcher des mélodies aussi simples qu'efficaces), c'est désormais chose faite avec un Nimrod terriblement réussi (quoiqu'inégal - comme tous les disques de Green Day) s'ouvrant sur une triplette de chansons tout simplement... oui : tout simplement imparables. "Nice Guys Finish Last", tout de même... et "Hitchin' a Ride" ! Et "The Grouch" !
Les cuivres réussissent pourtant assez mal au punk, et Nimrod aurait pu devenir le End of a Century du trio californien. Oui, mais non : Nimrod réussit la prouesse hélas momentanée de trouver le juste équilibre entre le très arrangé et le pompier, la pop easy-listening et le punk pur et dur, l'émotion et la nervosité. Les rythmiques sont toujours aussi bondissantes qu'autrefois, mais Nimrod a quelque chose de plus : il est touchant en plus d'être amusant - c'était loin d'être le cas sur les albums précédents. "Good Riddance" et "Redundant" sont réellement des ballades réussies (et pas du tout putassières) ; quant à l'autodérision (marque de fabrique du groupe depuis le premier morceau de son premier single) elle est partout, ici sur "The Grouch" (dans laquelle Armstrong, après avoir guetté la mort de ses parents pour toucher l'héritage sur l'album précédent, est devenu un vieux rocker réac), ici sur "King For a Day" (où il s'amuse de la chute de popularité brutale de son groupe la mode passée)...
A côté de ça les riffs sont plutôt efficaces ("Prosthetic Head", "All the Time"...) ... ok, tout n'est pas génial ("Haushinka" et "Jinx", par exemple, peuvent être oubliées), il y a un vrai beau ventre mou pile au milieu et finalement ce sont surtout les trois premiers titres qui marquent. N'empêche : Nimrod tient la route, lorgnant désormais aussi bien vers les Kinks que vers les Ramones, et je ne crois pas qu'il y ait aucune bonne raison d'avoir honte de le trouver très réussi.
Mais bon... je suppose que vous allez parvenir à m'expliquer le contraire, non ?
Trois autres disques pour découvrir Green Day :
Dookie (1994)
Foot in Mouth / Bowling Bowling Bowling Parking Parking (live / 1996)
Warning : (2000)
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