jeudi 18 septembre 2008

Metallica - Same Old (heavy) Song

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« Metallica sont les Rolling Stones de leur génération » (Trent Reznor)

« Metallica pourrait chier pendant quarante-cinq minutes et le sortir en disque, ça se vendrait quand même comme des petits pains » (Bobby Ellsworth, Overkill)

Et si tout le Metallica d’après le succès interplanétaire du Black Album tenait dans ces deux citations en apparence contradictoires ? Entre l’amertume d’un second couteau de talent et l’ironie mordante de Dieu (pardon : de Reznor), dont on ne saura sans doute jamais si sa phrase visait à être une moquerie ou un compliment ?... Rare groupe contemporain à avoir su (du moins jusqu’aux années deux-mille) concilier crédibilité et succès de masse, le groupe de James Hetfield et Lars Ulrich peut à peu près tout se permettre… et depuis 1991 n’a que très rarement manqué l’occasion de profiter de cette liberté courageusement gagnée. Et le rédacteur de bien insister sur le terme « courage », car le succès prodigieux du Black Album (plus de quinze millions d’exemplaires vendus à ce jour… et il s’en vend encore des milliers chaque semaine !) et son statut de classique ne doivent surtout pas faire oublier (comme c’est trop souvent le cas) qu’il avait à l’origine tout du proverbial coup de poker : Metallica y ralentissait passablement le tempo, muait vers une musique plus lente et plus aérée… sans la moindre garantie d’être suivi par ses fans de la première heure – encore moins de toucher le public rock dit « généraliste ».

C’est qu’on aurait tort de négliger cet aspect prise de risques lorsqu’on évoque Metallica : c’est aujourd’hui tout à la fois la principale raison de son aura et le boulet (pour le moins heavy) qu’il traînera probablement jusqu’au décès de chacun de ses membres. Pourquoi les fans de metal adorent-il Metallica plus que n’importe quel autre groupe ? Parce qu’il prend infiniment plus de risques, parce qu’il a oublié depuis longtemps ce que désignait l’expression « sentiers battus ». Et pourquoi les fans de metal critiquent-ils dans le même temps Metallica plus que n’importe quel autre groupe ? Parce que ces sentiers qu’il emprunte sont parfois décevants, parce que Metallica ne refera plus jamais les albums qu’il a fait entre 1983 et 1991.
Metallica

Entamée en 1996 avec le controversé Load, cette schizophrénie du public n’a fait que s’amplifier avec son petit frère RE/Load, jusqu’à atteindre son paroxysme en 2003 avec St Anger – album dont certains souhaitèrent un temps qu’il fusse le dernier. Encensé par la presse mais sèchement critiqué par une bonne part des fans, St Anger se voulait pourtant l’album de la réconciliation : après deux opus plus heavy rock que vraiment métalliques, le groupe y renouait avec l’agression, la rage, la violence… le temps de chansons dont certaines comptent encore aujourd’hui parmi les plus violentes que le groupe ait jamais publié. On aurait pu croire qu’avec ça tout le monde serait content… eh bien pas du tout ! Car c’était sans compter sur une donnée que Metallica n’avait a priori pas prise en compte : on ne lui demandait pas tant un retour à la brutalité qu’un retour au grand Metallica du Black Album (sinon carrément de Master of Puppets, en 1986). Agressif mais émouvant, heavy mais sophistiqué, puissant mais mélodique. Ce que l’abrasif (et, pour tout dire, excellent) St Anger n’était jamais, trop occupé qu’il était à essayer de (très bien) joindre les deux bouts entre le metal traditionnel made in Metallica et un thrash plus contemporain (celui des Sepultura, Machine Head et consorts).

C’est là qu’on prend la réelle mesure de l’aura démentielle des Four Horsemen : après trois albums comme Load, RE/Load et St Anger, n’importe quel autre groupe aurait sombré dans les limbes, vu ses fans le bouder et ses ventes s’effondrer. Or en 2008 voici que paraît Death Magnetic et devinez quoi ? C’est un des évènements rock de l’année. Envers et contre tout. Même U2 et les Stones ne sauraient en dire autant. A cela un tas d’explications pourrait être trouvé (la fidélité inconditionnelle du public metal en premier lieu, souvent critiqué mais qui aurait sur ce point beaucoup de choses à apprendre au public rock ; le charisme et l’authenticité d’un James Hetfield, jamais remis en cause, y compris quand les autres membres du groupes étaient allègrement tournés en dérision pour leur côté divas…), la plus évidente étant tout simplement que… Metallica est le plus fort, le plus important, le plus essentiel de tous les combos de son courant. S’il n’a certes pas inventé le heavy-metal, il a en revanche inventé le metal moderne, que ce soit soniquement (ses classiques Ride the Lightning et Master of Puppets ont été déclinés à l’infini) ou esthétiquement (Metallica est à des années lumières des colifichets et des clichés du genre). Sans eux, pas de thrash bien entendu… mais pas plus de metal alternatif, de neo-metal ni de grunge. Alors oui, on ne peut que valider la réflexion de Trent Reznor, qu’il s’agisse d’une boutade ou d’une manifestation de respect.


Et pourtant paradoxalement, alors que les deux autres groupes majeurs du heavy des 80’s (Iron Maiden et Slayer) n’ont rien perdu de leur impact sur les jeunes générations, la musique de Metallica n’a sans doute jamais été aussi peu en phase avec l’époque – comme si au fil des années l’héritage avait été dilapidé. Alors qu’on entend régulièrement des cavalcades maideniennes chez les jeunes pousses du black-metal et que la quasi totalité des groupes thrash puise son inspiration dans Reign in Blood, l’influence du plus populaire de ces trois-là (et même du plus populaire de tous les groupes de metal depuis Black Sabbath) peine à se faire sentir, au point que Metallica en 2008 ait quelque chose d’un quasi-anachronisme… là où les clones ratés de Motörhead continuent de pulluler depuis trente ans. Un détail peut-être, mais un détail d’importance à l’heure où paraît ce Death Magnetic aux airs de retour aux sources. C’est même le premier truc qui vient à l’esprit lorsque résonne l’intro de "The Day That Never Comes", ouverture typique du Metallica era 1984-88 : à part Metallica lui-même, plus personne ne sonne comme ça aujourd’hui. Des tas de groupes sonnent Maiden, mais aucun groupe en 2008 « ne sonne Metallica ». Et ce qui aurait pu faire passer cet album très classique (beaucoup plus que les précédents) pour un objet complètement obsolète issu d’une faille spatio-temporelle de lui conférer du coup un charme un peu suranné et absolument délicieux. Parce que soudain on se rend compte que… oui, ce Metallica là nous a manqué. Même si on ne faisait pas partie des détracteurs de leur période « expérimentale »… même si on aimait beaucoup St Anger… même si on trouvait certains morceaux de Load et RE/Load excellents… ce Metallica aux cassures rythmiques détonantes, ces harmonies riches mais jamais pompières, cette rage habilement dosée… et Hetfield éructant comme si sa vie en dépendait… et Kirk Hammett arrosant le tout de soli démoniaques… vraiment, on l’ignorait, mais ça nous avait foutrement manqué.

Soyons clairs : Death Magnetic n’est pas un chef-d’œuvre. Il contient quelques longueurs, un ou deux morceaux un peu-deça ("The Unforgiven III", tout clin d’œil mis à part, fait carrément tache) et au moins un de ses power-chords (celui de "Suicide & Redemption") est d’une laideur absolue. D’un autre côté… tous les albums de Metallica ne sont pas, objectivement, des chefs-d’œuvre (même si chacun des cinq premiers à ses inconditionnels). Et celui-ci se situe clairement dans la moyenne haute de la production métallique, genre d’album fantôme que le groupe aurait pu enregistrer entre Master of Puppets et …and Justice for All. Son meilleur titre, "The Judas Kiss", donne même une idée sans doute assez juste de ce que Metallica aurait pu devenir si le regretté Cliff Burton ne l’avait jamais quitté.

Mettant toute l’expérience accumulée au cours des vingt dernières années au service d’une musique qu’il avait délibérément abandonnée au l’aube des années quatre-vingt dix, Metallica propose donc cette fois-ci, des titres à la pochette en passant par les arrangements, un album de… Metallica, ce qui dans le fond n’était plus arrivé depuis des lustres. Un choix somme toute cohérent : à force de surprendre, le meilleur moyen de désarçonner encore l’auditeur était sans doute pour Hetfield et les siens de publier exactement le genre d’album qu’on n’attendait plus d’eux…

Tel est le Metallica ‘ 08 : un quatuor qui ne renie pas plus ses œuvres récentes (l’excellente "The End of the Line" aurait tout à fait pu figurer au générique de St Anger) que ce qu’il a toujours été et semblait parfois avoir honte d’être ces dernières années : un authentique groupe de heavy-metal – et non des moindres. Biberonné au hard-punk de Motörhead et au metal plombé de Judas Priest, inégalable dès lors qu’il s’agit de faire rimer progression harmonique et hard-rock ("Broken, Beat & Scared " ou "All Nightmare Long " dégoûteront sans doute plus d’un groupe de prog-metal), l’un des seuls peut-être à avoir jamais su renouveler le genre sans le dénaturer (en témoigne "Cyanide", morceau de bravoure d’un Robert Trujillo désormais parfaitement intégré au collectif). Old-school, soit ; jamais redondant. Au risque sans doute de ne plus être encensé par Rock & Folk, Rolling Stone ou Libé (James Hetfield en dort-il encore la nuit ?), au risque de laisser sur le bord de la route le public pop et rock autrefois tombé en adoration devant "Nothing Else Matters", au risque de ne plus passer en radio (quelle antenne FM pourrait bien avoir l’idée saugrenue de diffuser le single "The Day That New Comes" ???)… au risque, tout simplement, de vendre moins de disques. Mais honnêtement… à l’écoute de "My Apocalypse", quel fan de metal s’en plaindra ? A ce tarif-là le business-man Lars Ulrich peut bien hypothéquer sa maison, personne ne trouvera à y redire. La liberté, après tout, n’a pas de prix.


👍👍 Death Magnetic 
Metallica | Warner, 2008