jeudi 4 septembre 2008

Sébastien Japrisot - Un Long moment de perplexité

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Ainsi donc Japrisot est l'Aristochat en titre. Pourquoi pas ? L'Aristochat est rarement pour votre serviteur l'occasion de grandes découvertes, en revanche il s'avère souvent un bon prétexte pour se livrer à des relectures agréables - voire même pour réévaluer des livres sur ou sous estimés. Concernant Japrisot hélas j'ai bien peur qu'en ce qui me concerne la messe soit dite depuis pas mal d'années : auteur intéressant mais mineur car trop inégal, celui-ci captive presqu'aussi souvent qu'il ennuie... et en ce sens Un Long dimanche de fiançailles est sans aucun doute son chef-d'œuvre, puisqu'il concentre ces deux aspects antagonistes en trois cent soixante-treize pages tout à la fois intéressantes, énervantes, étonnantes, épuisantes...

Ce n'est pas comme on le prétend trop souvent un roman d'amour ; avant toute autre chose, Un Long dimanche de fiançailles est l'histoire d'une obsession de moins en moins amoureuse au fil des pages. Une quête éperdue de vérité dans un monde mensonges - celle de Mathilde traversant mille épreuves afin de découvrir le pourquoi du comment de la condamantion à mort de l'homme qu'elle aime. Nous sommes en 1917 mais nous pourrions être en 2040, tout cela n'a dans le fond aucune importance : passé un début de livre semi-épistolaire passionnant l'univers se fige comme dans un manuel, le décor n'est au mieux qu'un décorum et jamais sans doute les années folles n'auront semblées aussi sages. A vrai dire on sera stupéfait de constater à quelle point le film hyper-esthétisant de Jean-Pierre Jeunet est une adaptation fidèle du roman de Japrisot tant elle restitue à merveilles le côté papier glacé du livre ! Seule compte ici l'obsession de Mathilde et elle étouffera tout le reste, personnages, lieux, évènements...

... on en ressort du coup un brin perturbé, car une seule idée peut bien sûr difficilement remplir un roman tout entier. A vrai dire il y a dans ce livre quelque chose d'inhumain, à l'image de cet unique véritable personnage dont la nature monolithique a quelque chose de presque dérangeant. Qui est Mathilde, vraiment ? Qui est-elle et quelle est sa raison d'être ? Si le but était de mettre en relief la vacuité de tout un chacun une fois éloignées ses obsessions les plus intimes, le pari est réussi. Las : il semble que le but ait plutôt été d'émouvoir, ce qui ne manquera pas d'étonner tant Un Long dimanche de fiançailles est un roman froid et mécanique, aussi dépourvu d'émotion que surchargé de fioritures agaçantes. Très joli et un brin ennuyeux, admirablement construit mais moyennement écrit, il laisse perplexe de bout en bout tant la volonté de rendre le récit fastidieux semble clairement assumée par l'auteur. Le résultat est à double-tranchant : d'un côté on ne peut qu'être impressionné face au réalisme de l'ouvrage (car dans le fond, il n'y a que dans les livres qu'une enquête peut-être bouclée en quelques pages) ; de l'autre on se dit qu'on se fout pas mal qu'un roman soit réaliste, qu'on attend autre chose de la littérature et que le souffle en est une - et non des moindres. Se peut-il vraiment qu'un écrivain se réveille un matin en décidant d'écrire une histoire à rebours de tout suspens, de toute action, de tout ce qui peut faire plaisir dans une lecture ? Sans doute - s'il s'appelle Faulkner. Sébastien s'appelant hélas Japrisot, le résultat est en demi-teinte, et la noirceur romantique de L'Été meurtrier semble ici bien loin...


Un Long dimanche de fiançailles 
Sébastien Japrisot | Folio, 1991