lundi 6 octobre 2008

Earthbound - Fantômes à tics

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Avez-vous entendu parler de The Link, dernier roman de Richard Mathenson paru il y a deux ans ? Probablement pas.
Saviez-vous-même que Richard Matheson était encore vivant ? Pas forcément.

Maintenant : aimeriez-vous savoir pourquoi ? La réponse se nomme Earthbound

Publié à l'aube des années quatre-vingt, ce roman court mais encore trop long expose en quelques pages la ligne qui régira l'œuvre de l'excellent Matheson durant les décennies suivantes, ligne qu'on pourrait résumer par une expression chic choc et toc : du mauvais Stephen King. Après avoir régné sans partage sur le fantastique, la SF et l'étrange durant trois décennies (son ultime chef-d'œuvre, Somewhere in Time, ne date que d'une poignée d'années auparavant) Richard Matheson va littéralement sombrer à partir de 1982, devenant progressivement ce qu'il avait jusqu'alors soigneusement évité d'être... : un auteur de séries B (voire Z) appréciables uniquement à grand renfort de troisième degré. Un jour, sans doute, on comprendra ce qui s'est passé dans la tête de l'auteur de I Am Legend et de Hell House, lui qui était si merveilleusement parvenu à extirper le fantastique du ghetto dans lequel les critiques souhaitaient l'enfermer... lui dont on aimait la plume sèche... lui dont l'inventivité n'avait jusqu'ici jamais été prise en défaut... oui, un jour on comprendra sûrement ce qui s'est passé, même si l'hypothèse la plus évidente soit que le bon Matheson se soit laissé complètement vampiriser par les modes. Car le revers des celles-ci (et les années quatre-vingt, en littérature comme en cinéma, seront l'apogée du genre fanstico-horrifique) est presque toujours la chute des maîtres de l'exercice durant les décennies précédentes, généralement vieux et avides de reconnaissance, qui se mettent à bander les muscles sur le mode du « Vous allez voir ce que vous allez voir les p'tits gars : le vieux lion peut encore rugir. »

Aussi en 1982 Richard Matheson essaie-t-il de rugir plus fort que la jeune génération pour un résultat quelque part entre la tragédie et la pantalonnade... cette année-là seul le bulletin de santé du son confrère Robert Bloch (qui vient de publier l'atroce Psycho II) parviendra à être plus inquiétant, à se demander comment Rickie (pour les intimes) parviendra après ça à conserver intacte son aura de grand écrivain.

Ersatz à peine déguisé de Shining, Earthbound mêle donc à un titre à peine intelligible une intrigue pour le moins éculée - mais ne soyons pas trop durs : Matheson fera encore bien pire dans les années quatre-vingt-dix. Au moins son texte a-t-il ici le mérite de la transgression, puisque particulièrement cru et graveleux (l'effet Exorciste ?), principalement centré autour de la sexualité du couple de héros et tout à fait amusant si l'on n'a pas la folie de le prendre au sérieux. En gros, David et Ellen essaient de sauver leur couple en se payant une seconde lune de miel là où ils passèrent dix ans plus tôt la première... pas de bol : David tombe d'emblée sous le charme d'une étrange femme fatale, on ne trahira nul suspens en révélant qu'il s'agit en fait d'une apparition - c'est une grossière évidence que seuls David et l'auteur semblent assez candides pour ignorer. Effet Exorciste encore, on aura droit d'ici la fin à quelques scènes de possession assez marrantes, mais force est de reconnaître que c'est du Mathenson plus que petit bras - très loin des chefs-d'œuvres passés. Reste toutefois le plaisir d'une écriture comme toujours incisive, c'est suffisant pour aller au bout de ce texte long et parfois très vain ; c'est trop peu pour adhérer à un roman qui aurait pu être plaisant s'il s'était agi d'une simple nouvelle ou d'un téléfilm de seconde partie de soirée sur M6...


👎 Earthbound 
Richard Matheson | Tor, 1982