dimanche 9 novembre 2008

Sanctuary - Une tentative mercantile des plus putassières

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[N.B. : ceci est une version "augmentée" d'un article paru sur mon précédent blog en 2004 - le tout premier que j'aie jamais écrit sur le Net] Ce livre clôt en que quelque sorte la trilogie (symbolique : ils ne se suivent pas ni ne se répondent) commencée avec The Sound & The Fury (1929) et As I Lay Dying (1930), soit la seconde période faulknerienne - celle où il met au point sa stratégie de brouillage chronologique et son goût pour la tragédie antique.

Petit récapitulatif pour commencer : en 1931, s'il a publié déjà cinq romans dont les deux chefs-d’œuvre suscités, Faulkner n'en demeure pas moins un inconnu et vit de peu de choses, acceptant plus ou moins tous les travaux d'écriture qu'on lui propose (c'est notamment à cette époque qu'il commencera à travailler en sous-main pour le cinéma, refondant entièrement - et au black - le script du Flesh de John Ford). Vous devinez la suite : ce formidable chef-d'œuvre fut principalement composé... pour l'argent. Sanctuary, monument de la littérature du vingtième siècle, est même par bien des côtés un livre absolument putassier - et assumé comme tel par son auteur. Cela ne saute évidemment plus trop aux yeux en 2008 ; c'est pourtant vrai : Faulkner y réunit délibérément tous les éléments à la mode dans la littérature de l'époque, c'est à dire (entendons-nous bien) ces romans hardboiled dont on commence à beaucoup parler depuis les succès de son camarade de beuverie Dashiell Hammett et du magazine Black Mask. En espérant conjurer l'insuccès de son dernier roman en date, Sartoris (publié en 1931, Sanctuary fut en fait écrit en 1929 - d'où ce sentiment qu'il est parfois moins parfait que les deux autres chefs-d'œuvre susnommés).

Il s'agit au départ d'une longue nouvelle, inspirée d'un fait divers : une sordide histoire de viol d'une collégienne par un adolescent impuissant et pervers. Comme de juste, tous les éditeurs le lui refusent. Le hardboiled commence à bien se vendre à la fin des années vingt mais tout de même... il y a des limites à l'horreur. Ce texte-ci est bien trop violent, trop sombre, trop dépressif. Trop sarcastique et décapant, aussi, bien sûr. Trop faulknerien, en somme.

L'auteur range donc Sanctuary dans un tiroir, le retravaille quelques mois plus tard, le fait passer en loucedé suite à la publication de ses deux classiques (qui lui confèrent sinon un peu de gloire, au moins un poil de légitimité) et en fait son troisième chef-d’œuvre consécutif. Entre temps, il s'est adonné à son jeu préféré : le bidouillage chronologique. Il y a ajouté des scènes de voyeurisme. Un meurtre. Une affaire de distillation clandestine. Un justicier parodique. Pléthore de références à Shakespeare . Ce qui inspira probablement à Malraux sa célèbre expression : "L'introduction de la tragédie grecque dans le roman policier"... expression somme toute assez fausse (et qui fit sans le vouloir beaucoup de mal à l'image de Faulkner) : c'est bien de l'inverse qu'il s'agit. Car s'il y a un genre littéraire dont Faulkner se fout royalement, c'est bien le polar, dont il moque ici le goût pour la surenchère glauque. Il est de toute façon bien incapable de maîtriser l'élément capital de la mécanique policière : le suspens. Rarement on aura vu un auteur aussi mauvais pour faire monter la sauce. Et pourquoi le ferait-il d'ailleurs? Quel en serait l'intérêt puisque sur vingt romans qu'il composa entre 1927 et 1962, plus de la moitié commencent par la fin ?

Le véritable génie de Faulkner dans ce texte, c'est avant tout d'écrire sur le Mal absolu sans jamais le nommer ni le montrer du doigt. S'il dissèque l'âme humaine, sa médiocrité, sa lâcheté ou sa corruption... c'est en supprimant son point de vue propre d'homme honnête et d'écrivain respectable. En laissant s'exprimer les autres, désaxés, fous, criminels... tous ceux qui n'ont pas droit à la parole ailleurs ; tous ceux sur lesquels les autres (même les plus grands... même Hemingway...) n'écrivent pas.

Le résultat est une œuvre colossale et, accessoirement, le livre le plus "accessible" d'un auteur parfois rebutant pour le lecteur non-averti. Ce qui le rend d'autant plus fort.


👑 Sanctuary [Sanctuaire] 
William Faulkner | Vintage Classics, 1931

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