Si j'avais une ferme envie de défendre le précédent roman de Jean-Philippe Blondel (This Is Not A Love Song), j'avoue en éprouver un peu moins le besoin avec son dernier-né, A contretemps. Non qu'il ne vaille pas le détour ; c'est surtout qu'A contretemps, contrairement à son incompris prédécesseur, me parait tout à fait capable de se défendre tout seul tant il est impressionnant de sérénité et de force. On a dit de This Is Not A Love Song qu'il était le roman de la maturité et ç'a bien fait rire tous ceux qui savaient que l'auteur l'avait en grande partie écrit dix ans plus tôt ; sans doute personne ne le dira-t-il donc d'A contretemps... tant pis si cette fois, cette expression toute faite aurait pu trouver un usage à peu près judicieux.
C'est qu'avec A contretemps Jean-Philippe (je ne vais quand même pas me mettre à l'appeler Blondel alors que tout le monde sait que nous sommes amis, je n'ai vraiment pas envie de ressembler à ces critiques prétendument professionnels qui déjeunent avec un auteur le lundi et l'encensent comme si de rien était le vendredi) frôle de très près l'excellence. Il ne s'agit pas de progresser - techniquement parlant il était bluffant dès son premier bouquin - il s'agit de mûrir, et Jean-Philippe enfin semble être devenu un auteur parfaitement adulte - moi-même je n'y croyais plus vraiment. Qu'est-ce qu'un auteur parfaitement adulte me demanderez-vous... ? Eh bien c'est un auteur qui parvient à embarquer le lecteur pile où il veut l'envoyer sans avoir à user du moindre effet de manche. Un chanteur qui a compris qu'il n'était nul besoin de hurler pour laisser suinter sa colère ni de gémir pour faire comprendre qu'il souffre. Ou bien, pour reprendre la formule consacrée par Philip Roth, "un écrivain qui cesse d'imposer son expérience à la fiction et qui impose désormais sa fiction à l'expérience". Toute la force, toute la virtuosité d'A contretemps reposant paradoxalement dans le fait qu'aucun autre Blondel ne parle autant de l'adolescence, cette période mémorable, fondatrice, cette époque dont on attend avec impatience la fin lorsqu'on en est plein dedans... avant de passer le plus clair de notre vie à la regretter. Rien de révolutionnaire dans cette histoire de filiation littéraire ou un jeune homme découvre que son propriétaire est un "ancien écrivain", soit. Mais une subtilité et une finesse d'analyse hors du commun, tant lorsqu'il s'agit de dépeindre le mélange de fascination et de répulsion de Hugo pour son mentor (perceptible dès les premiers pages... alors même que Hugo n'a à ce moment-là aucune bonne raison de s'intéresser à Jean Debat) que lorsqu'est venu le temps de plonger dans les méandres de la mémoire de l'auteur autrefois connu sous le nom de Pascal Cami.
Comme s'il avait enfin atteint la pleine maturité de son talent, Jean-Philippe imbrique donc méthodiquement chaque fragment de son roman-gigogne, attaque par la bande avec le parcours de son jeune narrateur, ricoche sur une libraire si touchante et de superbes pages sur l'amour des lettres... et voici qu'arrivé à la moitié A contretemps, jusqu'ici émouvante histoire d'un jeune homme en quête de père et d'un père en quête de fils, se métamorphose en satire habile du monde de l'édition. On en a lu quelques unes des pages de ce genre, traitant parfois avec complaisance de cette condition d'écrivain dont tout le monde se tamponne le chichigneux mis à part les écrivains eux-mêmes - spécialité bien française que Debat ne manque d'ailleurs pas lui-même d'égratigner. Et pourtant, ici, ça marche. L'Ecrivain (son image, son symbole) apparait dans le plus simple appareil, petit rouage d'un immense mécanisme le dépassant en permanence, dernière roue d'un imaginaire carrosse entièrement fabriqué avec sa propre peau. L'image est troublante (parce qu'aussi juste que souvent méconnue du Lecteur) ; elle est surtout portée par un incroyable culot : ces pages-là grondent d'une rage sourde, suintent l'impuissance, mettent en perspective - plus que beaucoup d'autres de ce type - la solitude incroyable de l'écrivain, non lorsque l'inspiration ne vient pas comme dans tant de mauvais livres... mais lorsqu'elle est là et n'intéresse personne. Le passage de la lettre de refus, notamment, est un summum du genre (et pourtant Dieu sait qu'on a lu ce genre de truc des milliers de fois).
Tel est l'art de J-PB, à propos duquel on aura écrit en quelques années un peu de tout et beaucoup de n'importe quoi. On aura dit de lui (j'aurais dit de lui !) qu'il savait transcendé les petites choses du quotidien, on aura lu ici ou là qu'il était un auteur nostalgique, on aura entendu raconter par ses détracteurs que c'était un auteur gentil de livres gentils... que lesdits détracteurs, a priori, n'ont pas du lire (ou bien mal). Depuis trois romans il a imposé une marque nettement plus spécifique et nettement plus subtile : celle d'un champion du détournement de clichés. C'était le triangle amoureux dans Passage du gué, c'était la figure du petit con arriviste dans This Is Not A Love Song. Avec A contretemps, c'est simultanément le roman initiatique et le "roman d'écrivain" qu'il pervertit, avec toujours ce don (désormais habituel et identifié) du faux-semblant acide. Assez loin de ses premiers livres, par moments étonnant de noirceur et d'ambigüité, A contretemps le voit désormais toiser les bons sentiments avec une saine indifférence. On ne peut que l'en féliciter.
C'est qu'avec A contretemps Jean-Philippe (je ne vais quand même pas me mettre à l'appeler Blondel alors que tout le monde sait que nous sommes amis, je n'ai vraiment pas envie de ressembler à ces critiques prétendument professionnels qui déjeunent avec un auteur le lundi et l'encensent comme si de rien était le vendredi) frôle de très près l'excellence. Il ne s'agit pas de progresser - techniquement parlant il était bluffant dès son premier bouquin - il s'agit de mûrir, et Jean-Philippe enfin semble être devenu un auteur parfaitement adulte - moi-même je n'y croyais plus vraiment. Qu'est-ce qu'un auteur parfaitement adulte me demanderez-vous... ? Eh bien c'est un auteur qui parvient à embarquer le lecteur pile où il veut l'envoyer sans avoir à user du moindre effet de manche. Un chanteur qui a compris qu'il n'était nul besoin de hurler pour laisser suinter sa colère ni de gémir pour faire comprendre qu'il souffre. Ou bien, pour reprendre la formule consacrée par Philip Roth, "un écrivain qui cesse d'imposer son expérience à la fiction et qui impose désormais sa fiction à l'expérience". Toute la force, toute la virtuosité d'A contretemps reposant paradoxalement dans le fait qu'aucun autre Blondel ne parle autant de l'adolescence, cette période mémorable, fondatrice, cette époque dont on attend avec impatience la fin lorsqu'on en est plein dedans... avant de passer le plus clair de notre vie à la regretter. Rien de révolutionnaire dans cette histoire de filiation littéraire ou un jeune homme découvre que son propriétaire est un "ancien écrivain", soit. Mais une subtilité et une finesse d'analyse hors du commun, tant lorsqu'il s'agit de dépeindre le mélange de fascination et de répulsion de Hugo pour son mentor (perceptible dès les premiers pages... alors même que Hugo n'a à ce moment-là aucune bonne raison de s'intéresser à Jean Debat) que lorsqu'est venu le temps de plonger dans les méandres de la mémoire de l'auteur autrefois connu sous le nom de Pascal Cami.
Comme s'il avait enfin atteint la pleine maturité de son talent, Jean-Philippe imbrique donc méthodiquement chaque fragment de son roman-gigogne, attaque par la bande avec le parcours de son jeune narrateur, ricoche sur une libraire si touchante et de superbes pages sur l'amour des lettres... et voici qu'arrivé à la moitié A contretemps, jusqu'ici émouvante histoire d'un jeune homme en quête de père et d'un père en quête de fils, se métamorphose en satire habile du monde de l'édition. On en a lu quelques unes des pages de ce genre, traitant parfois avec complaisance de cette condition d'écrivain dont tout le monde se tamponne le chichigneux mis à part les écrivains eux-mêmes - spécialité bien française que Debat ne manque d'ailleurs pas lui-même d'égratigner. Et pourtant, ici, ça marche. L'Ecrivain (son image, son symbole) apparait dans le plus simple appareil, petit rouage d'un immense mécanisme le dépassant en permanence, dernière roue d'un imaginaire carrosse entièrement fabriqué avec sa propre peau. L'image est troublante (parce qu'aussi juste que souvent méconnue du Lecteur) ; elle est surtout portée par un incroyable culot : ces pages-là grondent d'une rage sourde, suintent l'impuissance, mettent en perspective - plus que beaucoup d'autres de ce type - la solitude incroyable de l'écrivain, non lorsque l'inspiration ne vient pas comme dans tant de mauvais livres... mais lorsqu'elle est là et n'intéresse personne. Le passage de la lettre de refus, notamment, est un summum du genre (et pourtant Dieu sait qu'on a lu ce genre de truc des milliers de fois).
Tel est l'art de J-PB, à propos duquel on aura écrit en quelques années un peu de tout et beaucoup de n'importe quoi. On aura dit de lui (j'aurais dit de lui !) qu'il savait transcendé les petites choses du quotidien, on aura lu ici ou là qu'il était un auteur nostalgique, on aura entendu raconter par ses détracteurs que c'était un auteur gentil de livres gentils... que lesdits détracteurs, a priori, n'ont pas du lire (ou bien mal). Depuis trois romans il a imposé une marque nettement plus spécifique et nettement plus subtile : celle d'un champion du détournement de clichés. C'était le triangle amoureux dans Passage du gué, c'était la figure du petit con arriviste dans This Is Not A Love Song. Avec A contretemps, c'est simultanément le roman initiatique et le "roman d'écrivain" qu'il pervertit, avec toujours ce don (désormais habituel et identifié) du faux-semblant acide. Assez loin de ses premiers livres, par moments étonnant de noirceur et d'ambigüité, A contretemps le voit désormais toiser les bons sentiments avec une saine indifférence. On ne peut que l'en féliciter.
👍👍👍 A contretemps
Jean-Philippe Bondel | Robert Laffont, 2009
"l'adolescence, cette période mémorable, fondatrice, cette époque dont on attend avec impatience la fin lorsqu'on en est plein dedans... avant de passer le plus clair de notre vie à la regretter."
RépondreSupprimersans doute une phrase facilement écrite pour toi, voire un cliché...mais pour moi un résumé parfait d'une pensée personnelle que j'aurai été incapable d'écrire aussi bien...
Evidement je suis d'accord sur la réflexion sur l'adolescence, très juste (j'en suis a peine sorti (et encore je suis pas sur) et je regrette déjà ).
RépondreSupprimerPar contre, vous avez quoi , là, tous, contre le mec de "This is not a love song"?? Déjà, il peut pas être arriviste, vu que... il est arrivé (et d'apres ce que je m'en souviens il n'a rien à se reprocher sur le plan professionel), mais bon...il est juste humain donc con... (enfin, bon...)
Quoiqu'il en soit, je vais peut etre me laisser tenter par celui là aussi.
Xavier >>> en fait... c'est du recyclage (une phrase d'un des mes romans... que j'ai d'ailleurs je crois déjà recyclé plusieurs fois (mais bon : ça marche à tous les coups :)))
RépondreSupprimerGuic' >>> j'ai rien contre le gars de TINALS... au contraire. Il pourfend le cliché et se nuance radicalement (???) au cours du roman.
hé hé, si ca se trouve, tu avais déjà recyclé cette phrase sur ton Golb 1, et je t'avais déjà fait le meme commentaire...
RépondreSupprimer"serein" est également l'adjectif que j'avais employé pour parler de ce roman. Jean-Philippe Blondel semble bien plus posé, calme. À contre temps est un très beau roman sur la filiation littéraire. :)
RépondreSupprimer(bon, à côté de ton article, ce commentaire est évidemment un peu light :-D )
Xavier >>> voilà c'est ça : tu aimes parce que ça t'est familier ;-)
RépondreSupprimerLaurence >>> l'important c'est que ta critique, elle, ne soit pas light ;-)
Ben, ça me dit bien, ce livre. Oh ouiche. Bizarrement, l'allusion des lettres de refus résonne en moi. :-) (je suis détentrice d'une record nombre/laps de temps restreint, je pensais même me bidouiller un diplôme avec Paint pour me l'accrocher dans le salon. Au-dessus du coucou suisse. Et de la tête de caribou empaillée. Nan, je rigole)
RépondreSupprimerBref, je note le titre et l'auteur illico presto.
Yiiiiiiiiiipie :-)
RépondreSupprimerah mais cet auteur là (jean-philippe si je puis me permettre) je l'ai lu depuis ton dernier billet (siiiii ça m'arrive de lire) j'ai commencé par this is not a love song et outre que j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman (plus que ça même) je n'ai pas trouvé que le personnage principal était un petit con arriviste (à ma grande surprise, après tout ce que j'avais lu), qu'ilo tienne debout avec une famille pareille par contre...
RépondreSupprimerbref j'ai lu aussi juke box (ouf quel punch!) et je vais TOUS les lire....
et celui-là j'aimerai aussi :-)))
au fait jolie bannière :-))
RépondreSupprimerMerci pour Arbobo ;-)
RépondreSupprimerCe qui m'étonne, surtout, après trois Blondel lus (dont celui-ci), c'est que sa palette s'élargit un peu plus, chaque fois. C'est tout de même riche, et varié, comme bibliographie, rien que les trois derniers!
RépondreSupprimerBBB.
C'est vrai qu'il y a de quoi faire...
RépondreSupprimerBon je n'ai toujours pas lu "This is not a love song" que j'ai pourtant chez moi (je sais, j'accumule et je m'effraie de vieillir sans avoir le temps de tout lire un jour...).
RépondreSupprimerJe suis ravie de ce beau billet, je ne sais pas qui pourra en parler aussi bien après toi...
Je ne mérite pas tel éloge ! :-)
RépondreSupprimerC'est vrai que moi aussi, j'entasse. J'ai beau lire vite, j'ai beau y faire... impossible de venir à bout des piles...