S'il fallait résumer la carrière de Springsteen dans les années deux-mille à un seul et unique qualificatif, en dents de scie serait sans doute celui qui ferait le mieux l'affaire. Dans les années quatre-vingt-dix, déjà, le Boss avait été capable du meilleur comme du pire... mais durant cette décennie qui s'achève il a récidivé avec des écarts encore plus saisissants d'un extrême à l'autre. Commençant plutôt mal avec un traumatisme post-09/11 sans doute respectable mais en tout cas mal digéré (The Rising), il a depuis redressé violemment la barre avec un de ses meilleurs albums (Devils & Dust) puis l'un des disques de reprises les plus sensationnels qu'on ait jamais entendus (We Shall Overcome)... tout ça pour lever brutalement le pied l'an passé avec un Magic qu'on qualifiera poliment d'oubliable. Oh... pas un mauvais album (Springsteen, comme tous les plus grands, est toujours capable de glisser un ou deux morceaux fulgurants même sur ses opus les plus dispensables), mais une œuvre tout à fait mineure dans la lignée de laquelle (hélas) s'inscrit d'emblée Working On A Dream, qui parait ces jours-ci. Un disque si désespérément inutile qu'on en vient, l'espace d'une seconde, à se demander si le Boss n'a pas tout simplement fait son temps.
C'est qu'elle semble antédiluvienne, l'époque où Springsteen était surnommé le Nouveau Dylan. Si la formule pouvait déjà sembler abusive en 1980 alors qu'il sortait de trois chefs-d'œuvre incontestables, elle n'a fait que s'étioler sur la durée tant il a fallu s'incliner devant l'évidence : alors que Dylan a eu (plusieurs) périodes de creux, il a au moins eu le mérite de toujours proposer des albums aux couleurs différentes... en somme : de faire preuve d'ambition jusque dans ses ratages. Springsteen, lui, a depuis longtemps adopté une formule inaltérable : ses albums acoustiques sont tous peu ou prou des déclinaisons de Nebraska ; les électriques, des déclinaisons de Born in the U.S.A. Parfois époustouflantes (The Ghost of Tom Joad ou, donc, Devils & Dust), d'autres fois nettement plus encombrantes.
Sans le moindre doute possible, Working On A Dream est à ranger dans cette catégorie tant tout ou presque y semble poussif - jusqu'à cette pochette d'une rare laideur. Morceau de bravoure annoncé, l'introductif "Outlaw Pete" est saccagé par une prod complètement indigente qui n'honnore franchement pas la réputation de Brendan O'Brien (pourtant capable de prouesses, comme en témoignent le dernier AC/DC, la plupart des derniers albums de Pearl Jam... ou le Devils & Dust du même Springsteen). Considérant visiblement que le Boss n'a jamais été aussi génial que dans les eighties, l'ingénieur du son semble avoir pris le parti de produire tout le disque en ce sens, pour un résultat assez affligeant : "Kingdom of Days" ou "Queen of the Supermarket" ne sonnent pas rétro - ils sonnent juste ringards. Aussi ne sera-t-on pas surpris de trouver Springsteen nettement plus à l'aise sur les (relativement) nombreux titres plus acoustiques... las, passé un "The Last Carnival" assez merveilleux Working On A Dream n'impressionne plus que par son manque d'inspiration mélodique (on ne parlera même pas des textes, parmi les plus pontifiants qu'on ait entendu chez un artiste pourtant connu pour sa plume redoutable). Placées sous le signe de la monotonie, "Working On A Dream" ou "Good Eye" donnent l'impression d'un combattant à bout de souffle, qui après une décennie de résistance au gouvernement en place n'aspire plus qu'à une chose : une bonne sieste.
Alors donc, c'est parti pour la facilité - et de cela au moins Working On A Dream ne manque pas. Facile, l'évasion country de "Tomorrow Never Knows" (évasion pour lui - nous on baille). Facile, ce "This Life" déjà entendu mille fois sur les disques précédents. Facile, ce "What Love Can Do" au texte niaiseux comme pas permis. Quant à "Surprise, Surprise"... il est juste consternant de niaiserie. Quasiment rien de décent à se mettre sous la dent sur ce qui restera probablement comme le plus mauvais album jamais publié par Bruce Springsteen. Qu'il soit heureux, pourquoi pas ? Qu'il veuille dédier son album à Obama, après tout : libre à lui ! Qu'il ait eu envie de publier un album léger... ça n'a rien de condamnable. Qu'il se mette à sonner Kiss (1) ("Outlaw Pete") ou Dire Straits ("Life Itself"), c'est nettement moins excusable.
Mais le plus triste dans tout ça, c'est peut-être le moment où parait ce disque. Il y a dix ans, Springsteen publiait le fabuleux coffret Tracks et confirmait qu'il était l'un des plus grands artistes vivants. Sa musique, pleine de fougue et de noblesse, était porteuse d'espoir. On est bien loin de tout ça aujourd'hui, et entre une situation strictement française catastrophique et une crise économique mondiale... on aurait bien eu besoin de l'auteur de "Thunder Road" plutôt que de ce drôle type subitement décalé qui se met à nous entonner des chansonnettes insignifiantes à la gloire de son copain Barack. Non vraiment... : vivement que les républicains reviennent au pouvoir, qu'on nous rende le vrai Boss. Parce que là on craint déjà le pire pour les prochains albums de Neil Young et de Pearl Jam.
Comme en témoignent les commentaires chez G.T., les blogueurs sont unanimes.
(1) Que j'aime bien d'ailleurs... là n'est pas la question, on attend tout de même plus de Springsteen que du rock FM calibré pour les stades !
C'est qu'elle semble antédiluvienne, l'époque où Springsteen était surnommé le Nouveau Dylan. Si la formule pouvait déjà sembler abusive en 1980 alors qu'il sortait de trois chefs-d'œuvre incontestables, elle n'a fait que s'étioler sur la durée tant il a fallu s'incliner devant l'évidence : alors que Dylan a eu (plusieurs) périodes de creux, il a au moins eu le mérite de toujours proposer des albums aux couleurs différentes... en somme : de faire preuve d'ambition jusque dans ses ratages. Springsteen, lui, a depuis longtemps adopté une formule inaltérable : ses albums acoustiques sont tous peu ou prou des déclinaisons de Nebraska ; les électriques, des déclinaisons de Born in the U.S.A. Parfois époustouflantes (The Ghost of Tom Joad ou, donc, Devils & Dust), d'autres fois nettement plus encombrantes.
Sans le moindre doute possible, Working On A Dream est à ranger dans cette catégorie tant tout ou presque y semble poussif - jusqu'à cette pochette d'une rare laideur. Morceau de bravoure annoncé, l'introductif "Outlaw Pete" est saccagé par une prod complètement indigente qui n'honnore franchement pas la réputation de Brendan O'Brien (pourtant capable de prouesses, comme en témoignent le dernier AC/DC, la plupart des derniers albums de Pearl Jam... ou le Devils & Dust du même Springsteen). Considérant visiblement que le Boss n'a jamais été aussi génial que dans les eighties, l'ingénieur du son semble avoir pris le parti de produire tout le disque en ce sens, pour un résultat assez affligeant : "Kingdom of Days" ou "Queen of the Supermarket" ne sonnent pas rétro - ils sonnent juste ringards. Aussi ne sera-t-on pas surpris de trouver Springsteen nettement plus à l'aise sur les (relativement) nombreux titres plus acoustiques... las, passé un "The Last Carnival" assez merveilleux Working On A Dream n'impressionne plus que par son manque d'inspiration mélodique (on ne parlera même pas des textes, parmi les plus pontifiants qu'on ait entendu chez un artiste pourtant connu pour sa plume redoutable). Placées sous le signe de la monotonie, "Working On A Dream" ou "Good Eye" donnent l'impression d'un combattant à bout de souffle, qui après une décennie de résistance au gouvernement en place n'aspire plus qu'à une chose : une bonne sieste.
Alors donc, c'est parti pour la facilité - et de cela au moins Working On A Dream ne manque pas. Facile, l'évasion country de "Tomorrow Never Knows" (évasion pour lui - nous on baille). Facile, ce "This Life" déjà entendu mille fois sur les disques précédents. Facile, ce "What Love Can Do" au texte niaiseux comme pas permis. Quant à "Surprise, Surprise"... il est juste consternant de niaiserie. Quasiment rien de décent à se mettre sous la dent sur ce qui restera probablement comme le plus mauvais album jamais publié par Bruce Springsteen. Qu'il soit heureux, pourquoi pas ? Qu'il veuille dédier son album à Obama, après tout : libre à lui ! Qu'il ait eu envie de publier un album léger... ça n'a rien de condamnable. Qu'il se mette à sonner Kiss (1) ("Outlaw Pete") ou Dire Straits ("Life Itself"), c'est nettement moins excusable.
Mais le plus triste dans tout ça, c'est peut-être le moment où parait ce disque. Il y a dix ans, Springsteen publiait le fabuleux coffret Tracks et confirmait qu'il était l'un des plus grands artistes vivants. Sa musique, pleine de fougue et de noblesse, était porteuse d'espoir. On est bien loin de tout ça aujourd'hui, et entre une situation strictement française catastrophique et une crise économique mondiale... on aurait bien eu besoin de l'auteur de "Thunder Road" plutôt que de ce drôle type subitement décalé qui se met à nous entonner des chansonnettes insignifiantes à la gloire de son copain Barack. Non vraiment... : vivement que les républicains reviennent au pouvoir, qu'on nous rende le vrai Boss. Parce que là on craint déjà le pire pour les prochains albums de Neil Young et de Pearl Jam.
👎👎 Working on a Dream
Bruce Springsteen | Columbia, 2009
Comme en témoignent les commentaires chez G.T., les blogueurs sont unanimes.
(1) Que j'aime bien d'ailleurs... là n'est pas la question, on attend tout de même plus de Springsteen que du rock FM calibré pour les stades !
J'ai perdu toute envie d'écouter l'album suite à la description dans les magazines de Queen Of The Supermarket. La sublimation à outrance de la working class ça va bien un moment, mais je n'ai pas l'impression, quand une demoiselle en fleur passe devant moi avec un chariot de patates, de contempler Cléopâtre sur son destrier indomptable. Ça n'enlève rien à la profonde sympathie que j'ai pour Springsteen, cela dit, j'irai bien voir sa page Facebook de temps à autres pour voir ce qu'il devient et ce qu'il a à offrir, comme ces vieux amis qui envoient des photos de leurs enfants à la chaîne, sans qu'on ose leur dire que leurs enfants sont de plus en plus ratés et qu'ils ont un peu perdu la main depuis vingt ans.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup votre réflexion... tout à fait juste.
RépondreSupprimerMouais... c'est pas joli joli de pomper sur les articles des autres... je tape sur le dernier Springtseen et "comme par hasard", tu fais la même chose une semaine plus tard... c'est quoi, la prochaine étape ? Tu vas écrire un article sur Twin Peaks en repiquant des trucs que je dis dans les commentaires de l'edito ou dans ceux de JJ Abrams ?^^
RépondreSupprimer(non, je dis ça parce que tu aurais pu préciser en début d'article qu'il a été écrit il y a un moment et que je t'ai grillé la politesse... afin d'éviter que certains croient ce que je dis ci-dessus...)
Sinon... tu as eu raison de le publier tout de même cet article... car au fond, il est assez différent du mien... et je le trouve mieux foutu et moins "facile" que le mien...
Je voyais pas trop l'intérêt de faire la précision d'entrée... vu que le premier commentaire sous le tien, c'est moi en train de dire ça, justement :-) C'est vrai cela dit que la prog' a été beaucoup plus décalée que je croyais, mais bon... c'est un peu le problème quand on essaie d'alterner de manière équitable musique et littérature ET maintenant séries ;-)
RépondreSupprimerPour ce qui est des compliments... ah, n'en fais pas trop, tu as sans doute livré pour ta part une écoute plus travaillée et attentive... alors que moi j'ai fait dans le pamphlet comme d'hab'. The Brain, ça reste toi (mais je ne suis pas Pinky)
D'accord sur la nullité de cet album (et on pourrait ajouter : la complaisance écœurante, de la critique), mais personnellement, je serais moins indulgent avec les disques de Springsteen, depuis 20 ans. Je l'ai beaucoup aimé dans les années 70, puis 80, mais ce qu'il a fait depuis, j'ai toujours trouvé cela terne. "Devil and Dust", c'est beau, mais barbant. "Lucky Town", ce n'est pas terrible, "Magic", c'est assez mauvais...Ce dernier album n'est, de mon point de vue, que l'aboutissement d'un déclin commencé il y a longtemps.
RépondreSupprimerBBB.
Oui alors là-dessus je ne suis pas sûr de pouvoir être d'accord. Ok ce ne sont pas les albums de Springsteen que j'écoute le plus souvent (quoique j'écoute D&D assez souvent, en fait), mais Springsteen était jusqu'alors toujours capable d'écrire de grandes choses (il y en a même sur The Rising, pourtant loin d'être son meilleur).
RépondreSupprimerCela n'empêche que les deux meilleurs albums du Boss, dans les années 2000, étaient le live à New York et le Pete Seeger, donc deux albums "non originaux"...
RépondreSupprimerBBB.
Bien essayé... mais :
RépondreSupprimer1/ vous n'avez apparemment pas dû écouter très attentivement We Shall Overcome... sans quoi vous auriez vu qu'on est bien au-delà d'un simple "album de reprises"
2/ le meilleur album du Boss dans les années 2000, c'est de toute façon Devils & Dust ;-)
Je ne trouve pas vraiment que tu fasses ici dans le pamphlet, c'est assez bien argumenté, posé, et juste... j'ai plutôt eu l'impression que c'est mon article qui allait un peu dans la facilité et le pamphlet...
RépondreSupprimer(Pinky ? The Brain ? c'est quoi ce truc ?)
Tu veux dire que j'aurais fait un lapsus ? MOI ? :-)
RépondreSupprimerPinky & The Brain, tu connais pas ? Ah... c'est pas de ta génération, c'est vrai... ;-)
http://www.youtube.com/watch?v=IQT5-zx_M-0
Faut quand même voir le bon côté des choses: écouter cet album, ca donne vachement envie de redécouvrir Born to Run au final.
RépondreSupprimerSinon, Pinky and the Brain, c'est post manichéen aussi, non?
Excellent :-)
RépondreSupprimerroh quel crâneur ce Thom, Pinky & the Brain!!!
RépondreSupprimerSortir le titre original de héros d'un DA... si ça c'est pas être snob :P
donc pour les francophones, il s'agissait de Minus et Cortex
C'est pas faux :-)
RépondreSupprimerMAIS j'ai une excellente excuse : je le regarde en VO depuis super longtemps (parce qu'on ne trouve jamais en VF sur le Net ni en dvd).
Quoiqu'il en soit... c'est vraiment un très bon DA, très drôle, très bien fichu... et un peu post-manichéen, comme dirait Guic' :)
Bon, ça y est, fallait bien que j'en parle aussi... Pas pour redire ce que tu dis très justement... Plus pour évoquer ce que ça fait d'avoir pour la première fois honte de vénérer Springsteen...
RépondreSupprimerhttp://7and7is.over-blog.com/article-27748220.html
Moi qui mettait tant d'espoir en ce nouvel album du Boss (enfin retrouver cette voix rauque brrr), et entre ta critique et celle de G.T. j'ai vite déchanté... surtout avec l'écoute du Boss/Kiss très ...hum...original...Mais je t'aime toujours Bruce!!!!!!!!
RépondreSupprimerCelui de Ska est encore plus désolé (ou désolant, selon où on se place) que le mien, je crois...
RépondreSupprimerCertes, mais moi aussi, je l'aime toujours, Bruce ! :-)
RépondreSupprimerTu sais quoi mettre sur ta banderole lors du prochain concert ;-)
RépondreSupprimer"I was made for loving you", un truc comme ça ? ;-)
RépondreSupprimerJe dois dire qu'elle est bien bonne, celle-là :-)
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