La vie est quand même mal fichue parfois. Mais alors... très mal fichue. Surtout quand il s'agit du Syndrome du breakthrough-album.
Hein ? Quoi ? Mais si voyons...: le breakthrough-album c'est ce disque qui, publié par un petit artiste habitué de l'underground, se met à cartonner parce qu'une radio s'est emparée d'un de ses singles ou qu'un directeur marketing a choisi l'une de ses chansons pour illustrer une pub. Or la particularité du breakthrough-album... c'est qu'il est bien souvent sinon mauvais, du moins pas du tout représentatif de l’œuvre dudit artiste. L'ami Guic' The Old, grand spécialiste du sujet, pourrait vous en donner mille exemples (le plus connu de toute l'histoire de la musique populaire étant bien sûr Let's Dance, de David Bowie).
Ce syndrome a beau avoir été théorisé en matière de musique, aucun genre artistique n'y échappe vraiment. Un exemple très connu, c'est celui de Stanley Kubrick avec Spartacus, simple film de commande... qui lui valut trente millions d'entrées, soit trente fois plus que tous ses films précédents... réunis. On pourrait en trouver d'autres. JMG Le Clézio, par exemple. Dernier Prix Nobel de littérature en date que, comme tout Prix Nobel qui se respecte, peu de gens ont lu ces quinze dernières années (même si bien entendu tout le monde prétendra le contraire... en attendant chaque fois que je demande à quelqu'un un titre de bouquin de Le Clézio sans qu'il ait google à proximité c'est la débandade). Et que, comme tout Prix Nobel qui se respecte (surtout s'il est cocoriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiico !!!), tout le monde va se mettre à lire dans les mois à venir (ç'a déjà commencé), ce qui ma foi est une excellente nouvelle - Le Clézio est un écrivain merveilleux.
Le dommage collatéral de cela c'est que son récent Ritournelle de la faim, sorti la semaine du prix, est devenu bien plus qu'un best-seller : un breakthrough-book. Ce qui est plus qu'ennuyeux dans la mesure ou ce roman qui l'est par ailleurs beaucoup (ennuyeux) ressemble plus souvent à du mauvais Modiano qu'à du Le Clézio, même moyen. Serait-ce son nom sur la couverture, on peinerait même probablement à reconnaître l'auteur d'Onitsha dans cette espèce de quête identitaire souvent misérabiliste et en tout cas dépourvue de la moindre once de créativité. Un comble de la part d'un des auteurs les plus brillants de sa génération, authentique bâtisseur d'univers doublé d'un styliste hors-pair.
Le style justement, c'est sans doute ce qui fait le plus mal dans Ritournelle de la faim. Ce n'est pas compliqué : on n'y retrouve absolument rien de la poésie, de la sensualité et de la classe folle caractéristiques d'un roman de Le Clézio. Sans doute par désir d'adapter l'écriture à l'histoire... peu importe à vrai dire : chaque page est un peu plus terne que la précédente, l'écriture est aride (pour personnifier la faim du titre ?), le foisonnement inhérent à tout livre de l'auteur absolument absent. Dommage, d'autant que le partie pris d'épuration stylistique est plus que discutable (en quoi n'aurait-il pas pu raconter exactement la même histoire avec ses mots - magiques - habituels ?) et débouche sur une austérité rendant le livre de plus en plus hermétique au fil des pages. Dès lors peu importe la construction tourbillonnante de l'histoire : on arrive jamais vraiment à la pénétrer, et c'est non sans tristesse que l'on regarde le grand, l'immense Le Clézio tomber successivement dans tous les pièges de l'autobiographie.
Car il ne faut pas s'y tromper : c'est bel et bien d'autobiographie (romancée) qu'il s'agit ; l'écrivain a beau jeu de prétendre raconter pudiquement l'histoire de sa mère, ce n'est jamais que de lui qu'il parle, de ses origines misérables et de ses blessures (plus vraiment) secrètes. Or allez comprendre pourquoi ce qui marche ailleurs ne marche pas ici... allez savoir pourquoi ce qu'on vénère chez Modiano laisse parfaitement de marbre chez Le Clézio... impossible à dire - aucune importance en fait : la magie n'opère pas, ces personnages qu'on imagine si familiers pour l'auteur ne prennent jamais chair aux yeux du lecteur, les situations stéréotypées s'amoncellent (car la base même de l'autobiographie ratée c'est de croire que ce qui est extraordinaire et fascinant pour nous le sera également pour les autres)... bien sûr on trouvera ici ou là quelques belles pages, bien sûr l'entreprise a quelque chose de touchant, et puis ce n'est pas si courant un écrivain qui prend autant de risques et change ses techniques comme ses thématiques de manière aussi radicale...
... il n'empêche que tout ça n'est pas suffisant pour faire un bon livre - aussi Ritournelle de la faim n'en est-il pas un. Que dire de plus ? Certains auteurs sont merveilleux lorsqu'il s'agit d'exposer leurs tourments intimes, d'autres sont de véritables virtuoses dès lors qu'ils décident de regarder au dehors et de parler des autres. Le Clézio, qui s'inscrit de toute évidence dans cette seconde catégorie, vient de signer un livre particulièrement égoïste. Souhaitons-lui un prompt rétablissement après cette douloureuse thérapie, et relisons ses grands livres passés.
👎 Ritournelle de la faim
Jean-Marie Gustave Le Clézio | Gallimard, 2008
Très bon article, plutôt représentatif de mon sentiment, face à ce ratage, incompréhensible.
RépondreSupprimerBBB.
David Bowie était underground avant let's Dance?
RépondreSupprimerPas underground (Le Clézio avant son prix non plus), mais relativement méconnu du grand-public... et l'est toujours d'ailleurs. Il ne faut pas confondre le mythe Bowie et ses ventes réelles, même Ziggy Stardust est loin d'être un des albums les plus successfull de tous les temps.
RépondreSupprimerC'est Le Clezio qui a composé Let's Dance ? b'en ça alors, ce qu'on apprends sur ces blogs musico-littéraires...
RépondreSupprimerj'ai vraiment du mal à me rendre compte de la popularité de Bowie. Pour rejoindre ton article, je me rappelle que beaucoup l'avaient découvert avec le "life on mars" pour la pub de la Poste dans les années 2000, ils avaient meme ressorti le single, ce qui donne quand meme un indice...
RépondreSupprimerPour les ventes, tu m'avais déjà appris qu'elles étaient loin de ce qu'on pouvait imaginer d'un tel artiste mythique. Après, tout dépend de la définition d'underground, et si on la lie aux ventes ou à la reconnaissance...
Ravi de me voir reconnu théoricien ;-) Au point que je sais même pas laquelle de mes théories fumeuses (à laquelle tu es parvenu à donner un nom, chose dont je suis incapable...) tu veux mentionner en réalité! (Celle du syndrome Muse, c'est ça?!)
RépondreSupprimerSinon, Bowie (comme la plupart des grands artistes)... aucun de ses albums n'est représentatif d'autre chose que de Bowie au moment ou il a sorti cet album , aucun ne pouvant vraiment résumer l'ensemble de ce qu'il est ou a fait.
(Sinon, Bowie, c'est pas que "Life on Mars" pour la poste, mais aussi "Heroes" pour Wanadoo, "Starman" pour SFR, et la pub Vittel que je me rappelle plus quel titre avait été pris...)
Christophe >>> t'as rien compris, c'est Modiano qui a composé "Modern Love".
RépondreSupprimerXavier >>> il ne s'agit pas tellement de sa popularité en tant que personne, mais de celle de sa musique.
Guic' >>> tu vois que tu as compris de quel syndrome je parlais, grand fou. Et bravo pour cette superbe liste ! La pub Vittel, c'était "Never Get Old".
Et sinon... il n'y a pas d'album représentatif en terme de genre musical abordé, mais il y en a de plus représentatif que d'autres en terme de recherche créative, d'ambitions, de thèmes, de gimmicks...
Muse? mais ils ont été vachement connus dès leur premier album non? quelle pub les aurait fait exploser?
RépondreSupprimerEt sinon... il n'y a pas d'album représentatif en terme de genre musical abordé, mais il y en a de plus représentatif que d'autres en terme de recherche créative, d'ambitions, de thèmes, de gimmicks...
RépondreSupprimerOuais, ok... n'importe quel album d'avant 83 ou d'après 93 en fait. Sauf Pin Ups.
Xavier: petit rappel du Syndrome Muse, avec l'exemple qui y a donné son nom (repompé sur mon explication du truc chez feue Laiezza):
- 1 er album, succès d'estime, début d'une "hype" autour du groupe (ses concerts sont sponsorisés par Oui FM)
- 2 eme album, plus recherché, apprécié par plus d'amateurs, mais on reste dnas le monde des amateurs de Rock ,on touche pas encore vraiment le grand public... Hype plus grosse, voire le début du "buzz". (Concerts sponsorisés par Le Mouv')
- 3 eme album (le plus important, celui qui décide si tu es Radiohead ou Linkin Park, les Pumpkins ou Placebo), plus loin dans la recherche (ou pas), explosion, succès public, début de la gloire. Sauf que les fans de la première heure ont déjà plus de mal à les suivre dans cette voie et commence à émettre de sévères réserves. (C'est là que commence le malentendu selon lequel on commence à aimer moins parce que c'est connu (sales snobs que nous sommes), alors que non, ça a du succès parce que c'est moins bien... paradoxe, quand tu nous tiens.)(Concerts sponsorisés par Europe 2, à l'époque)
-4 eme album, fort d'un succès public assez conséquent avec ce troisième album qui n'est pas son meilleur, le groupe pousse un peu plus loin sur cette lancée et publie une immonde daube en même temps qu'il remplit les stades. En plus il sort un single qui passe partout et en boucle (Starlight pour Muse, Bitter end pour Placebo, par exemple) qui assoit son succès "grand public" (Là c'est RTL 2 direct)
Ce détail pas à pas s'applique très bien à Muse et Placebo. Je ne connais malheureusement pas assez bien la carrière d'autres (ou était trop jeune pour suivre ça d'assez près, ou pas né...)
et pan sur JMG - c'est un peu aride comme commentaire mais je fais partie de ceux qui n'ont rien lu de lui :-))) (ah si des trucs pour enfants) alors...
RépondreSupprimerTiens... quelqu'un qui s'intéresse à l'article... ça fait tout drôle ;-)
RépondreSupprimerGuic, merci pour cette explication. Je ne pensais pas que Muse avait suivi ce parcours. Je crois que je suis trop immergé dans les passionés du rock pour me rendre compte de ce genre de phénomènes... pour moi Muse étaient des super stars dès le Muscle Museum.
RépondreSupprimerEn revanche je ne sui spas du tout d'accord pour Placebo, puisque j'adore Sleeping with ghosts. Mais bon, cela dépend des gouts, j'ai rencontré des gens qui appliquent ton principe aux Pumpkins! Moi je le collerai bien à Coldplay, par exemple...
désolé Thom, mais bon Le Clézio n'est pas assez Rock N Roll pour moi... pire, il me rappelle mon prof de francais de 4eme, qui avait osé me foutre un 2 à une rédaction!! ;)
oui je me faisais la même remarque... en même temps, quelle idée de mettre comme référence the Thin White Duke!
RépondreSupprimerForcément David Bowie VS Le Clézio... le match est très vite plié.
Ceci dit l'exemple de "Let's Dance" comme crossover-album me laisse quelque peu dubitatif. J'entends par là que le succès de L's D n'est pas venu par hasard. Certes on pouvait pas savoir à 100% que ce LP serait un succès, n'empêche que les compos ou la prod surfait diablement sur la vague. Bref Bowie s'était donné les moyens pour avoir un succès populaire selon moi...
OK ça contredit pas totalement la déf du crossover-album mais bon quand y'a intention de flatter le chaland, y'a une différence selon moi.
On pourra toujours me rétorquer que critiquer de la sorte le seul véritable succès de Bowie est snob... n'empêche qu'il est ultra fadasse ce LP. Et je vous parle même pas de la tournée qui a suivi, qui fut elle aussi un succès phénoménal... pourtant après l'écoute d'un bootleg de '83 (à la prise de son génial... fallait au moins qqch de bien...)... ultra bof... de la musique de supermarché? pas loin...
Moi j'aime bien, même si c'est loin d'être mon Bowie préféré. Je n'en dirais pas autant des deux suivants.
RépondreSupprimeril y a un groupe dont la musique est beaucoup utilisé en ce moment, Sporto kantes, et en particulier, le morceau whistle; et pourtant, l'abum est génial et du même acabit que ledit morceau :-)
RépondreSupprimerPour Muse, j'ajouterai quand même que "grâce à" de nombreux passage radios de 'unintended', le groupe était nettement plus gros à cette époque en France que dans son pays d'origine. Plus qu'un succès d'estime à mon avis.
RépondreSupprimerD'ailleurs je me rappelle les avoir vu peu après la sortie du premier album dans un Elysée Montmartre plein à craquer ce qui était loin d'être le cas au même moment d'Elliot Smith ou de k'Choice... ( maintenant presque n'importe qui remplirait l'Elysée Montmartre, les temps ont changé... )
Ah oui, j'oubliais de préciser un truc vachement important: L'album du "virage" (resp; Absolution pour Muse, et Sleeping with Ghosts pour Placebo est également l'album avec lequel le groupe réussit à cartonner... aux States.
RépondreSupprimerAutre point commun: ils ont été beaucoup plus "gros" en france que dans leur pays d'origine tous deux.
Bon, parlons littérature... Moi aussi, Yue-Yin, j'ai découvert Le Clézio avec ses romans jeunesse, qui m'ont donné envie d'aller plus loin. Ca, c'était au collège ! Et c'est vrai que de voir ses bouquins dans toutes les devantures suite au Nobel, ça m'a donné envie de le (re)découvrir. Ce n'est pas "Ritounelle de la faim" que j'ai lu, mais "Etoile errante", visiblement bien meilleur !
RépondreSupprimerDonc, tu as raison Thom, si d'être promu Nobel peut permettre à certains de lire Le Clézio, c'est une excellente chose.
Moi je trouve surtout que ça fait bizarre (de voir ses bouquins partout). Mais c'est en effet une excellente nouvelle. Les grands artistes ne cartonnent pas si souvent que ça.
RépondreSupprimerguic', Heroes a été jusqu'à la musique de 5 pubs SIMULTANEMENT au début des années 2000, or jusque là l'album du même titre était inconnu de la plupart, y compris de ceux qui avaient Ziggy chez eux ^^
RépondreSupprimer(en même temps il était déjà sur plusieurs compiles et best of officiels)
La pub c'est pas hyper représentatif, d'autant que comme l'écrivait jd beauvalet récemment, c'est souvent le seul moment d'entendre de la bonne musique sur la télé française (ce qui est si peu exagéré que c'en est déprimant)
C'est exagéré: il y a aussi les morceaux qui font tapis dans certains reportages.
RépondreSupprimerEn ce sens, une des meilleures emissions musicales francaises, c'est Stade 2.
Et Le Clézio il a joué dans quelle pub...? Ok, je sors :-D
RépondreSupprimerA mon avis, une agence de voyage !
RépondreSupprimer;)
BBB.
Attention, vous devenez drôle, en vieillissant ;-)
RépondreSupprimerBon alors, si sa réputation d'auteur barbant se vérifie dans sa ritournelle, sur quel titre devrait jeter son dévolu une aspirante lectrice qui n'a jamais ouvert un Le Clézio?
RépondreSupprimerAu passage, je me mets en mode bisounours pour te faire un chaleureux coucou-que-j-espère-que-tu-vas-bien :-))
C'est vrai qu'il peut arriver que Le Clézio soit un poil barbant... moi je trouve que Désert et Onitsha sont ses meilleurs. Sinon il y a aussi Hasard / Angoli Mala, recueil de récits assez courts et plutôt touchants.
RépondreSupprimerC'est noté! Je pense jeter mon dévolu sur Onitsha.
RépondreSupprimer