Certains artistes majeurs - et de préférence vétérans - sont comme de vieux copains que l'on retrouve régulièrement avec le plus grand plaisir. On a plein de très beaux souvenirs en commun, aucune garantie de revivre des choses exceptionnelles à l'avenir mais qu'importe - ils font presque partie de la famille. Bien sûr, il leur arrive de nous décevoir - mais quel ami n'a jamais été décevant après dix/quinze/vingt ans ? Au moins ont-ils cette personnalité propre, ce caractère si bien trempé qui fait qu'on les reconnaîtra toujours au premier coup d'oeil et qu'aucun de nos collègues de boulot ne saura jamais les supplanter dans notre coeur.
C'est probablement le seul point commun entre Depeche Mode et Neil Young que d'appartenir les uns et l'autre à cette catégorie d'artistes de premier ordre qui pour les gens de ma génération ont toujours été là, et sans lesquels notre monde n'aurait plus tout à fait son sens. Pour le reste... je ne crois pas utile de préciser qu'ils n'évoluent pas du tout dans le même genre, que leurs carrières respectives n'ont rien de comparable et qu'il fallait au moins un type tordu comme moi pour oser les glisser dans le même article.
Pourtant c'est un fait : leurs derniers albums aux autres et à l'un, Sound of the Universe d'une part, Fork in the Road de l'autre, me font à peu près le même effet... c'est à dire que pour être exact, ils ne m'en font pas vraiment. Ce sont de bons albums, de Depeche Mode dans le premier cas, de Neil Young dans le second. Dont aucun ne semble en mesure de révéler sur le long terme cet indicible petit truc en plus qui fait qu'on écoute encore longtemps après certains de leurs albums même mineurs.
Bien entendu leurs situations en 2009 n'ont quasiment rien de communs. Neil Young sort d'une décennie exceptionnelle de créativité autant que de productivité, entamée avec une doublette d'albums aussi mineurs qu'attachants (Silver & Gold, et Are You Passionate ?), poursuivie avec le retour fracassant du Crazy Horse (Greendale), à peine atténuée par le dispensable Prairie Wind et finalement conclue par deux des meilleurs opus de sa carrière : Living With War et Chrome Dreams II. N'importe quel artiste de plus cinquante ans ayant publié ne serait-ce qu'un seul de ces deux disques mériterait l'admiration du public. Alors un individus de presque soixante-cinq ans qui a publié les deux... les termes grâce et dignité semblent avoir été inventés pour lui.
A côté de ça Depeche Mode s'est montré infiniment plus discret : un disque en 2001 qui nous en a fait voir de toutes les couleurs (Exciter, d'abord enthousiasmant, puis chiant, pour finalement s'avérer plutôt sympathique), un autre remarquable en 2005 (Playing the Angel)... et c'est tout. Enfin non, évidemment ce n'est pas tout : il y a eu entre temps un certains nombre de stades bourrés à craquer, un album de remixes au succès considérable, des rééditions à s'en faire péter la sous-ventrière et au moins quatre dévédés. Discret, dans le cas d'un groupe qui n'a quasiment pas cessé de faire l'actu (le plus souvent de manière classieuse), ça reste très relatif. N'empêche que Sound of the Universe n'est que le troisième album du groupe dans les années deux mille... ce qui en fait autant que dans les années quatre-vingt-dix, sauf que cette fois-ci, même avec la meilleure volonté du monde (car il ne fait aucun doute que Depeche Mode soit l'un des groupes les plus importants des trente dernières années), impossible de parler de trilogie, de dégager une ligne une directrice d'une décennie durant laquelle Gore et Gahan n'auront eu de cesse de tromper leur monde (car on pourrait évoquer également les drôles d'albums soli de l'un et de l'autre...).
Rien de commun donc... mis à part que Neil Young comme Depeche Mode viennent de conclure la décennie avec deux albums aussi efficaces qu'inégaux, les montrant également planqués derrière la ligne Maginot de leurs fondamentaux. On ne peut pas réellement comparer les disques ; tout au plus peut-on constater que Sound of the Universe est sans doute un poil plus décevant que Fork in the Road - dans la mesure où Depeche Mode nous avait habitués à prendre bien plus de risques. Sur Playing the Angel, et même sur Exciter d'ailleurs (Cf. "Comatose") il y avait quelque chose de fascinant à voir un groupe plus que vingtenaire continuer à défricher des sons inédits, des instrumentations bizarroïdes, à prendre l'auditeur à revers. Rien de cela sur Sound of the Universe, peut-être le premier album de Depeche Mode où l'on ait réellement une sensation de (relative) redite. Non que Martin Gore se soit subitement mis à s'audiocopier... mais il y a dans le côté clairement eighties de ce nouvel album quelque chose de dérangeant de la part d'un groupe qui, pour n'avoir jamais renié son passé, avait cependant jusqu'ici toujours vécu les deux pieds dans son époque (souvenez-vous de la production dantesque de Playing the Angel). Entendre en 2009, sur un disque de Depeche Mode, un titre comme "Peace"... ça fait quand même tout drôle. Ou "Come Back", qui n'aurait assurément pas dépareillé sur Ultra (album certes très en avance sur son temps). En fait on s'aperçoit assez vite que Sound of the Universe, un peu comme le dernier PJ Harvey (dans un registre totalement différent bien sûr) n'a pas vraiment de couleur qui lui soit propre - ou plutôt comme le suggère la pochette en a-t-il peut-être trop. Depeche Mode étant ce qu'il est, c'est à dire un combo fabuleux, Sound of the Universe n'est évidemment pas à jeter : "Wrong" est monumentale, "In Chains" splendide... la première partie de l'album est globalement de haute-tenue et est difficilement critiquable, sauf à détester la synth-pop (mais à ce moment là à quoi bon écouter Depeche Mode). Simplement l'ensemble garde un petit goût d'inachevé, et si je ne sais plus quel critique a rappelé à fort juste titre que ce disque faisait sans problème la nique à toute l'electro-pop contemporaine... faut voir aussi le niveau de ladite electro-pop en 2009...
On pourrait presque écrire pareil du Neil Young en changeant les titres des morceaux (et en remplaçant synth-pop par folk-rock, bien sûr). Fork in the Road est - quelle surprise - un album de Neil Young, un Neil Young plutôt électrique pour être exact... mais sans cette petite valeur ajoutée qui rendait Chrome Dreams II exceptionnel. Après une ouverture saignante ("When World Collides" et "Fuel Line") le disque s'enlise un peu dans des trucs mineurs et/ou répétitifs ("Get Behind the Wheel"), dont on ne perçoit pas toujours l'intérêt ni la vision. Il faut dire aussi que Neil Young, s'il ne nous a plus étonnés depuis longtemps en prenant des risques inconsidérés, a ces dernières années toujours proposé des albums particulièrement écrits et réfléchis, pas forcément tous conceptuels comme Greendale, mais le plus souvent (et même toujours, en fait...) pourvus d'une trame cohérente qu'on peine à entrevoir ici. Si Fork in the Road devait être rapproché de quelque chose, ce serait donc probablement de Silver & Gold (2000) : une compilation de chansons carrées aux entournures, parfois très bonnes ("Off the Road"), mais manquant un peu trop de liant pour aspirer à la majesté des chefs-d'oeuvre d'antan...
C'est probablement le seul point commun entre Depeche Mode et Neil Young que d'appartenir les uns et l'autre à cette catégorie d'artistes de premier ordre qui pour les gens de ma génération ont toujours été là, et sans lesquels notre monde n'aurait plus tout à fait son sens. Pour le reste... je ne crois pas utile de préciser qu'ils n'évoluent pas du tout dans le même genre, que leurs carrières respectives n'ont rien de comparable et qu'il fallait au moins un type tordu comme moi pour oser les glisser dans le même article.
Pourtant c'est un fait : leurs derniers albums aux autres et à l'un, Sound of the Universe d'une part, Fork in the Road de l'autre, me font à peu près le même effet... c'est à dire que pour être exact, ils ne m'en font pas vraiment. Ce sont de bons albums, de Depeche Mode dans le premier cas, de Neil Young dans le second. Dont aucun ne semble en mesure de révéler sur le long terme cet indicible petit truc en plus qui fait qu'on écoute encore longtemps après certains de leurs albums même mineurs.
Bien entendu leurs situations en 2009 n'ont quasiment rien de communs. Neil Young sort d'une décennie exceptionnelle de créativité autant que de productivité, entamée avec une doublette d'albums aussi mineurs qu'attachants (Silver & Gold, et Are You Passionate ?), poursuivie avec le retour fracassant du Crazy Horse (Greendale), à peine atténuée par le dispensable Prairie Wind et finalement conclue par deux des meilleurs opus de sa carrière : Living With War et Chrome Dreams II. N'importe quel artiste de plus cinquante ans ayant publié ne serait-ce qu'un seul de ces deux disques mériterait l'admiration du public. Alors un individus de presque soixante-cinq ans qui a publié les deux... les termes grâce et dignité semblent avoir été inventés pour lui.
A côté de ça Depeche Mode s'est montré infiniment plus discret : un disque en 2001 qui nous en a fait voir de toutes les couleurs (Exciter, d'abord enthousiasmant, puis chiant, pour finalement s'avérer plutôt sympathique), un autre remarquable en 2005 (Playing the Angel)... et c'est tout. Enfin non, évidemment ce n'est pas tout : il y a eu entre temps un certains nombre de stades bourrés à craquer, un album de remixes au succès considérable, des rééditions à s'en faire péter la sous-ventrière et au moins quatre dévédés. Discret, dans le cas d'un groupe qui n'a quasiment pas cessé de faire l'actu (le plus souvent de manière classieuse), ça reste très relatif. N'empêche que Sound of the Universe n'est que le troisième album du groupe dans les années deux mille... ce qui en fait autant que dans les années quatre-vingt-dix, sauf que cette fois-ci, même avec la meilleure volonté du monde (car il ne fait aucun doute que Depeche Mode soit l'un des groupes les plus importants des trente dernières années), impossible de parler de trilogie, de dégager une ligne une directrice d'une décennie durant laquelle Gore et Gahan n'auront eu de cesse de tromper leur monde (car on pourrait évoquer également les drôles d'albums soli de l'un et de l'autre...).
Rien de commun donc... mis à part que Neil Young comme Depeche Mode viennent de conclure la décennie avec deux albums aussi efficaces qu'inégaux, les montrant également planqués derrière la ligne Maginot de leurs fondamentaux. On ne peut pas réellement comparer les disques ; tout au plus peut-on constater que Sound of the Universe est sans doute un poil plus décevant que Fork in the Road - dans la mesure où Depeche Mode nous avait habitués à prendre bien plus de risques. Sur Playing the Angel, et même sur Exciter d'ailleurs (Cf. "Comatose") il y avait quelque chose de fascinant à voir un groupe plus que vingtenaire continuer à défricher des sons inédits, des instrumentations bizarroïdes, à prendre l'auditeur à revers. Rien de cela sur Sound of the Universe, peut-être le premier album de Depeche Mode où l'on ait réellement une sensation de (relative) redite. Non que Martin Gore se soit subitement mis à s'audiocopier... mais il y a dans le côté clairement eighties de ce nouvel album quelque chose de dérangeant de la part d'un groupe qui, pour n'avoir jamais renié son passé, avait cependant jusqu'ici toujours vécu les deux pieds dans son époque (souvenez-vous de la production dantesque de Playing the Angel). Entendre en 2009, sur un disque de Depeche Mode, un titre comme "Peace"... ça fait quand même tout drôle. Ou "Come Back", qui n'aurait assurément pas dépareillé sur Ultra (album certes très en avance sur son temps). En fait on s'aperçoit assez vite que Sound of the Universe, un peu comme le dernier PJ Harvey (dans un registre totalement différent bien sûr) n'a pas vraiment de couleur qui lui soit propre - ou plutôt comme le suggère la pochette en a-t-il peut-être trop. Depeche Mode étant ce qu'il est, c'est à dire un combo fabuleux, Sound of the Universe n'est évidemment pas à jeter : "Wrong" est monumentale, "In Chains" splendide... la première partie de l'album est globalement de haute-tenue et est difficilement critiquable, sauf à détester la synth-pop (mais à ce moment là à quoi bon écouter Depeche Mode). Simplement l'ensemble garde un petit goût d'inachevé, et si je ne sais plus quel critique a rappelé à fort juste titre que ce disque faisait sans problème la nique à toute l'electro-pop contemporaine... faut voir aussi le niveau de ladite electro-pop en 2009...
On pourrait presque écrire pareil du Neil Young en changeant les titres des morceaux (et en remplaçant synth-pop par folk-rock, bien sûr). Fork in the Road est - quelle surprise - un album de Neil Young, un Neil Young plutôt électrique pour être exact... mais sans cette petite valeur ajoutée qui rendait Chrome Dreams II exceptionnel. Après une ouverture saignante ("When World Collides" et "Fuel Line") le disque s'enlise un peu dans des trucs mineurs et/ou répétitifs ("Get Behind the Wheel"), dont on ne perçoit pas toujours l'intérêt ni la vision. Il faut dire aussi que Neil Young, s'il ne nous a plus étonnés depuis longtemps en prenant des risques inconsidérés, a ces dernières années toujours proposé des albums particulièrement écrits et réfléchis, pas forcément tous conceptuels comme Greendale, mais le plus souvent (et même toujours, en fait...) pourvus d'une trame cohérente qu'on peine à entrevoir ici. Si Fork in the Road devait être rapproché de quelque chose, ce serait donc probablement de Silver & Gold (2000) : une compilation de chansons carrées aux entournures, parfois très bonnes ("Off the Road"), mais manquant un peu trop de liant pour aspirer à la majesté des chefs-d'oeuvre d'antan...
👍 Fork in the Road
Neil Young | Reprise, 2009
👍 Sound of the Universe
Depeche Mode | Mute, 2009
Mais, sauf erreur de ma part, il y a bien un concept, non, sur "Fork In The Road" ?
RépondreSupprimer(ce qui n'annule pas, cependant, votre remarque)
BBB.
En effet... mais bon, soyons francs : un concept est-ce que c'est juste parce que l'artiste dit qu'il y en a un, ou bien parce qu'on le constate soi-même ?...
RépondreSupprimerPas faux. Je voulais juste faire la précision (être sûr que vous le saviez, si vous voulez).
RépondreSupprimerBBB.
j'ai déjà dit tout le bien que je pensais du dernier DM: production fadasse, titres très inégales (et justement en aucun cas aidés par cette production foireuse).
RépondreSupprimerAlbum moyen donc... mais qui reste acceptable vu l'âge du combo... n'empêche qu'ils nous avaient habitué à tellement mieux qu'on est en droit de faire la fine bouche égoïstement.
Pour le loner, j'avoue que je n'ai pas encore osé poser une oreille dessus. Peur d'être déçu? Oui un peu de ça...
BBB. >>> ne pas le savoir ? Ah ah, quel humour :-)
RépondreSupprimerDoc >>> Effectivement, on peut le voir comme ça : ils ont concilié longévité et virtuosité pendant beaucoup plus longtemps que la moyenne, on peut donc leur pardonner que cet album-là ne soit pas exceptionnel (même si cela dit il y a tout de même gros quart de l'album que je trouve de haute tenue). Ce qui est marrant c'est que niveau prod, il y ait un tel écart de niveau avec PTA... alors que c'est le même producteur :-/
J'écoutais Depech Mode quand j'avais 20 ans, mais je suis bien infoutue de reconnaître un de leur disque actuel... Ah ça ne nous rajeunit pas, tout ça !
RépondreSupprimerCe qui me fait penser que j'ai oublié de mettre le traditionnel extrait musical à la fin de l'article... quelle tête en l'air !
RépondreSupprimerLe véritable point commun entre ces deux albums reste leurs pochettes... moches.
RépondreSupprimerA part ça, moi, jeunôt qui ne connaissais de Depeche Mode que "Enjoy the Silence", j'ai découvert le groupe avec ce Sounds of the Universe, et je le trouve tout à fait sympathique.
Oui, évidemment, vu comme ça... c'est cool, il te reste le meilleur à venir :-)
RépondreSupprimer