...
Que les rieurs rient donc, que les langues de vipères s’exercent du mieux (enfin : du pire) qu’elles peuvent, que les vieux tournent en dérision les goûts des kids… rien n’y fera : Green Day demeurera, que ça plaise ou non, l’un des groupes majeurs de sa génération. On pourra toujours en rire, trouver éminamment drôle qu’un trio de crétins autoproclammés se soient retrouvés par la grâce d’un single fédérateur ("Bvd. of Broken Dreams", il y a cinq ans) icônes des ados du monde entier… le fait est là, d’autant plus difficilement contestable que Green Day s’est appliqué depuis vingt ans à traverser toutes les étapes obligées pour accéder au titre très envié de plus grand groupe du monde. Révélation à Oakland à la fin des années 80, concerts incendiaires créant un début d’intérêt, poignée de singles confidentiels… Green Day acquiert rapidement le statut de chouchou de l’underground punk local, signé sur le très Do It Yourself label Lookout!. Sa popularité enfle à vitesse grand V, MTV décide un matin d’inventer un revival punk, Green Day se retrouve sous les feux de la rampe presque malgré lui. Millions d’exemplaires de Dookie vendus, tournées mondiales, chambres d’hôtel justement ravagées s’assortissent de l’inévitable détestation de la part du public indie. Les gardiens du Temple Punk, visiblement peu au fait de ce qui se racontait dans les chansons des Ramones, crient au scandale face à la pauvreté du discours volontairement bête et méchant d’un groupe dont on oublie déjà trop souvent de préciser qu’il est aussi, accessoirement, une redoutable machine de guerre pop (à moins que ce soit justement là ce qu’on lui reproche) dopée aux Kinks.
La mode passée vient l’heure de la traversée du désert. Deux albums courageux (et, comme toujours, gorgés de hits en puissance) tombent dans l’oubli, coupables aux oreilles des jeunes de sonner un peu vieux, à peine si l’impétueux single "Minority" vient régaler les oreilles françaises. La suite est connue : alors que beaucoup considèrent un groupe que de toute façon ils détestaient déjà comme fini, arrivent les années 2000, un album puissant et deux tubes planétaires. À déjà trente-deux ans, Billie Joe Armstrong connaît le bonheur d’une seconde chance. La plupart des gamins qui viennent à ses concerts pour s’éclater les cordes vocales à coup d’"American Idiot" et autres "Holiday" ne connaissent pas les "Basket Case" et autres "Brat" – la réhabilitation publique est en marche. Vraiment ? Oui, oui, vraiment. Green Day remplit les stades, Green Day truste les antennes FM, Green Day monopolise les couvertures de magazines. Quelques réfractaires succombent, dans le pire des cas les autres se réjouissent d’entendre des guitares saturées sur les ondes plutôt que du R&B bas de front.
Pourtant bizarrement, nombreux étaient les fans à craindre le pire pour la suite. Sans doute parce qu’ils connaissaient trop bien l’histoire du rock : après un album comme American Idiot, au succès interplanétaire et aux défauts contenus en germe dans ses plus grandes qualités (il suffit de préciser pour ceux qui ne le sauraient pas que c’était un… opéra rock, excellent soit, mais opéra rock tout de même !), on ne connaît guère que deux cas de figure : soit le groupe part vers autre chose… soit il remet le couvert et se viande lamentablement, encouragé par le succès dans une voie au terme de laquelle il ne pouvait que se perdre.
Sans être lamentable, 21st Century Breakdown s’inscrit de toute évidence dans cette seconde catégorie. Au point de mettre mal à l’aise : comme c’est Green Day et que le groupe a déjà bien assez de détracteurs sans que les amateurs s’y mettent, c’est à peine si l’on ose s’y coller. Et pourtant, force est de reconnaître que ce septième album est un album raté. Tout simplement. Pire : il est extrêmement difficile à défendre, même en étant de mauvaise foi. Aucun adulte responsable, à plus forte raison s’il a adoré Nimrod ou Warning:, ne pourra décemment aimer un disque tellement poussif qu’on peine à l’écouter jusqu’au bout. Les trois premiers morceaux, notamment, sont un désastre : intro pompière ridicule, morceau éponyme navrant, single ("Know Your Enemy") frisant l’auto-parodie… il faut attendre la nerveuse "¡Viva Gloria!" (qui rappelle parfois … And You Will Know Us By The Trail Of Dead) pour retrouver un peu du Green Day qu’on aime, celui qui toutes guitares dehors nous arrose de mélodies bondissantes.
Problème : de mélodies, 21st Century Breakdown manque cruellement. Tout comme de guitares, d’ailleurs. Encore plus de punk. Subitement l’album de Foxboro Hot Tubs l’an passé, qui montrait le groupe s’adonner sous pseudonyme a un garage-rock sympathique et efficace, prend un tout autre sens : Stop Drop & Roll, bien qu’imparfait, était l’antithèse parfaite de 21st Century Breakdown, en cela qu’on y trouvait devinez quoi ? Des mélodies, des guitares, et même du punk. Rien avoir avec ce "Before the Lobotomy" à l’héroïsme grossier faisant passer Simple Minds pour un groupe minimaliste. La production de Butch Vig n’aide pas vraiment : si vous vous êtes toujours demandés pourquoi Kurt Cobain ne pouvait pas le saquer et avait demandé à Andy Wallace de remixer Nevermind, la réponse est contenue en substance dans le son du dernier Green Day. Réussir à se faire passer pour un grand producteur de rock tout en ayant une capacité à lisser tout ce qui se dépasse ou ripe, voilà une prouesse que seul le malin Butch a jamais su réaliser dans l’histoire de la musique. Désastreux (comme souvent), son travail sur cet album rend inoffensives les (rares) bonnes idées du groupe, comme le rageur (enfin on suppose - avec une telle prod il semble armé de dents de lait) "Christian’s Infermo" ou la rythmique brisée d’"East Jesus Nowhere". Aussi incroyable que ça puisse paraître, tout ce petit monde semble bien plus à l’aise sur les ballades… quel dommage qu’elles soient complètement insipides, à des années lumières des "Time of Your Life", "Walking Alone", "Macy’s Day Parade" et autres "Gimme Novocaine Ice d’antan".
Il serait certes injuste de noircir le tableau en faisant l’impasse sur les deux très bons titres placés en milieu d’album. "Peacemaker" (le seul à être bien produit) rappelle les meilleures moments de Warning: ; "Last of the American Girls" est un de ces titres à la Smashing Pumpkins que Green Day a toujours aimé à glisser sur ses disques. La seconde moitié de l’album est dans l’ensemble de meilleure facture, avec l’amusante "¿Viva Gloria? (Little Girl)", le typiquement « greendesque » "American Eulogy", le sympathique final "See the Light" (qui rappelle inévitablement le "Won’t Get Fooled Again" des Who)… on n’est pas en face d’un groupe ayant perdu son âme comme on aurait pu le craindre, plutôt d’un trio s’étant trompé de chemin. L’inspiration mélodique ne peut que souffrir lorsqu’on se jette dans une telle chausse-trappe artistique (opéra rock, opéra rock, opéra rock… quel groupe a jamais survécu à ça ?), et lorsqu’on constate, un peu dépité, que le meilleur titre de l’album, "Horseshoes & Handgrenades", n’est qu’un pauvre plagiat des Hives, la folie garage-punk en moins… on se dit que Billie Joe Armstrong a définitivement cassé sa boussole. Car quelle était la démarche de cet album, au fait ? Mis à part bien sûr de tenter d’écrire son Tommy, ou mieux : son Warehouse, Song & Stories – soit donc le concept-album power-pop ultime signé par son froupe favori, Hüsker Dü ? Auquel cas le plantage est total : d’une part, son Warehouse à lui était déjà sorti (c’était bien sûr American Idiot) ; et d’autre part, en tant que fan il aurait tout de même pu savoir que Warehouse avait sonné le glas de la carrière de Bob Mould et de son groupe. Un peu pour la même raison que 21st Century Breakdown est raté, d’ailleurs : parce que si être ambitieux et s’essayer à d’autres styles est toujours salvateur, ça n’est jamais une bonne idée de remiser ses fondamentaux au vestiaire. Longtemps plus dignes rejetons des Ramones, les trois membres de Green Day chantent aujourd’hui "21 Guns", très joli titre que n’auraient pas renié Elton John ou Freddie Mercury. On murmure que là où il est, Joey Ramone aurait commencé des démarches pour les déshériter.
Que les rieurs rient donc, que les langues de vipères s’exercent du mieux (enfin : du pire) qu’elles peuvent, que les vieux tournent en dérision les goûts des kids… rien n’y fera : Green Day demeurera, que ça plaise ou non, l’un des groupes majeurs de sa génération. On pourra toujours en rire, trouver éminamment drôle qu’un trio de crétins autoproclammés se soient retrouvés par la grâce d’un single fédérateur ("Bvd. of Broken Dreams", il y a cinq ans) icônes des ados du monde entier… le fait est là, d’autant plus difficilement contestable que Green Day s’est appliqué depuis vingt ans à traverser toutes les étapes obligées pour accéder au titre très envié de plus grand groupe du monde. Révélation à Oakland à la fin des années 80, concerts incendiaires créant un début d’intérêt, poignée de singles confidentiels… Green Day acquiert rapidement le statut de chouchou de l’underground punk local, signé sur le très Do It Yourself label Lookout!. Sa popularité enfle à vitesse grand V, MTV décide un matin d’inventer un revival punk, Green Day se retrouve sous les feux de la rampe presque malgré lui. Millions d’exemplaires de Dookie vendus, tournées mondiales, chambres d’hôtel justement ravagées s’assortissent de l’inévitable détestation de la part du public indie. Les gardiens du Temple Punk, visiblement peu au fait de ce qui se racontait dans les chansons des Ramones, crient au scandale face à la pauvreté du discours volontairement bête et méchant d’un groupe dont on oublie déjà trop souvent de préciser qu’il est aussi, accessoirement, une redoutable machine de guerre pop (à moins que ce soit justement là ce qu’on lui reproche) dopée aux Kinks.
La mode passée vient l’heure de la traversée du désert. Deux albums courageux (et, comme toujours, gorgés de hits en puissance) tombent dans l’oubli, coupables aux oreilles des jeunes de sonner un peu vieux, à peine si l’impétueux single "Minority" vient régaler les oreilles françaises. La suite est connue : alors que beaucoup considèrent un groupe que de toute façon ils détestaient déjà comme fini, arrivent les années 2000, un album puissant et deux tubes planétaires. À déjà trente-deux ans, Billie Joe Armstrong connaît le bonheur d’une seconde chance. La plupart des gamins qui viennent à ses concerts pour s’éclater les cordes vocales à coup d’"American Idiot" et autres "Holiday" ne connaissent pas les "Basket Case" et autres "Brat" – la réhabilitation publique est en marche. Vraiment ? Oui, oui, vraiment. Green Day remplit les stades, Green Day truste les antennes FM, Green Day monopolise les couvertures de magazines. Quelques réfractaires succombent, dans le pire des cas les autres se réjouissent d’entendre des guitares saturées sur les ondes plutôt que du R&B bas de front.
Pourtant bizarrement, nombreux étaient les fans à craindre le pire pour la suite. Sans doute parce qu’ils connaissaient trop bien l’histoire du rock : après un album comme American Idiot, au succès interplanétaire et aux défauts contenus en germe dans ses plus grandes qualités (il suffit de préciser pour ceux qui ne le sauraient pas que c’était un… opéra rock, excellent soit, mais opéra rock tout de même !), on ne connaît guère que deux cas de figure : soit le groupe part vers autre chose… soit il remet le couvert et se viande lamentablement, encouragé par le succès dans une voie au terme de laquelle il ne pouvait que se perdre.
Sans être lamentable, 21st Century Breakdown s’inscrit de toute évidence dans cette seconde catégorie. Au point de mettre mal à l’aise : comme c’est Green Day et que le groupe a déjà bien assez de détracteurs sans que les amateurs s’y mettent, c’est à peine si l’on ose s’y coller. Et pourtant, force est de reconnaître que ce septième album est un album raté. Tout simplement. Pire : il est extrêmement difficile à défendre, même en étant de mauvaise foi. Aucun adulte responsable, à plus forte raison s’il a adoré Nimrod ou Warning:, ne pourra décemment aimer un disque tellement poussif qu’on peine à l’écouter jusqu’au bout. Les trois premiers morceaux, notamment, sont un désastre : intro pompière ridicule, morceau éponyme navrant, single ("Know Your Enemy") frisant l’auto-parodie… il faut attendre la nerveuse "¡Viva Gloria!" (qui rappelle parfois … And You Will Know Us By The Trail Of Dead) pour retrouver un peu du Green Day qu’on aime, celui qui toutes guitares dehors nous arrose de mélodies bondissantes.
Problème : de mélodies, 21st Century Breakdown manque cruellement. Tout comme de guitares, d’ailleurs. Encore plus de punk. Subitement l’album de Foxboro Hot Tubs l’an passé, qui montrait le groupe s’adonner sous pseudonyme a un garage-rock sympathique et efficace, prend un tout autre sens : Stop Drop & Roll, bien qu’imparfait, était l’antithèse parfaite de 21st Century Breakdown, en cela qu’on y trouvait devinez quoi ? Des mélodies, des guitares, et même du punk. Rien avoir avec ce "Before the Lobotomy" à l’héroïsme grossier faisant passer Simple Minds pour un groupe minimaliste. La production de Butch Vig n’aide pas vraiment : si vous vous êtes toujours demandés pourquoi Kurt Cobain ne pouvait pas le saquer et avait demandé à Andy Wallace de remixer Nevermind, la réponse est contenue en substance dans le son du dernier Green Day. Réussir à se faire passer pour un grand producteur de rock tout en ayant une capacité à lisser tout ce qui se dépasse ou ripe, voilà une prouesse que seul le malin Butch a jamais su réaliser dans l’histoire de la musique. Désastreux (comme souvent), son travail sur cet album rend inoffensives les (rares) bonnes idées du groupe, comme le rageur (enfin on suppose - avec une telle prod il semble armé de dents de lait) "Christian’s Infermo" ou la rythmique brisée d’"East Jesus Nowhere". Aussi incroyable que ça puisse paraître, tout ce petit monde semble bien plus à l’aise sur les ballades… quel dommage qu’elles soient complètement insipides, à des années lumières des "Time of Your Life", "Walking Alone", "Macy’s Day Parade" et autres "Gimme Novocaine Ice d’antan".
Il serait certes injuste de noircir le tableau en faisant l’impasse sur les deux très bons titres placés en milieu d’album. "Peacemaker" (le seul à être bien produit) rappelle les meilleures moments de Warning: ; "Last of the American Girls" est un de ces titres à la Smashing Pumpkins que Green Day a toujours aimé à glisser sur ses disques. La seconde moitié de l’album est dans l’ensemble de meilleure facture, avec l’amusante "¿Viva Gloria? (Little Girl)", le typiquement « greendesque » "American Eulogy", le sympathique final "See the Light" (qui rappelle inévitablement le "Won’t Get Fooled Again" des Who)… on n’est pas en face d’un groupe ayant perdu son âme comme on aurait pu le craindre, plutôt d’un trio s’étant trompé de chemin. L’inspiration mélodique ne peut que souffrir lorsqu’on se jette dans une telle chausse-trappe artistique (opéra rock, opéra rock, opéra rock… quel groupe a jamais survécu à ça ?), et lorsqu’on constate, un peu dépité, que le meilleur titre de l’album, "Horseshoes & Handgrenades", n’est qu’un pauvre plagiat des Hives, la folie garage-punk en moins… on se dit que Billie Joe Armstrong a définitivement cassé sa boussole. Car quelle était la démarche de cet album, au fait ? Mis à part bien sûr de tenter d’écrire son Tommy, ou mieux : son Warehouse, Song & Stories – soit donc le concept-album power-pop ultime signé par son froupe favori, Hüsker Dü ? Auquel cas le plantage est total : d’une part, son Warehouse à lui était déjà sorti (c’était bien sûr American Idiot) ; et d’autre part, en tant que fan il aurait tout de même pu savoir que Warehouse avait sonné le glas de la carrière de Bob Mould et de son groupe. Un peu pour la même raison que 21st Century Breakdown est raté, d’ailleurs : parce que si être ambitieux et s’essayer à d’autres styles est toujours salvateur, ça n’est jamais une bonne idée de remiser ses fondamentaux au vestiaire. Longtemps plus dignes rejetons des Ramones, les trois membres de Green Day chantent aujourd’hui "21 Guns", très joli titre que n’auraient pas renié Elton John ou Freddie Mercury. On murmure que là où il est, Joey Ramone aurait commencé des démarches pour les déshériter.
👎 21st Century Breakdown
Green Day | Reprise, 2009