"Sa Majesté avait l'oeil encapoté mais vif, quoique tiré vers le bas, un nez qui pointait pour occuper tout le milieu du visage, le cheveu sombre et ondulant comme des vaguelettes peignées. Même parvenu, Notre Précieux Souverain ne trouva point la paix en lui-même, tant il restait secoué en continu par des nervosités. Qui l'a vu fixe et arrêté ? Il ne bougeait que par ressorts. Si vous le retardiez dans sa course, vous démontiez la machine [...] Il ne tenait pas en place. Quand il parlait au public, plusieurs fois dans la même journée, il se rengorgeait ainsi qu'un pigeon et se livrait à de curieuses contorsions pour animer ses dires, dont la teneur importait peu car ses discours valaient par leur forme plutôt que par un fond très changeant selon les auditoires..."
Ce n'est pas le moindre des mérites de Patrick Rambaud que d'avoir su simultanément remettre à la mode le pamphlet, le pastiche, le grand style et Saint-Simon. On en cite le début en exergue, ça coule de source, on aurait envie de tout citer, de recopier des pages et des pages des livres tant ils sonnent juste et fort. Mais on s'y tromperait lourdement : ce serait réduire le texte plutôt que le défendre, et de réduction les Chroniques de Nicolas 1er ont déjà soupé. Il me semble.
C'est qu'on aura beau écrire des articles fleuves sur la question, le non-lecteur n'en retiendra jamais qu'une seule chose : Patrick Rambaud a écrit deux pamphlets anti-Sarkozy, et c'est très bien. Or si l'assertion n'a rien de faux (quoiqu'elle soit inexacte : c'est très très bien, en fait), on n'insistera jamais assez sur le fait que l'auteur de La Bataille (mais aussi - surtout - de Comment se tuer sans en avoir l'air) fait ici oeuvre de littérature, le fond (souvent corrosif) n'ayant d'égal que la forme. Soit donc une plume brillante à souhaits, tantôt sarcastique et tantôt véhémente, hantée par le fantôme de Saint-Simon soit... mais nettement plus influencée par Voltaire, Swift ou même le Philip Roth anti-Nixon d'Our Gang, dont on retrouve le goût pour l'absurde-qui-ne-l'est-pas-tant-que-ça-puisque-tout-y-est-vrai. Aussi à l'aise dans le portrait que dans la narration pure, Rambaud réalise peut-être même ici ses meilleures pages - en tout cas les plus enlevées.
De la première (qui vient de sortir en poche) ou de la seconde chronique (parue il y a quelques mois), aucune ne prend vraiment le pas sur l'autre. Elles se ressemblent tout en affichant leurs différences, leur ton étant dicté par la réactivité de l'auteur face à son sujet. La première, donc, sera plus clairement loufoque, pointant les travers, les décalages, nourrissant un personnage romanesque à nul autre pareil. Le sujet fut amplement commenté depuis deux ans, et si toutefois Notre Seigneur Adulé avait eu un seul mérite, ce serait bien d'avoir redonné aux romanciers français le goût de l'actualité, de l'histoire récente, de la politique fiction ou de la littérature engagée. Un comble, pour un type aussi farouchement anti-intellos.
La seconde chronique, qui commence avec la visite de Kadhafi, ne pouvait être que plus mordante et plus sombre : on s'approche d'une ère plus contemporaine, d'une ère où l'on a plus souvent eu envie de s'indigner que de rire (*). Et alors que l'on aurait plus craindre que l'inévitable décalage entre les évènements narrés et leur publication donne l'impression d'un Rambaud arrivant après la bataille, c'est exactement l'inverse qui se passe : la Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er semble incroyablement salutaire face à une vie gouvernementale dont chaque séquence chasse l'autre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Un authentique acte de résistance face à l'étourdissement de la critique tel que le manie Notre Précieux Souverain, un kärcher de première pour dissiper les écrans de fumée. Et le meilleur reste peut-être à venir : Patrick Rambaud a annoncé qu'il publierait une chronique par an jusqu'au terme du quinquennat. On en salive d'avance.
👍👍 Chronique du règne de Nicolas 1er & Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er
Patrick Rambaud | Grasset (2008-09)
(*) C'est l'époque de cette chronique, par exemple.
Sans le moindre doute possible, Patrick Rambaud a fait, dans ces deux livres, un travail remarquable. Rien que pour cela, on rêverait de voir Sarkozy réélu...non, quand même pas!
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BBB.
Heu... juste lol. Voila, c'est tout.
RépondreSupprimerSarkozy, un personnage romanesque... non vraiment je trouve qu'il n'y a rien de tel chez lui. Sa conduite n'est pas dictée par un dessein qui le dépasse mais par l'ambition, le fric et le paraître :-(
RépondreSupprimerRastignac aussi...
RépondreSupprimerRien à dire sur ce très bon billet, qui résume très bien mon ressenti après lecture de ces deux très bons livres. Plutôt que "romanesque", j'aurais dit de "bande-dessinée", cependant. H.
RépondreSupprimerOui... au sens des caricatures, alors.
RépondreSupprimerEn fait, Sarkozy, dans son excès, donne parfois l'impression d'être un personnage de La Bruyère, qui se serait évadé d'une de ses chroniques. Pas étonnant qu'il prête si bien le flanc (le flan ?) à la littérature, le côté exagéré du personnage, sa folie des grandeurs, son aspect grotesque, également, il contient en germe tous les éléments nécessaires à l'inspiration d'un personnage comique. Tellement que, peut-être, il en devient presque une cible facile. En ce sens, l'on peut regretter que personne, en France, n'ait assez de "cojones" pour dédier à notre président un film du calibre du Caïman, missile Scud que Moretti destina autrefois à Berlusconi (vous parliez des grands films de la décennie, récemment, non ? En voilà un, à n'en pas douter). Notez, d'ailleurs, que le succès du film de Moretti n'empêcha guère les italiens de réélire Berlusconi ; le succès (énorme) des livres de Rambaud est donc à la fois rassurant et, oui, un peu inquiétant.
RépondreSupprimerBBB.
Je ne suis pas sûr que leurs succès soient comparables. Le Caïman a surtout eu du succès à l'étranger... et un succès fort relatif. En fait, je me demande s'il n'a pas fait moins d'entrées que Rambaud n'a vendu de livres... bon, j'exagère sans doute, mais en dehors du fait qu'un succès de cinéma et un succès de librairie ne sont en rien comparables, proportionnellement aux deux domaines, Le Caïman aura été un succès d'estime contre un vrai gros succès de librairie pour Nicolas 1er...
RépondreSupprimer...Le problème étant toujours le même, c'est que la grande majorité de ceux qui ont voté pour lui ne liront jamais ce livre...
RépondreSupprimerCe type, cette ordure pardon, n'a pu être élu que grâce à la naïvité, voire la bêtise de son électorat. Ce livre ne s'adresse qu'à des gens déjà convaincus. N'est-il pas envisageable qu'un écrivain de renom (pour qu'il y ait un vrai écho médiatique) fasse un livre court, simple, mais radical, expliquant simplement qu'on ne peut pas faire autrement que de renvoyer ce chacal aux rayon des pires hommes d'état de l'histoire de France, avec Laval ou, euh je ne sais pas trop qui en fait... Louis XIV peut-être.
Bof, ça ne changerait rien. On ne prêche jamais que les convertis, qui qu'on soit et d'où qu'on se place...
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