Les grands groupes sont un peu comme les grandes équipes de foot : on les reconnaît à ce qu'ils (ou elles) ne subissent jamais deux humiliations consécutives. Il n'est donc pas interdit de penser que les Beastie Boys sont précisément passés du statut de combo culte à celui de grand groupe ce jour du début des années quatre-vingt-dix où, après avoir essuyé le bide intersidéral de Paul's Boutique, ils décidèrent de se reprendre en main, de déménager à L.A. et de créer leur propre label. Comme quoi parfois, les dates fondatrices de l'histoire de la musique tiennent à pas grand-chose : un peu d'huile de coude et de motivation.
Cliniquement morts deux ans plus tôt, les Beasties publiaient ainsi au printemps 1992 leur chef-d’œuvre absolu, l’album sans lequel les Beck, Cypress Hill et autres Dan The Automator en seraient encore à bricoler dans leurs garages tels des bébés tentant vainement d’enfoncer le carré dans le triangle. Mieux : en une cinquantaine de minutes de rap-punk-funk torride, les Beastie Boys pliaient définitivement la question de la fusion, renvoyant dos à dos les Red Hot, Fishbone, Stuck Mojo - liste de feu les prétendants au titre non exhaustive.
Incendiaire, Check Your Head l’est - et pas qu’un peu. Genre de compromis parfait entre les deux premiers albums du trio (Paul’s Boutique, donc, et surtout Licensed to Ill), il semble avoir été entièrement construit pour bastonner la tronche de l’auditeur, entre guitare abrasives, groove furieux et flow braillard. Dans le genre, on n’a à ce jour toujours pas fait mieux que 'Professor Booty' ou 'Stand Together', déflagrations hardcore arrosées de breaks et de cuivres (et même parfois de break de cuivres). Quand on pense que la même année Rage Against The Machine tentait de mettre le feu au genre, alors qu’avec 'Gratitude' les Beasties avaient déjà tout dit !… rétrospectivement le doute n’est plus permis : le 'Funky Boss' dont-ils parlaient, le 'Maestro' qu’ils chantaient… c’était tout simplement leur inénarrable producteur Mario Caldato Jr, principal artisan de ce cocktail à l’intensité funk rarement (voire jamais) surpassée.
A noter que la réédition 2009, si elle offre son lot de raretés (mentions spéciales au live démoniaque de 'Gratitude' et au Soul Assassin Remix de 'So Wat’cha Want', featuring B-Real), se présente surtout comme le nouveau mastering d’un album dont on croyait, naïvement, qu’il n’en avait nul besoin. Dont acte : ainsi lifté, Check Your Head n’a non seulement rien perdu de son mordant, mais en plus donne-t-il la sensation d’être paru la semaine dernière… et de mettre une branlée intersidérale à tout ce qui se fait dans le genre aujourd’hui. Comme c’est étonnant.
👑 Check Your Head [Remastered Edition]
Beastie Boys | Capitol, 1992 [2012]