L'industrie des séries a beau être des plus créative depuis dix ans, peut-être même plus créative que certains domaines artistiques considérés comme plus fréquentables, il est bon de se souvenir parfois qu'elle n'en demeure pas moins une industrie (pour ne pas dire un business) qui, comme toute industrie, a ses coups de génie et ses faiblesses, ses pics de production et ses excès, sa raison économique primant sur la Raison Majuscule. Les séries télévisées se seraient élevées, depuis dix ans, au rang d'art ? Sans aucun doute (même si cela remonte à bien plus longtemps qu'une décennie), et les courbes d'audiences avec. Mais chassez le directeur commercial que la ménagère de moins de cinquante ans revient au galop : art d'accord, si ça vous fait plaisir, jeunes critiques. Mais entertainment avant tout. Yeah ! Raisonnement louable (la télé appartient à la culture populaire et si elle produit désormais des séries d'auteurs captivantes, ne voir que cela le serait beaucoup moins) qui n'en demeure pas moins la principale différence entre la série télé et n'importe quel autre domaine artistique : le cinéma, la littérature... sont nés de l'art, "en tant que tel" si l'on peut dire ; la série, qu'on apprécie cette idée ou non, est la fille préférée de la télévision, s'assoit sans doute à la droite de l'art, mais à la gauche de la publicité (avec la plupart du temps un siège rembourré de marketing).
Un exemple de principe que l'industrie des séries n'a jamais compris et ne comprendra probablement jamais, c'est que si certaines séries sont faites pour s'inscrire dans la durée d'autres devraient rester ad vitam aeternam des one-shots. Le cas le plus connu est évidemment celui de Prison Break, qui sombra totalement après une première saison comptant parmi ce que la télé nous offrit de mieux cette décennie. Il y en aurait d'autres. De manière générale, la seule manière de faire un one-shot, c'est que personne ne le voie. Si ça marche... ça marche, peu importe la manière dont se sera achevée votre saison un. Or pour un 24, archétype du one-shot et rare exemple à avoir bien tourné, on a un nombre déraisonnable de Prison Break en puissances - nombre auquel Damages vient en toute logique de s'ajouter.
Bref rappel des faits : Damages était cette série diffusée durant l'été 20072 dans laquelle la grande Glenn Close interprétait Patty Hewes, avocate trouble, aussi dénuée de scrupules que débordante de moralisme ambigu (sa spécialité étant d'allumer les puissants au nom d'une sacro-sainte transparence qu'elle est loin d'appliquer chez elle...), broyant tous ses collaborateurs à l'image de la gentille Ellen Parsons, jeune avocate pleine d'ambition qu'on voyait dès les premières minute du pilote couverte de sang et dans un état pas possible. C'était l'un des principaux arguments d'une première saison remarquable : l'utilisation minutieuse, décapante de flashforwards créait une tension palpable et accouchait d'une construction pour le moins étourdissante, pour une addiction poussée au maximum. Comment Ellen en était-elle arrivée là ? Quel était le lien entre ces évènements et Patty Hewes ? Qui avait trahi qui ?... depuis les premières saisons de 24 et Prison Break, séries auxquelles l'anxiogène Damages devait alors beaucoup, on n'avait plus été aussi scotché par un thriller.
Passons sur le fait que la seule existence de la saison deux amoindrit considérablement le suspens de la saison un (on imagine bien, du coup, qu'aucune des deux héroïnes ne va disparaître) pour constater dès les premières secondes de cette nouvelle occurrence que la rupture de ton avec la précédente est totale. C'est toujours Damages, c'est toujours Patty Hewes et c'est toujours Ellen Parsons. Quelque part, pourtant, ce n'est plus du tout la même série tant les axes majeurs de la saison un sont passés à la trappe, sacrifiés sur l'autel d'un renouvèlement qu'on imagine nécessaire pour donner une suite à une série qui, sur le papier et en ne comptant pas les dernières minutes de son final3, aurait parfaitement pu (dû !) ne pas en avoir. En d'autres termes : tout ce qui rendait la série passionnante il y deux ans ne figure plus au générique cette année. Patty Hewes était un personnage lointain et distancié, entourée de mystère, et l'interprétation de Glenn Close la rendait absolument fascinante. Deux ans plus tard la voilà devenue un personnage presque normal, et l'idée de recentrer l'intrigue autour d'elle de s'avérer rapidement la pire de la saison : de tous les plans et de toutes les combines, Patty perd énormément de son aura énigmatique, nous confie ses peines... la métamorphose est d'autant plus stupéfiante que cette séquence se déroule théoriquement un mois après le terme de la précédente. Certes, Patty est toujours manipulatrice... mais beaucoup moins qu'avant, et l'ambigüité quant à son statut et sa possible compromission au sein de l'intrigue se retrouve totalement diluée dans les aventures de Daniel Purcell - nouveau personnage aux airs de cheveu sur la soupe (un comble au vu de la calvitie de William Hurt !).
L'ambiance de la série s'en ressent énormément. Il était prévisible, compte tenu du talent de Glenn Close, que cela se retourne un jour contre les auteurs : plus Patty occupe le terrain, plus elle devient sympathique au spectateur, et plus le côté anxiogène a tendance à s'estomper... pour finir par complètement disparaître tant la complicité retrouvée entre Ellen et Tom peine à être crédible plus d'une demi-seconde. C'est l'extraordinaire paradoxe de cette seconde saison : alors qu'Ellen est censée être une taupe, le trio qu'elle forme avec Patty et Tom n'a jamais semblé aussi solidement soudé (rappelons qu'à l'inverse, dans la saison un, alors qu'ils étaient ses patrons elle passait sa vie à se méfier d'eux). Invraisemblable ? Peu cohérent, en tout cas.
Mais bien sûr, le problème essentiel, majeur, incontournable... celui qui plombe complètement - et sans doute : définitivement - Damages, c'est celui de sa construction. Exit les flashforwards suggestifs disséminés comme autant d'indices pour le spectateur ; place à un schéma narratif brouillon, manquant de fluidité et bouffi de prétention. Car ne doutons pas que les scénaristes étaient très fiers de leur idée de mélanger allègrement toutes les époques, alternant flashforwards, flashbacks, "flashmiddle"... dommage (c'est le cas de le dire) que le résultat soit si confus (le coup de la séquence - généralement de fin - où chaque formule se succède en moins d'une minute trente est d'abord épuisant, puis très vite irritant...). Comme bien sûr parallèlement à cela les auteurs ont sombré dans tous les écueils de la seconde saison (multiplication du budget et donc des lieux et des personnages, surenchère dans les histoires), Damages, autrefois épurée et centrée sur cinq caractères parfaitement cernés, prend des allures de gloubi-boulga particulièrement difficile à avaler... et quasiment impossible à digérer. Ce pour pas grand-chose, au final : l'intrigue a beau ressembler à un puzzle 4 000 pièces qu'on aurait savamment mélangé, elle ne vaut pas tripette et barbe (à papa) très rapidement. Lorsque le spectateur en arrive à revoir un épisode qu'il avait déjà vu dix jours plus tôt sans parvenir à être certain que ce soit le cas, c'en dit long sur le désintérêt total qu'il aura éprouvé pour une saison dont tout, du jeu affecté d'un William Hurt au plus bas à la nouvelle anorexie de l'héroïne, en passant les rebondissements trop gros pour être vrais... lui aura semblé poussif du début à la fin. Série la plus attendue de la saison 2008-09, Damages vient de réussir la prouesse d'être probablement l'une des plus mauvaises, à la limite du risible par instants.
Et, au niveau du Golb, celle (jusque là inédite) d'avoir sa saison un à ranger dans la catégorie Golb Hits et sa saison deux chroniquée dans la catégorie Top of the Flops...
(1) Au hasard : Pushing Daisies, Sleeper Cell voire Jericho ou Carnivale, car le refus borné du one-shot ne touche pas que les gros networks, loin de là...
(2) Puis début 2008 sur Canal +.
(3) En effet tout le final de la saison 1 était construit comme une conclusion à la série, expédiant du mieux possible toutes les questions en suspens... jusqu'aux toutes dernières minutes, lorsque deux agents du FBI (dont l'inénarrable Mario Van Peebles, par ailleurs réalisateur de la série) apparaissaient subitement pour "retourner" Ellen et la convaincre de reprendre ses fonctions en jouant les indics en parallèles...
Un exemple de principe que l'industrie des séries n'a jamais compris et ne comprendra probablement jamais, c'est que si certaines séries sont faites pour s'inscrire dans la durée d'autres devraient rester ad vitam aeternam des one-shots. Le cas le plus connu est évidemment celui de Prison Break, qui sombra totalement après une première saison comptant parmi ce que la télé nous offrit de mieux cette décennie. Il y en aurait d'autres. De manière générale, la seule manière de faire un one-shot, c'est que personne ne le voie. Si ça marche... ça marche, peu importe la manière dont se sera achevée votre saison un. Or pour un 24, archétype du one-shot et rare exemple à avoir bien tourné, on a un nombre déraisonnable de Prison Break en puissances - nombre auquel Damages vient en toute logique de s'ajouter.
Bref rappel des faits : Damages était cette série diffusée durant l'été 20072 dans laquelle la grande Glenn Close interprétait Patty Hewes, avocate trouble, aussi dénuée de scrupules que débordante de moralisme ambigu (sa spécialité étant d'allumer les puissants au nom d'une sacro-sainte transparence qu'elle est loin d'appliquer chez elle...), broyant tous ses collaborateurs à l'image de la gentille Ellen Parsons, jeune avocate pleine d'ambition qu'on voyait dès les premières minute du pilote couverte de sang et dans un état pas possible. C'était l'un des principaux arguments d'une première saison remarquable : l'utilisation minutieuse, décapante de flashforwards créait une tension palpable et accouchait d'une construction pour le moins étourdissante, pour une addiction poussée au maximum. Comment Ellen en était-elle arrivée là ? Quel était le lien entre ces évènements et Patty Hewes ? Qui avait trahi qui ?... depuis les premières saisons de 24 et Prison Break, séries auxquelles l'anxiogène Damages devait alors beaucoup, on n'avait plus été aussi scotché par un thriller.
Passons sur le fait que la seule existence de la saison deux amoindrit considérablement le suspens de la saison un (on imagine bien, du coup, qu'aucune des deux héroïnes ne va disparaître) pour constater dès les premières secondes de cette nouvelle occurrence que la rupture de ton avec la précédente est totale. C'est toujours Damages, c'est toujours Patty Hewes et c'est toujours Ellen Parsons. Quelque part, pourtant, ce n'est plus du tout la même série tant les axes majeurs de la saison un sont passés à la trappe, sacrifiés sur l'autel d'un renouvèlement qu'on imagine nécessaire pour donner une suite à une série qui, sur le papier et en ne comptant pas les dernières minutes de son final3, aurait parfaitement pu (dû !) ne pas en avoir. En d'autres termes : tout ce qui rendait la série passionnante il y deux ans ne figure plus au générique cette année. Patty Hewes était un personnage lointain et distancié, entourée de mystère, et l'interprétation de Glenn Close la rendait absolument fascinante. Deux ans plus tard la voilà devenue un personnage presque normal, et l'idée de recentrer l'intrigue autour d'elle de s'avérer rapidement la pire de la saison : de tous les plans et de toutes les combines, Patty perd énormément de son aura énigmatique, nous confie ses peines... la métamorphose est d'autant plus stupéfiante que cette séquence se déroule théoriquement un mois après le terme de la précédente. Certes, Patty est toujours manipulatrice... mais beaucoup moins qu'avant, et l'ambigüité quant à son statut et sa possible compromission au sein de l'intrigue se retrouve totalement diluée dans les aventures de Daniel Purcell - nouveau personnage aux airs de cheveu sur la soupe (un comble au vu de la calvitie de William Hurt !).
L'ambiance de la série s'en ressent énormément. Il était prévisible, compte tenu du talent de Glenn Close, que cela se retourne un jour contre les auteurs : plus Patty occupe le terrain, plus elle devient sympathique au spectateur, et plus le côté anxiogène a tendance à s'estomper... pour finir par complètement disparaître tant la complicité retrouvée entre Ellen et Tom peine à être crédible plus d'une demi-seconde. C'est l'extraordinaire paradoxe de cette seconde saison : alors qu'Ellen est censée être une taupe, le trio qu'elle forme avec Patty et Tom n'a jamais semblé aussi solidement soudé (rappelons qu'à l'inverse, dans la saison un, alors qu'ils étaient ses patrons elle passait sa vie à se méfier d'eux). Invraisemblable ? Peu cohérent, en tout cas.
Et, au niveau du Golb, celle (jusque là inédite) d'avoir sa saison un à ranger dans la catégorie Golb Hits et sa saison deux chroniquée dans la catégorie Top of the Flops...
👎👎 Damages (saison 2)
créée par Todd A. Kessler, Glenn Kessler & Daniel Zelman
FX, 2009
(1) Au hasard : Pushing Daisies, Sleeper Cell voire Jericho ou Carnivale, car le refus borné du one-shot ne touche pas que les gros networks, loin de là...
(2) Puis début 2008 sur Canal +.
(3) En effet tout le final de la saison 1 était construit comme une conclusion à la série, expédiant du mieux possible toutes les questions en suspens... jusqu'aux toutes dernières minutes, lorsque deux agents du FBI (dont l'inénarrable Mario Van Peebles, par ailleurs réalisateur de la série) apparaissaient subitement pour "retourner" Ellen et la convaincre de reprendre ses fonctions en jouant les indics en parallèles...
Très bon papier.
RépondreSupprimerJ'ai lu beaucoup d'avis mitigés sur cette saison (que je n'ai pas trop aimée), mais celui-ci est sans doute, à la fois le plus sévère, et le plus juste, en ce qu'il analyse très bien les raisons de cet échec.
Un bon dimanche.
En fait quand j'ai vu sa place enviable dans l'odyssée des séries, je me suis dit que c'était parce que personne n'avait encore dû voir la saison 2 :)
RépondreSupprimerMonstrueusement sévère, quand même. 1/6, putain...
RépondreSupprimerAttends, c'est quand même plein de scènes soit qui ne servent à rien, soit qui sont complètement ridicules.
RépondreSupprimerCertes. Mais on ne s'ennuie pas (enfin pas moi)
RépondreSupprimerBloom >>> merci !
RépondreSupprimerLil' & Serious Moon >>> si j'avais été de meilleure humeur peut-être aurais-je pu monter jusqu'à 2/6... mais pas plus, faut pas déconner, comme le dit très bien Lil' il y a quand même plein de trucs à la limite du comique involontaire.
mais pourquoi n'ont ils pas rajouté des ninjas et des zombies dans la saison 2!!!!
RépondreSupprimerDure loi de la saison 2.
RépondreSupprimerMais j'ai trouvé celle-ci pas si mal, quand même.
Doc >>> en même temps vue la maigreur cadavérique de l'héroïne d'une part, et Glenn Close qui ressemble de plus en plus à une momie d'autre part... il est possible que niveau zombies ce soit suffisant...
RépondreSupprimerJe suis assez d'accord avec Bloom. L'addition est salée, mais c'est à la hauteur de la déception engendrée par cette saison très médiocre.
RépondreSupprimerJe viens de lire cet article, après avoir posté mon vote, et je suis tout fiérot d'avoir pressenti le flop de la saison II et aussi d'avoir les mêmes avis que toi sur la saison I, a ceci près que je trouvais les flashforward-back-et-machin un peu lourdauds par leur grand nombre, par moments.
RépondreSupprimer:-))
Ah oui, ton vote... j'ai lu ça au réveil ce matin, en prenant mon café, c'était assez hallucinogène :-) Mais ça fait plaisir d'avoir de tes nouvelles ;-)
RépondreSupprimerOuah tu m'as reconnu?
RépondreSupprimerC'est un peu fort de café, ça!
Bah j'ai reconnu ton nom sur le mail :-)
RépondreSupprimerJ' étais donc fiché...
RépondreSupprimer...ah ben oui, la liste des détenteurs de la golb card!
RépondreSupprimerComment tu crois que j'effectue les renouvellements d'abonnements ? :-)
RépondreSupprimerEt oui! C'est sûr : normal qu' avec une fréquentation digne d'un tirage de presse nationale, tu adoptes les manières de faire de cette dernière.
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