D’ordinaire, un article sur un album de Little Bob se doit de commencer par une réflexion relative à son aura de légende du rock français n’ayant malheureusement jamais connu les joies du succès de masse ni de la starification. Il est vrai aussi que d’ordinaire, un article de Little Bob est rédigé par quelqu’un ne connaissant pas sa discographie par cœur, ne mesurant pas vraiment l’évolution de la carrière du havrais – comment l’en blâmer ? Roberto Piazza est un artiste culte au sens le plus stricte du terme : les amateurs de rock et de blues connaissent certes son nom, tant sa longévité, rarissime dans nos contrées, en a fait une référence. Il savent qu’il est havrais, car Le Havre Rock City constitue une large part de la (mince) légende du rock’n'roll hexagonal. Les plus pointus d’entre eux (ou les plus âgés) se souviennent même qu’il participa au mythique festival punk de Mont-de-Marsan en 1976 ET 1977. Et les plus snobs de ceux-là oseront même prétendre qu’ils ont assisté à au moins l’une de ces deux prestations de légende (enfin façon de parler, la légende ayant plus volontiers retenu les concerts des Damned ou de Dr Feelgood que ceux de Little Bob Story).
Certes, les amateurs de rock et de blues ont tout cela en tête, et ils ne manquent d’ailleurs jamais de vous le dire quand vous leur annoncez que vous avez acheté le nouveau Little Bob. Il n’empêche qu’eux, ils ne l’ont pas acheté, sont d’ailleurs assez surpris de connaître quelqu’un qui l’ait fait, et hausseront même les sourcils d’un air interloqué lorsque vous leur confierez que vous attendiez la sortie de ce disque avec impatience. Le fait est qu’à vrai dire, ils connaissent tous Little Bob mais seraient bien incapable d’en siffloter un extrait – s’ils lui accolent le titre d’artiste culte c’est surtout parce qu’en matière de rock’n'roll, l’expression « monument national » est mal assez perçue (pensez donc ! Elle évoque Johnny !).
Dès lors, rien d’étonnant à ce que tant d’articles consacrés à Little Bob en déplorent la (relative) confidentialité, alors qu’à vrai dire à l’écoute de Time to Blast on aurait plus volontiers envie de s’en féliciter. Quand on voit les excès (musicaux, hein) dans lesquels se sont vautrées la plupart des rockstars de la génération de Bob… quand on repense à ces dinosaures obèses… à ces ex-gloires indignes… quand on se remémore ces concept-albums fumeux, ces albums acoustiques voire pire (symphoniques !), ces imbécilités démagogiques auxquels tant et tant se sont pliés pour espérer racoler un public versatile… et quand on compare avec la discographie d’un Little Bob tellement avare en ratages et carrément radin en matière de prétention vulgaire… Non vraiment, lorsque l’on met tout cela dans la balance, impossible de ne pas se dire qu’au contraire, c’est une chance phénoménale qu’il a eu de ne jamais devenir une superstar, de ne jamais pouvoir se vautrer dans le stupre ou plus communément dans le ridicule. Le succès de masse a-t-il déjà fait le moindre bien à ne serait-ce qu’un artiste ? La question mérite d’être posée ; en tout cas là, maintenant, au moment d’écrire ces lignes… aucun exemple ne nous vient en tête.
A l’inverse de tant d’autres, donc, Little Bob est resté l’un des secrets les mieux gardés des amateurs de rock français… peut-être même un poil trop gardé à la rigueur, mais qu’importe : en comparaison sa carrière semble irréprochable et sa discographie récente, remarquable. C’est que si notre vétéran favori s’est surtout fait connaître à la fin des seventies, il serait plutôt de la génération des Mick Jagger et autres Paul McCartney, ce qui rend son parcours d’autant plus remarquable que son album le plus poignant n’a pas été publié quand il avait vingt ans, mais plutôt à l’approche de la soixantaine – je veux bien sûr parler du somptueux Libero – et que, loin de montrer un vieux monsieur radotant sur le bon vieux temps, son précédent opus, The Gift, mettait la pâtée à pas mal de gamins issus de la génération revival des années 2000.
C’est dans cette lignée que s’inscrit ce Time to Blast au titre pour le moins véhément, orné d’un taureau ayant le mérite d’annoncer clairement la couleur pourpre. Il serait stupide de comparer Bob à Dylan en quoique ce soit… mais nous le ferons quand même, juste une seconde, le temps de noter que tandis que le grand Bob se complait encore et toujours dans son côté intemporel le petit, lui, semble un poil plus en phase avec son époque, sinon dans la musique (Time to Blast est un album de hard-blues tout ce qu’il y a de plus « littlebobesque ») du moins dans les thèmes et – plus encore – dans l’humeur. Féroce, cela va de soi, comme en témoigne le saignant "The Phone Call" en ouverture. Féroce, mais bluesy avant tout. Moins abrasif que The Gift, plus heavy, Time to Blast est surtout un album moins produit et nettement plus roots que ce à quoi Little Bob nous avait habitué ces dernières années. Une envie de retour aux sources dans l’air ?
Ce qui est certain, c’est que "Big Boy Walking" ou l’héroïque "Ringolevio Is Far Way" impressionnent par leur maîtrise, leurs qualités rythmiques ou leur rage contenue. On se dit que ces titres-là ne demandent qu’à exploser sur scène, impression confirmée sur la durée, notamment par une reprise exceptionnelle du "Guilt" de Marianne Faithfull. Ce n’est certes pas une révélation : l’auteur de High Time, Living in the Fast Lane ou Lost Territories (entre autres chefs-d’oeuvre imputables au hurleur normand) s’y est toujours entendu comme personne pour trousser des hymnes boogie-rock habités ou transcender des standards (c’étaient "Riot in Toulouse" et "Come Se Mee" hier, ce sont "I’m Alive" et "Guilt" aujourd’hui). Un véritable évènement aurait été qu’il publie un album moyen dont il aurait pu se dispenser, ce qui ne lui arrivé en tout et pour tout qu’une seule fois ces vingt dernières années. Et alors ? La constance est une des qualités les plus rares qui soient en matière de rock, surtout passés les six albums. Celui-ci doit être (approximativement) le quatorzième… c’est bien simple : personne, en France, ne peut en dire autant. Plus que notre respect, c’est notre admiration sans borne que force Time to Blast…
Note : Cet article fut précédemment publié sur Culturofil.
...
Certes, les amateurs de rock et de blues ont tout cela en tête, et ils ne manquent d’ailleurs jamais de vous le dire quand vous leur annoncez que vous avez acheté le nouveau Little Bob. Il n’empêche qu’eux, ils ne l’ont pas acheté, sont d’ailleurs assez surpris de connaître quelqu’un qui l’ait fait, et hausseront même les sourcils d’un air interloqué lorsque vous leur confierez que vous attendiez la sortie de ce disque avec impatience. Le fait est qu’à vrai dire, ils connaissent tous Little Bob mais seraient bien incapable d’en siffloter un extrait – s’ils lui accolent le titre d’artiste culte c’est surtout parce qu’en matière de rock’n'roll, l’expression « monument national » est mal assez perçue (pensez donc ! Elle évoque Johnny !).
Dès lors, rien d’étonnant à ce que tant d’articles consacrés à Little Bob en déplorent la (relative) confidentialité, alors qu’à vrai dire à l’écoute de Time to Blast on aurait plus volontiers envie de s’en féliciter. Quand on voit les excès (musicaux, hein) dans lesquels se sont vautrées la plupart des rockstars de la génération de Bob… quand on repense à ces dinosaures obèses… à ces ex-gloires indignes… quand on se remémore ces concept-albums fumeux, ces albums acoustiques voire pire (symphoniques !), ces imbécilités démagogiques auxquels tant et tant se sont pliés pour espérer racoler un public versatile… et quand on compare avec la discographie d’un Little Bob tellement avare en ratages et carrément radin en matière de prétention vulgaire… Non vraiment, lorsque l’on met tout cela dans la balance, impossible de ne pas se dire qu’au contraire, c’est une chance phénoménale qu’il a eu de ne jamais devenir une superstar, de ne jamais pouvoir se vautrer dans le stupre ou plus communément dans le ridicule. Le succès de masse a-t-il déjà fait le moindre bien à ne serait-ce qu’un artiste ? La question mérite d’être posée ; en tout cas là, maintenant, au moment d’écrire ces lignes… aucun exemple ne nous vient en tête.
A l’inverse de tant d’autres, donc, Little Bob est resté l’un des secrets les mieux gardés des amateurs de rock français… peut-être même un poil trop gardé à la rigueur, mais qu’importe : en comparaison sa carrière semble irréprochable et sa discographie récente, remarquable. C’est que si notre vétéran favori s’est surtout fait connaître à la fin des seventies, il serait plutôt de la génération des Mick Jagger et autres Paul McCartney, ce qui rend son parcours d’autant plus remarquable que son album le plus poignant n’a pas été publié quand il avait vingt ans, mais plutôt à l’approche de la soixantaine – je veux bien sûr parler du somptueux Libero – et que, loin de montrer un vieux monsieur radotant sur le bon vieux temps, son précédent opus, The Gift, mettait la pâtée à pas mal de gamins issus de la génération revival des années 2000.
C’est dans cette lignée que s’inscrit ce Time to Blast au titre pour le moins véhément, orné d’un taureau ayant le mérite d’annoncer clairement la couleur pourpre. Il serait stupide de comparer Bob à Dylan en quoique ce soit… mais nous le ferons quand même, juste une seconde, le temps de noter que tandis que le grand Bob se complait encore et toujours dans son côté intemporel le petit, lui, semble un poil plus en phase avec son époque, sinon dans la musique (Time to Blast est un album de hard-blues tout ce qu’il y a de plus « littlebobesque ») du moins dans les thèmes et – plus encore – dans l’humeur. Féroce, cela va de soi, comme en témoigne le saignant "The Phone Call" en ouverture. Féroce, mais bluesy avant tout. Moins abrasif que The Gift, plus heavy, Time to Blast est surtout un album moins produit et nettement plus roots que ce à quoi Little Bob nous avait habitué ces dernières années. Une envie de retour aux sources dans l’air ?
Ce qui est certain, c’est que "Big Boy Walking" ou l’héroïque "Ringolevio Is Far Way" impressionnent par leur maîtrise, leurs qualités rythmiques ou leur rage contenue. On se dit que ces titres-là ne demandent qu’à exploser sur scène, impression confirmée sur la durée, notamment par une reprise exceptionnelle du "Guilt" de Marianne Faithfull. Ce n’est certes pas une révélation : l’auteur de High Time, Living in the Fast Lane ou Lost Territories (entre autres chefs-d’oeuvre imputables au hurleur normand) s’y est toujours entendu comme personne pour trousser des hymnes boogie-rock habités ou transcender des standards (c’étaient "Riot in Toulouse" et "Come Se Mee" hier, ce sont "I’m Alive" et "Guilt" aujourd’hui). Un véritable évènement aurait été qu’il publie un album moyen dont il aurait pu se dispenser, ce qui ne lui arrivé en tout et pour tout qu’une seule fois ces vingt dernières années. Et alors ? La constance est une des qualités les plus rares qui soient en matière de rock, surtout passés les six albums. Celui-ci doit être (approximativement) le quatorzième… c’est bien simple : personne, en France, ne peut en dire autant. Plus que notre respect, c’est notre admiration sans borne que force Time to Blast…
👍 Time to Blast
Little Bob | DixieFrog, 2009
Note : Cet article fut précédemment publié sur Culturofil.
Tiens! j'ignorais que le p'tit Bob avait sorti un nouvel album. Je vais m'écouter ça.
RépondreSupprimerC'est vrai que Bob est vraiment doué pour les reprises qui tuent. Il faudrait lui suggérer un jour de reprendre "Little Lover" d'Acdc, je suis sûre qu'il ferait des merveilles avec.
RépondreSupprimerTu sais que c'est une super idée, ça ?
RépondreSupprimerMoins bon que "The Gift" (qui, lui, était vraiment exceptionnel), mais "Time to blast" tient la route (et la dragée haute à certains p'tits jeunes). Bel hommage.
RépondreSupprimer"Le succès de masse a-t-il déjà fait le moindre bien à ne serait-ce qu’un artiste ? La question mérite d’être posée ; en tout cas là, maintenant, au moment d’écrire ces lignes… aucun exemple ne nous vient en tête."
RépondreSupprimer--> Effectivement, je ne l'avais pas retenu (du moins consciemment !) lors de ma lecture de l'article !
Tu me phagocytes les neurones ? ^^
L'article en même temps est tellement long... comment pourrait-on t'en vouloir ? ^^
RépondreSupprimerSûr que je ne fais pas le poids avec mes 10 lignes de "moi, j'aime / moi, je kiffe / ..." hyper bien argumentées ^^
RépondreSupprimerBof, tu sais... ce qui est plaisant dans les blogs c'est que chacun apporte sa propre "valeur ajoutée". Tes articles ne sont sans doute pas les plus longs lire... mais que de découvertes dans tes pages ! Fondre devant des artistes que personne d'autre ne connaît comme Andy Dale Petty, ça n'a pas de prix.
RépondreSupprimer