Je relisais St Mawr de nombreuses années après quand soudain l'évidence ma frappé tellement fort que j'ai failli desseller : j'étais probablement en train de lire le roman le plus sulfureux de tous les temps. Bien plus violent et dérangeant que n'importe quelle cochonnerie contemporaine pleine de fuck. Bien plus ténébreux et brûlant que toutes ces daubes qu'on nous vend à longueur d'années accompagnées d'un joli petit scandale clés en main, pour finalement s'avérer moins subversives que bassement vulgaires - comme si quelqu'un pouvait véritablement croire que le comble de la provocation était une scène de cul sans amour dans les toilettes d'une boite de nuit (diantre ! j'en vois une douzaine qui ont les oreilles qui sifflent, là...). Il est d'ailleurs possible que l'incroyable supériorité de D.H. Lawrence sur les autres auteurs du Club des Sulfureux vienne de ce qu'il n'ait jamais cherché à choquer, sincèrement passionné qu'il était par l'expression du désir féminin le plus absolu et la libération des corps. Parce que sa liberté de ton fit de lui un paria, on a trop souvent tendance à commettre cette erreur consistant à laisser entendre qu'il donna le bâton pour se faire battre. Rien n'est moins faux : Lawrence n'était nullement un provocateur dans l'âme ; face au puritanisme de son temps, il fut plus souvent la victime que le bourreau, et si son exil fut volontaire, il n'en fut pas moins dicté par une opprobre quasi officielle venant de la société anglaise d'alors (certains "grand" écrivains inclus).
Je reviens à St Mawr. Roman le plus sulfureux de tous les temps, disais-je. Je m'explique : dans St Mawr, une jeune femme relativement mal mariée exprime son mépris de son grotesque époux par le filtre d'un étalon qui la fascine de manière presque... sexuelle, oui. Absolument. On le lit et l'on se dit que personne, en 2009, n'oserait écrire un truc pareil. D'une part parce que l'allusion à l'étalon serait probablement jugée un peu simpliste et lourdaude, ce qu'elle est d'ailleurs un peu malgré la virtuosité manifeste de l'auteur. Lou apprivoisant la bête instinctivement... ah vous voyez : le simple résumé factuel du texte, déjà, est sulfureux et riche en sous-entendus pourtant pas volontaires de ma part (vous imaginez si cela l'était). Le texte, dans son intégralité, repose sur la nécessité de dresser l'étalon, de le flatter ou de le monter. Ne pas y arriver, c'est une double humiliation : au ridicule de la situation (car se faire désarçonner devant tout le monde alors même que l'on commençait à faire le beau n'est jamais agréable) s'ajoute une négation de la virilité ne faisant, c'est vrai, que surligner une évidence dans le cas de l'époux de l'héroïne. Il n'empêche que la scène est impressionnante de... fougue (!) et que les phrases à double-entrées ne manquent pas ("Il est docile, oui, avec ceux qui savent le prendre...").
Bien entendu St Mawr n'est pas une ode discrète à la zoophilie (manquerait plus que ça...). Le choix de l'étalon est évidemment plus dicté par l'immense noblesse que lui accorde l'inconscient collectif que par le fait qu'il soit un animal en lui-même, autorisant ainsi un parallèle osé avec le manque d'aristocratie d'un Rico tout Lord qu'il soit. Mais le seul fait d'avoir pensé à ce parallèle et fait de la non-castration de l'animal l'un des enjeux majeurs de l'intrigue est en soi plus puissant, cruel et dérangeant que tout ce qu'on peut lire de nos jours dans le genre (mais une fois encore : personne n'oserait un truc pareil de nos jours). Non seulement Lawrence est plus moderne dans l'écriture et dans les thèmes que beaucoup d'auteurs contemporains dont le classicisme croit être rigoureux sans savoir qu'il est réactionnaire, mais encore a-t-il plus d'idées et de culot que tous les autres réunis (d'accord, disons : beaucoup d'autres réunis). Dire que St Mawr est un chef-d'oeuvre est de fait bien en-dessous de la réalité : c'est un livre incontournable, en cela qu'on aurait encore beaucoup à apprendre de son propos comme de sa démarche esthétique.
Je reviens à St Mawr. Roman le plus sulfureux de tous les temps, disais-je. Je m'explique : dans St Mawr, une jeune femme relativement mal mariée exprime son mépris de son grotesque époux par le filtre d'un étalon qui la fascine de manière presque... sexuelle, oui. Absolument. On le lit et l'on se dit que personne, en 2009, n'oserait écrire un truc pareil. D'une part parce que l'allusion à l'étalon serait probablement jugée un peu simpliste et lourdaude, ce qu'elle est d'ailleurs un peu malgré la virtuosité manifeste de l'auteur. Lou apprivoisant la bête instinctivement... ah vous voyez : le simple résumé factuel du texte, déjà, est sulfureux et riche en sous-entendus pourtant pas volontaires de ma part (vous imaginez si cela l'était). Le texte, dans son intégralité, repose sur la nécessité de dresser l'étalon, de le flatter ou de le monter. Ne pas y arriver, c'est une double humiliation : au ridicule de la situation (car se faire désarçonner devant tout le monde alors même que l'on commençait à faire le beau n'est jamais agréable) s'ajoute une négation de la virilité ne faisant, c'est vrai, que surligner une évidence dans le cas de l'époux de l'héroïne. Il n'empêche que la scène est impressionnante de... fougue (!) et que les phrases à double-entrées ne manquent pas ("Il est docile, oui, avec ceux qui savent le prendre...").
Bien entendu St Mawr n'est pas une ode discrète à la zoophilie (manquerait plus que ça...). Le choix de l'étalon est évidemment plus dicté par l'immense noblesse que lui accorde l'inconscient collectif que par le fait qu'il soit un animal en lui-même, autorisant ainsi un parallèle osé avec le manque d'aristocratie d'un Rico tout Lord qu'il soit. Mais le seul fait d'avoir pensé à ce parallèle et fait de la non-castration de l'animal l'un des enjeux majeurs de l'intrigue est en soi plus puissant, cruel et dérangeant que tout ce qu'on peut lire de nos jours dans le genre (mais une fois encore : personne n'oserait un truc pareil de nos jours). Non seulement Lawrence est plus moderne dans l'écriture et dans les thèmes que beaucoup d'auteurs contemporains dont le classicisme croit être rigoureux sans savoir qu'il est réactionnaire, mais encore a-t-il plus d'idées et de culot que tous les autres réunis (d'accord, disons : beaucoup d'autres réunis). Dire que St Mawr est un chef-d'oeuvre est de fait bien en-dessous de la réalité : c'est un livre incontournable, en cela qu'on aurait encore beaucoup à apprendre de son propos comme de sa démarche esthétique.
👑 St Mawr [L’Étalon]
David Herbert Lawrence | Penguin, 1925
Un livre superbe. Un livre de Lawrence, donc !
RépondreSupprimer:-)
BBB.
Au moins comme ça tout le monde aura compris le titre :-)
RépondreSupprimerLawrence n'est pas du tout un auteur apprécié dans la blogosphère, ça fait tout drôle de lire un avis aussi enthousiaste...
RépondreSupprimerEn lisant cela je me demande : existe-t-il un mauvais livre de Lawrence, ou un juste un peu raté ? Aucun titre ne me vient. H.
RépondreSupprimerLivre superbe, comme tout Lawrence.
RépondreSupprimerComme dit Lilly on lit souvent beaucoup de mauvaises critiques sur Lawrence sur le Net, certaines confinant carrément à l'ignorance la plus crasse (je me souviens d'une critique hallucinante où l'auteur(e) racontait n'importe quoi sur une soi-disant non crédibilité de l'histoire, sur le style, à pleurer tellement c'était inculte et prétentieux). C'est rassurant pour lui, ça prouve qu'il peut encore déstabiliser ou choquer. Mais c'est aussi triste pour notre époque de voir qu'un siècle plus tard il y a encore des gens totalement réacs pour faire les dégoûtés face à ses pages magnifiques sur l'amour charnel. Ca me laisse rêveuse...
Enfin cauchemardeuse plutôt !
RépondreSupprimerH.V. >>> il y a sans doute quelques nouvelles que je ne connais pas, mais à ma connaissance non. Cela dit on peut en revanche ressentir à force une certaine lassitude, car il faut bien dire que Lawrence, c'est souvent la même (superbe) histoire réécrite dans une version différente pour chaque livre.
RépondreSupprimerLilly & Lil' >>> je suis assez étonné par vos commentaires... je n'ai pas le souvenir d'avoir lu de mauvaises critiques sur Lawrence, plutôt d'une relative ignorance entourant son œuvre (ce qui cela dit est peut-être encore pire...). Anyway ! La morale de cette histoire, Lilly... c'est que tu lis trop les blogs, pour que ça te fasse "tout drôle" de me voir enfoncer une porte ouverte (je suis quand même assez loin d'être le seul à considérer Lawrence comme l'un des plus grands auteurs de tous les temps, il paraît même que c'est en fait une idée assez répandue chez les lettreux ^^) :D
Non mais bon, j'ai quand même lu des trucs assez dingues je t'assure, genre que c'était un affreux misogyne (alors que c'est tout l'inverse, bonjour le contresens honteux) ou un auteur vulgaire et je t'assure que lire ça en 2009 de gens qui se prétendent des lecteurs suffisamment instruits pour étaler leurs avis aux yeux mondes, ça fait quand même carrément peur. Mais ce n'est que mon avis.
RépondreSupprimerMiss Lil,
RépondreSupprimerJ'ai lu moi aussi, occasionnellement, des choses assez peu aimables sur cet auteur, parfois injustes, c'est indéniable. Néanmoins, je vous trouve bien violente, ce pour peu de choses ; oserais-je ? je crois que vous accordez trop d'importance à ce qui ne sont que de petits billets bien inoffensifs, que leur manque de perspective disqualifie d'emblée. Que quatre bloggers ne représentant, somme toute, quasiment rien, dans l'infinité que constitue le web, n'aiment pas DH Lawrence (ou ne le comprennent pas, si vous voulez, cela revient au même), ne fait pas de lui l'ennemi public de la blogosphère. Entre nous, la postérité de son œuvre suffit à le défendre, du moins il me semble, nul besoin de s'énerver ainsi.
;-)
BBB.
Je sais bien, vous avez raison. Mais bon : vous avez déjà lu vous des blogs musicaux sur lesquels des gens n'écoutant que de la pop ou même de la variété se mettraient à critiquer Mozart ou Chopin n'importe comment? Écrire la critique d'un classique ça demande quand même (mais ce n'est encore une fois que mon avis) une certaine humilité, on ne peut pas écrire n'importe quoi ni enfiler les contresens et affirmer crânement n'importe quelle ânerie. Et ce qui m'irrite d'autant plus c'est que ce sont souvent les mêmes qui vont dire "je ne fais que donner mon avis et ça n'engage que moi" qui vont aller affirmer deux lignes plus bas que l'auteur a un style moche (alors qu'on se doute que ces gens n'ont pas la plus petite notion de stylistique). Alors vous avez raison, mais ça m'énerve quand même quand je tombe sur ce genre de trucs.
RépondreSupprimerLil vient de découvrir internet. Mieux : elle vient de découvrir la lecture :)
RépondreSupprimerSinon très bon article, Thom...Comme d'habitude (j'ai remarqué que tu étais particulièrement en verve quand tu attaquais les classiques) ;)
Mais ça, cher Lil', c'est Internet. En général.
RépondreSupprimerBBB.
Zut, je viens de me faire enlever les mots de la bouche, par Laiezza !
RépondreSupprimerBBB.
:D
RépondreSupprimerNon, bien sûr (mais vous avez raison tous les deux, on dirait un peu la fille qui se réveille au bout de plusieurs années). Mais chez Lawrence j'ai trouvé ça très marqué. En fait je crois que je sais pourquoi : Lawrence est le classique idéal pour celui qui déteste les classiques, celui qu'on peut dégommer sans trop craindre d'être mis en porte à faux, vu qu'il reste un auteur très peu lu en France. C'est sûr que Zola ou Proust y a déjà nettement moins de monde qui aurait le courage de les démonter dans une chronique (même s'il y a sans doute encore plus de gens potentiellement capable d'écrire n'importe quoi à leur sujet). Lawrence ça mange pas de pain, c'est un classique surtout dans les pays Anglo-saxon, c'est un classique dont on ne se rend pas vraiment compte qu'il est classique vu d'ici. Du coup j'ai l'impression qu'il mange un peu pour les autres.
Soyons sérieux, une minute. Il y a du vrai et du moins vrai, dans ce que vous dites. Votre exemple de la musique classique, plus haut, est assez juste, et pertinent. Mais l'est-il pour tous ? Je ne suis pas convaincu. Il existe, en effet, la même démarcation entre la littérature classique, et le dernier livre à la mode, qu'entre le classique et la pop (sans aller jusqu'à la variété). Tout le monde peut lire un classique, de même que tout le monde peut écouter un disque de Mozart, mais en effet, selon son degré de culture classique, on risque de ne pas en tirer les mêmes choses. La différence vient de ce que l'école, dans son acharnement à faire étudier les auteurs classiques, a donné cette impression fausse qu'un livre était un livre, et que tout au plus, si l'on voulait critiquer un ouvrage classique, cela n'imposait qu'une distance raisonnable, alors que c'est, évidemment, faux. C'est une évidence, cependant, vous ne l'utilisez pas à bon escient, car Lawrence est un auteur dont l'essentiel du travail se déroule au vingtième siècle, il est donc plus contemporain que classique, au sens strict du terme.
RépondreSupprimerSur la partie 'il mange pour les autres', je suis moins d'accord, je ne crois pas à ce genre de calcul conscient, qui serait méprisable, et stupide. Je vous accorde cependant, mais ce sera le maximum, qu'aucun blogger n'aurait osé faire subir, à Zola ou Balzac, les mêmes outrages qu'on a pu faire subir, ici ou là, ponctuellement, à Lawrence. Fustiger ceux-là en public demande un aplomb que, et c'est ironique (pour le moins), seuls possèdent les grands connaisseurs de la littérature classique, autrement dit, ceux qui n'auraient aucune raison de les fustiger.
BBB.
Je suis un peu largué (normal, puisque je ne sais pas du tout de quels articles vous causez), mais tout ça n'est cependant pas inintéressant du tout. Les classiques ont de toute façon assez mauvaises presse sur le Net, ça ne date pas de la semaine dernière. Cela recoupe d'ailleurs la remarque de Laiezza , car si effectivement je suis parfois en verve pour évoquer des classiques, c'est parce que paradoxalement je me sens beaucoup libre, sans pression puisque je sais bien que je m'attaque la plupart du temps à des livres que très peu de blogs littéraires ont évoqué. D'ailleurs mes articles sur les classiques (plus rares aujourd'hui qu'à d'autres époques, simplement parce que j'ai moins de temps... et parce que pour la plupart j'ai déjà lus ces livres, ça ne m'amuse pas toujours de relire des trucs que je connais déjà) sont souvent très, très bien accueillis dans les commentaires. C'est pourquoi j'ai plutôt (mais je peux me tromper) le sentiment inverse à celui de Lil , que non seulement on écrit pas n'importe quoi sur les classiques mais qu'en plus pas mal de gens ne s'autorisent pas à en parler, ce qui quelque part est bien plus triste (car c'est en lisant et en parlant des livres, même pour leur cracher dessus, qu'on les fait vivre...).
RépondreSupprimerPour le reste et le cas de Lawrence en lui-même, je n'en sais rien, et quelque part une bonne grosse part de moi s'en fout car comme l'a très bien dit BBB. dans sa (vaine) tentative de modération... sa postérité parle pour lui. Rares sont les auteurs à pouvoir se targuer d'avoir véritablement libéré les consciences, d'avoir été à ce point essentiels que toute contestation de leur génie semble inutile. Il faudrait des heures pour mesurer l'impact considérable de Lawrence sur la littérature contemporaine, pour expliquer à quel point cet auteur a révolutionné les lettres... alors franchement à côté de ça, à côté de la manière dont son style a libéré des générations entières, de la modernité de son propos ou de son écriture et de la beauté crue et assommante d'un roman comme Sons & Lovers... le fait que quelques personnes n'ait pas aimé un ou deux de ses livres ne pèse vraiment rien du tout et ne mérite pas qu'on passe des heures à s'en indigner comme si c'était le scandale de l'année. Le seul, l'unique scandale, c'est que trop de gens en France aujourd'hui ignorent l'existence d'un tel auteur. Pas qu'on l'aime ou non (et entre nous la détestation de Lawrence dans la blogosphère, si tant est qu'elle soit réelle, ne doit de toute façon être qu'une douce petite brise d'été comparée aux déferlements de haine dont il était l'objet de son vivant :-D)
"(et entre nous la détestation de Lawrence dans la blogosphère, si tant est qu'elle soit réelle, ne doit de toute façon être qu'une douce petite brise d'été comparée aux déferlements de haine dont il était l'objet de son vivant :-D)"
RépondreSupprimerCa, c'est bien vrai !
Superbe article Thom, je trouve comme Laiezza que tu parles très bien des classiques.Ppour rebondir sur les commentaires précédents, tu as raison en ce qui me concerne, j'ai eu un mal fou à écrire un billet sur Lawrence - entre autre, balzac n'était pas facile non plus - et ce n'était vraiment pas pour en dire du mal :-))) Les monuments doivent m'impressionner !
RépondreSupprimerBien écrit, cet article. C'est très agréable, merci beaucoup ^^
RépondreSupprimeryueyin >>> oui, bien sûr. C'est mon gros point de désaccord avec BBB. , j'ai plutôt le sentiment que l'école réussit parfaitement à inculquer l'idée de hiérarchisation et qu'un classique, on ne peut pas lui faire subir le même traitement que le premier engouement bloguien venu...
RépondreSupprimerMrs Badgal >>> euh... vous êtes la femme de Mr Badguy ? ^^
Absolument!
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