On l'attendait avec envie et fébrilité. Peut-être pas comme le Messie – n'exagérons rien. Mais au moins comme l'un des évènements de l'année. Parce qu'Eiffel – on vous le confie mais que cela reste entre nous – est sans le moindre doute possible le meilleur groupe de rock français en activité. Ou disons : de rock dur. Faut dire que la concurrence vole tellement bas que ce n'est pas bien dur, non plus.
Au fil des années le groupe de Romain Humeau est parvenu à s'imposer comme une référence, mais une référence qu'on n'entend jamais et dont la majorité des habitants du pays ignore l'existence. Étonnant paradoxe dont on peinera à identifier précisément la source. Et pourtant incontestablement, ces dernières années, les jeunes groupes puisant leur inspiration chez Eiffel sont de plus en plus nombreux, ce qui ne peut que prêter à sourire lorsqu'on se souvient qu'il y a encore cinq ans beaucoup taxaient (à tort !) le groupe de sous-Noir Désir.
Du mythique groupe français il est plus que jamais question cette fois-ci, puisque Bertrand Cantat en personne s'est déplacé pour faire les chœurs sur "À tout moment la rue", ébouriffant premier single auquel il confère une ampleur évidente. Adoubement, envie de tendre l'autre joue (sans mauvais jeu de mots...) ou volonté de clore définitivement de bien inutiles débats... peu importe, dans le fond. Car si une certaine presse n'a évidemment pas manqué d'en faire des tonnes sur ce qui ne sont après tout que quelques lignes de chant mixées en retrait, À tout moment a largement de quoi faire parler de lui sans qu'on s'attarde sur ses notes de pochette.
D'abord parce que c'est un excellent album de rock, et que notre doux pays n'en accueille pas toutes les semaines en son sein. Surtout : c'est un opus les deux pieds dans le plat de son époque, ce qui est encore plus rare en ces temps troublés où la revendication semble avoir totalement déserté le champ du rock'n'roll. C'est vrai en général ; cela l'est encore plus chez nous. Les usines licencient à tour de bras, la crise ronge le pays, les valeurs républicaines ébranlées font la une de manière quasi quotidienne... et que nous racontent les BB Brunes ? Que le chanteur a plaqué sa copine à la fin d'une teuf bien arrosée ? Allons donc. Pour les gens de la génération d'avant, qui se sont révélés au rock dans une époque pas si lointaine où la France arborait fièrement ses Noir Désir et autres No One Is Innocent, tout ceci semble bien superficiel et assurément dérisoire. Et si l'on aime à ce point Eiffel, c'est aussi en partie parce qu'il est l'un des derniers groupes à aller au charbon, à avoir un discours un peu plus élevé que la moyenne et à ne pas donner l'impression qu'il est évadé d'un bon vieux temps de carte-postale.
Sans être explicitement politique, ce qui relèverait de l'excès inverse, À tout moment est clairement habité par cette tension, cette urgence, cette incertitude bien d'aujourd'hui. Emporté dans une "Nébuleuse mélancolique", le groupe égrène ses titres hantés et rageurs, tantôt abrasifs ("Le Cœur Australie") et tantôt aériens (remarquable adaptation du Mort, j'appelle de ta rigueur, de Villon), défendant une certaine idée du binaire en partie héritée du grunge ("Mille voix rauques").
Et si à la première écoute on a la sensation que la révolution n'a pas vraiment eu lieu du côté de Bordeaux, un soupçon d'attention détrompera rapidement l'auditeur étourdi : voici un album d'une rare richesse instrumentale et harmonique, à la production soignée et aux arrangements remarquables (au demeurant la marque de fabrique de Humeau). Ici un piano, là un banjo, là encore un hautbois... À tout moment évoque en fait souvent le superbe (et trop méconnu) album solo de Romain (L'Éternité de l'instant (2005)), avec en prime de délicieuses réminiscences buzzcocksiennes ("Cet instant-là", "Clash"). Largement de quoi nourrir des espoirs de succès pour un ouvrage dont on espère qu'il connaîtra une destinée plus glorieuse que le fabuleux Tandoori, qui faillit bien entraîner la dissolution du quatuor. Non content d'être un groupe talentueux, Eiffel est surtout un groupe nécessaire dans une scène française à la limite de la sclérose. Et À tout moment, un album remarquable.
Au fil des années le groupe de Romain Humeau est parvenu à s'imposer comme une référence, mais une référence qu'on n'entend jamais et dont la majorité des habitants du pays ignore l'existence. Étonnant paradoxe dont on peinera à identifier précisément la source. Et pourtant incontestablement, ces dernières années, les jeunes groupes puisant leur inspiration chez Eiffel sont de plus en plus nombreux, ce qui ne peut que prêter à sourire lorsqu'on se souvient qu'il y a encore cinq ans beaucoup taxaient (à tort !) le groupe de sous-Noir Désir.
Du mythique groupe français il est plus que jamais question cette fois-ci, puisque Bertrand Cantat en personne s'est déplacé pour faire les chœurs sur "À tout moment la rue", ébouriffant premier single auquel il confère une ampleur évidente. Adoubement, envie de tendre l'autre joue (sans mauvais jeu de mots...) ou volonté de clore définitivement de bien inutiles débats... peu importe, dans le fond. Car si une certaine presse n'a évidemment pas manqué d'en faire des tonnes sur ce qui ne sont après tout que quelques lignes de chant mixées en retrait, À tout moment a largement de quoi faire parler de lui sans qu'on s'attarde sur ses notes de pochette.
D'abord parce que c'est un excellent album de rock, et que notre doux pays n'en accueille pas toutes les semaines en son sein. Surtout : c'est un opus les deux pieds dans le plat de son époque, ce qui est encore plus rare en ces temps troublés où la revendication semble avoir totalement déserté le champ du rock'n'roll. C'est vrai en général ; cela l'est encore plus chez nous. Les usines licencient à tour de bras, la crise ronge le pays, les valeurs républicaines ébranlées font la une de manière quasi quotidienne... et que nous racontent les BB Brunes ? Que le chanteur a plaqué sa copine à la fin d'une teuf bien arrosée ? Allons donc. Pour les gens de la génération d'avant, qui se sont révélés au rock dans une époque pas si lointaine où la France arborait fièrement ses Noir Désir et autres No One Is Innocent, tout ceci semble bien superficiel et assurément dérisoire. Et si l'on aime à ce point Eiffel, c'est aussi en partie parce qu'il est l'un des derniers groupes à aller au charbon, à avoir un discours un peu plus élevé que la moyenne et à ne pas donner l'impression qu'il est évadé d'un bon vieux temps de carte-postale.
Sans être explicitement politique, ce qui relèverait de l'excès inverse, À tout moment est clairement habité par cette tension, cette urgence, cette incertitude bien d'aujourd'hui. Emporté dans une "Nébuleuse mélancolique", le groupe égrène ses titres hantés et rageurs, tantôt abrasifs ("Le Cœur Australie") et tantôt aériens (remarquable adaptation du Mort, j'appelle de ta rigueur, de Villon), défendant une certaine idée du binaire en partie héritée du grunge ("Mille voix rauques").
Et si à la première écoute on a la sensation que la révolution n'a pas vraiment eu lieu du côté de Bordeaux, un soupçon d'attention détrompera rapidement l'auditeur étourdi : voici un album d'une rare richesse instrumentale et harmonique, à la production soignée et aux arrangements remarquables (au demeurant la marque de fabrique de Humeau). Ici un piano, là un banjo, là encore un hautbois... À tout moment évoque en fait souvent le superbe (et trop méconnu) album solo de Romain (L'Éternité de l'instant (2005)), avec en prime de délicieuses réminiscences buzzcocksiennes ("Cet instant-là", "Clash"). Largement de quoi nourrir des espoirs de succès pour un ouvrage dont on espère qu'il connaîtra une destinée plus glorieuse que le fabuleux Tandoori, qui faillit bien entraîner la dissolution du quatuor. Non content d'être un groupe talentueux, Eiffel est surtout un groupe nécessaire dans une scène française à la limite de la sclérose. Et À tout moment, un album remarquable.
👍👍 À tout moment
Eiffel | PIAS, 2009