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Ainsi donc lorsqu'il ne chante pas l'Apocalypse post-nucléaire avec Neurosis, Scott Kelly chante-t-il son amour pour ce qu'il reste de nature après ladite Apocalypse sur des albums solos tour à tour menaçants et contemplatifs (il y en a deux, remarquables pour des raisons différentes : Spirit Bound Flesh et The Wake). Je ne vous cacherai pas que je n'étais pas au courant (j'adore Neurosis mais je ne suis que sporadiquement les divers projets parallèles de ses membres) et que ce fut une de mes grandes découvertes de la semaine... car en dépit de ce que pourrait laisser croire ce ton un peu taquin, les deux opus solos de Kelly sont vraiment très bons et recommandables, le premier donnant une idée probablement juste de ce à quoi ressemblerait Neurosis s'il était un groupe de folk-rock, le second montrant le monsieur s'émancipant du carcan heavy pour aller chasser sur les terres bluesy et désertiques de Mark Lanegan (sur la très belle 'The Ladder in My Blood' on s'attend presque à voir PJ Harvey débarquer pour faires les choeurs).
C'est donc après des écoutes intensives de ces deux disques aussi brillants que pas gais que nous échouons ce soir au Glazart, non sans avoir attendu une petite demi-heure à poireauter dans le froid, plus une autre petite demi-heure à boire un coup en attendant que les hostilités commencent. Finalement la première partie commence... à vingt-et-une heures quinze, soit donc une heure un quart après l'heure indiquée sur le billet. On commence à se dire qu'on nous prépare là un remake du concert de Kurt Vile le mois dernier (dont je rappelle que je n'avais pas pu le voir en entier vu que ç'avait commencé trop tard et que, moi, je ne pouvais pas laisser filer le dernier train, vu que je me levais tôt le lendemain). Cela n'a pas encore viré à l'obsession, il n'empêche qu'il serait agréable que les organisateurs de concerts (et les artistes eux-mêmes, d'ailleurs - car c'est parfois de leur faute) se rappellent que tous les spectateurs ne vivent pas dans le centre de Paris (surtout ici), que beaucoup viennent de banlieue et ont des impératifs de transport et que même, des fois, ils se lèvent le lendemain pour aller bosser. Mais bref : c'est pisser dans un violon - plus ça va plus les concerts commencent tard.
Backthreads entre donc en scène. Comme 99 % des premières parties je ne connais pas, et comme 99 % des premières parties je m'en serais assez facilement passé. Néanmoins force est d'admettre que son spoken-word sur boucles fantomatiques a ce petit quelque chose faisant qu'on n'a pas l'impression de perdre notre temps. Un feeling, une présence... appelez ça comme vous voudrez. Si l'on ne se relèvera pas la nuit pour l'écouter (surtout que, donc, on se lève le lendemain), la prestation est convaincante et on suivra l'artiste du coin de l’œil à l'avenir.
A peine dix minutes plus tard, Scott Kelly entre scène (comme quoi il y en a qui ont du respect pour leur public et ne le font pas poireauter trois quarts d'heure après la première partie) et nous calme d'emblée (comme disent les jeunes, peu nombreux ce soir) avec une ouverture superbe qui restera probablement comme le meilleur morceau du concert (je crois que c'était 'We Let the Hell Come'... les fans voudront bien m'excuser de l'imprécision de l'information). C'est beau (et joyeux) comme une matinée de décembre où l'on découvre en ouvrant les volets qu'une tempête de neige s'est abattue sur la ville. C'est habité. C'est particulièrement bon, au point qu'on en frissonne. De toute évidence entre son dernier album (il y a déjà deux ans) et le concert de ce soir, Kelly a encore franchi un palier en terme d'interprétation, ce que confirmera la suite du set : tous les morceaux (du moins ceux qu'on a reconnu) sont plus mélodiques et aérés que leurs pendants studio, sans pour autant perdre leur pesanteur naturelle.
Petit break : l'artiste nous demande gentiment de nous taire. "If you wanna talk, leave". Charmant, mais pas faux cela dit : les gens causant au bar ont tendance à légèrement couvrir la musique (pour une fois que ça ne jouait pas trop fort...). Et là subitement Kelly éclate d'un rire grave et sarcastique - autant dire que Scott Kelly qui rigole n'était pas un truc que je pensais jamais voir dans ma vie. Le concert reprend, les morceaux s'enchaînent, le troisième déclenche l'hilarité de ma femme qui le trouve (je cite) "cucul". Moi, pas vraiment. Je suis surtout étonné par ce titre - a priori une nouveauté - évoquant clairement plus Springsteen que Neurosis et laissant fortement supposer que le prochain opus éloignera encore un peu le songwriter des sentiers heavy de son groupe pour aller vers une musique toujours plus folk et roots (le garçon vénère Hank Williams, et ça s'entend). Reste que si cette chanson est tout à fait honnête, on le sent quand même plus à l'aise dans un registre plus contemplatif, à la limite de l'animisme par moment si l'on tend l'oreille pour écouter les textes. L'entrée en lice de la guitare électrique à la moitié du parcours ne change rien à l'affaire : Scott Kelly excelle dans la pesanteur et la répétitivité des anathèmes - qu'elles soient folk ou blues ou rock. C'est son truc, c'est ce qu'il sait faire le mieux et son allure impressionnante comme sa voix sortant de terre confèrent à l'ensemble un aspect visuel étonnamment pertinent (alors que dans le fond Kelly ne fait que rester immobile avec sa gratte la majorité du temps).
C'est bluffant, d'une longueur idéale (la répétitivité à plus forte raison lorsqu'elle est volontaire n'accepte pas le trop-plein, et Kelly gère le rythme du concert à la perfection)... un excellent premier concert pour débuter 2010.