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Un truc qui m’a toujours étonné, c’est que l’on nous apprenne constamment à nous méfier des évidences comme de la peste, à ne pas nous fier aux apparences alors qu’entre nous, combien de fois ces vieux adages de grand-mère se sont-ils vérifiés ? D’expérience, il m’a toujours semblé que bien souvent, les choses étaient exactement ce qu’elles semblaient être de prime abord. Qu’en s’approchant on en distinguait mieux les couleurs ou les nuances, mais que l’image générale n’était pas à ce point modifiée qu’il faille en faire une vérité d’ordre générale. En somme : si quand j’écoute le très bel EP de Cheval Blanc j’ai le sentiment que l’individu qui me murmure à l’oreille que "L’Amour est en guerre" est un type doux, un peu mélancolique et sensible à la poésie… il y a de fortes chances pour qu’en le rencontrant, je ne découvre pas l’exact inverse de cette image.
Là, le lecteur cultivé ou rat de dossier de presse me fera remarquer que le dénommé Cheval Blanc fut l’un des fondateurs de No One Is Innocent (canal historique, pas la reformation des années 2000) et que je n’aurais par conséquent sans doute pas dit cela il y a quinze ans. La remarque serait presque juste si elle n’occultait pas le fait que contrairement à ce que la presse aimait bien titrer à l’époque, No One était un peu plus qu’une simple version francophone de Rage Against The Machine. Il suffit d’écouter cinq minutes le très culte Utopia pour y déceler une finesse, une richesse et une subtilité bien loin du bourrinage de ce que l’on appelait alors – et rien que le mot fait sourire aujourd’hui – la fusion (si vous avez moins de 25 ans laissez tomber, vous ne voyez pas de quoi je parle et ce n’est sans doute pas plus mal, la postérité du genre n’ayant guère mérité qu’on s’y attarde). Du reste, quinze ans, ce n’est pas rien. On change, en quinze ans. C’est presque à contre-cœur qu’on évoque No One Is Innocent avec Cheval Blanc, tant il paraît loin de tout cela aujourd’hui (ce qui ne l’empêche pas, de son propre aveu, de regarder ces années avec « une certaine tendresse »). Mais il faut bien retracer le parcours et, pour tout dire, il faut bien parler de quelque chose. Car le fait est qu’avant de le recontrer, on ne savait absolument rien de Jérôme-David Suzat dit Cheval Blanc.
On ne soupçonnait pas par exemple qu’à l’origine de tout cela il y avait… un blog. Pas du tout un blog consacré à la musique ; un blog consacré à l’écriture, à la poésie. Antipunk Cheval Blanc, créé en janvier 2006 et suivi, comme un feuilleton en une infinité d’épisodes, par Outremer Cheval Noir et, dernièrement, Nouvelle Vague Cheval Rouge. « Il s’est trouvé qu’un jour l’espace alloué était plein, et donc j’ai continué, comme si le cahier était fini. » Anecdote plutôt amusante, car partant de là, on aurait logiquement pu s’attendre à voir Jérôme se mettre à éditer des recueils de poésie plutôt que de revenir vers la musique. Expression que bien sûr il récuse. « J’ai jamais cessé d’enregistrer, jamais cessé de faire des espèces de disques… de démos, mais que je faisais moi-même et que je donnais le plus souvent. Après effectivement là j’ai un partenaire, il y a une pochette, c’est en vente… et ça c’est vrai que c’est quelque chose que je n’avais plus fait depuis 1997 et No One Is Innocent. » Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’entre temps, Jérôme a basculé dans un autre monde.
Car à ce stade il faut bien le préciser : malgré toute la sympathie et le respect qu’on peut avoir pour No One, que nous-mêmes quelque part on regarde aussi avec une certaine tendresse (c’était quand même pas mal, d’être jeune et en colère), il est à peu près aussi essentiel dans le CV de Jérôme qu’un job étudiant chez MacDo dans celui d’un agrégé de lettres. Révélations (1), EP intimiste et souvent poignant, n’a rien… mais alors rien à voir avec le hardcore-metal du groupe culte de notre adolescence en colère (quand la jeunesse emmerdait le front national et trouvait hyper essentiel et profond de le crier sur tous les toits). Autant quand l’attachée de presse de Bill Wyman nous dit qu’il est interdit d’évoquer les Stones durant l’interview on trouve cela d’une rare crétinerie, autant là on n’aurait presque aimé que Jérôme n’en pipe pas mot (de No One, pas des Stones), qu’il feigne de n’avoir jamais entendu parler de ce groupe. Il eut été sans doute plus commode de l’évoquer comme un nouvel artiste, un illustre inconnu débarqué de nulle part avec six pépites pop sous le bas, dont Les Criminelles, morceau délicat et racé que l’on imagine assez bien berçant les nuits de quelques ondes FM. « J’avais sans doute un manque esthétique avec No One, oui, ça me catégorisait trop… en sortant de ça j’ai fait tout de suite de la musique beaucoup plus calme, instrumentale dans un premier temps – c’était les débuts du post-rock. Et puis j’ai eu envie de chanter, au début d’un projet qui s’appelait Collage, en anglais… ça été un premier « débloquage », j’écrivais pas du tout à l’époque. » Un aveu pour le moins surprenant, là aussi, tant les textes de Révélations (1), aboutis, travaillés, maîtrisés… semblent plus souvent l’œuvre d’un auteur accompli que d’un type chez qui l’écriture aura été une vocation tardive. « J’y suis vraiment venu grâce au blog. Ça et le SMS ça m’a un peu… décoincé.« On s’étrangle : le SMS ?!! « Oui, avec un ami ardéchois on faisait des concours d’aphorismes, un peu nocturnes et imbibés… et le fait d’arriver à tirer mon épingle du jeu ça m’a donné un peu confiance. Et Internet – le blog – ça m’a permis d’écrire, j’ai commencé timidement sur ce site, Antipunk Cheval Blanc… mais j’osais pas encore écrire à la main, il me fallait absolument le clavier et – mais c’est très narcissique, hein – le regard immédiat des autres. Ça m’a donné ce cadre, rituel, d’aller écrire tous les jours… et ça m’a aidé à travailler, quoi. À progresser. J’en suis à me demander comment ils faisaient autrefois, pour garder tous ces poèmes dans leurs cahiers ! » C’est vrai qu’on se pose parfois la question. Le Net a opéré une telle libération de la parole (au sens large), est devenu si essentiel si vite… et d’un autre côté, pas sûr que les ponts entre blogs et édition soient vraiment concluant à ce jour. Pour un Hyrok 1, combien de Journal d’une caissière ?
Un truc qui m’a toujours étonné, c’est que l’on nous apprenne constamment à nous méfier des évidences comme de la peste, à ne pas nous fier aux apparences alors qu’entre nous, combien de fois ces vieux adages de grand-mère se sont-ils vérifiés ? D’expérience, il m’a toujours semblé que bien souvent, les choses étaient exactement ce qu’elles semblaient être de prime abord. Qu’en s’approchant on en distinguait mieux les couleurs ou les nuances, mais que l’image générale n’était pas à ce point modifiée qu’il faille en faire une vérité d’ordre générale. En somme : si quand j’écoute le très bel EP de Cheval Blanc j’ai le sentiment que l’individu qui me murmure à l’oreille que "L’Amour est en guerre" est un type doux, un peu mélancolique et sensible à la poésie… il y a de fortes chances pour qu’en le rencontrant, je ne découvre pas l’exact inverse de cette image.
Là, le lecteur cultivé ou rat de dossier de presse me fera remarquer que le dénommé Cheval Blanc fut l’un des fondateurs de No One Is Innocent (canal historique, pas la reformation des années 2000) et que je n’aurais par conséquent sans doute pas dit cela il y a quinze ans. La remarque serait presque juste si elle n’occultait pas le fait que contrairement à ce que la presse aimait bien titrer à l’époque, No One était un peu plus qu’une simple version francophone de Rage Against The Machine. Il suffit d’écouter cinq minutes le très culte Utopia pour y déceler une finesse, une richesse et une subtilité bien loin du bourrinage de ce que l’on appelait alors – et rien que le mot fait sourire aujourd’hui – la fusion (si vous avez moins de 25 ans laissez tomber, vous ne voyez pas de quoi je parle et ce n’est sans doute pas plus mal, la postérité du genre n’ayant guère mérité qu’on s’y attarde). Du reste, quinze ans, ce n’est pas rien. On change, en quinze ans. C’est presque à contre-cœur qu’on évoque No One Is Innocent avec Cheval Blanc, tant il paraît loin de tout cela aujourd’hui (ce qui ne l’empêche pas, de son propre aveu, de regarder ces années avec « une certaine tendresse »). Mais il faut bien retracer le parcours et, pour tout dire, il faut bien parler de quelque chose. Car le fait est qu’avant de le recontrer, on ne savait absolument rien de Jérôme-David Suzat dit Cheval Blanc.
On ne soupçonnait pas par exemple qu’à l’origine de tout cela il y avait… un blog. Pas du tout un blog consacré à la musique ; un blog consacré à l’écriture, à la poésie. Antipunk Cheval Blanc, créé en janvier 2006 et suivi, comme un feuilleton en une infinité d’épisodes, par Outremer Cheval Noir et, dernièrement, Nouvelle Vague Cheval Rouge. « Il s’est trouvé qu’un jour l’espace alloué était plein, et donc j’ai continué, comme si le cahier était fini. » Anecdote plutôt amusante, car partant de là, on aurait logiquement pu s’attendre à voir Jérôme se mettre à éditer des recueils de poésie plutôt que de revenir vers la musique. Expression que bien sûr il récuse. « J’ai jamais cessé d’enregistrer, jamais cessé de faire des espèces de disques… de démos, mais que je faisais moi-même et que je donnais le plus souvent. Après effectivement là j’ai un partenaire, il y a une pochette, c’est en vente… et ça c’est vrai que c’est quelque chose que je n’avais plus fait depuis 1997 et No One Is Innocent. » Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’entre temps, Jérôme a basculé dans un autre monde.
Car à ce stade il faut bien le préciser : malgré toute la sympathie et le respect qu’on peut avoir pour No One, que nous-mêmes quelque part on regarde aussi avec une certaine tendresse (c’était quand même pas mal, d’être jeune et en colère), il est à peu près aussi essentiel dans le CV de Jérôme qu’un job étudiant chez MacDo dans celui d’un agrégé de lettres. Révélations (1), EP intimiste et souvent poignant, n’a rien… mais alors rien à voir avec le hardcore-metal du groupe culte de notre adolescence en colère (quand la jeunesse emmerdait le front national et trouvait hyper essentiel et profond de le crier sur tous les toits). Autant quand l’attachée de presse de Bill Wyman nous dit qu’il est interdit d’évoquer les Stones durant l’interview on trouve cela d’une rare crétinerie, autant là on n’aurait presque aimé que Jérôme n’en pipe pas mot (de No One, pas des Stones), qu’il feigne de n’avoir jamais entendu parler de ce groupe. Il eut été sans doute plus commode de l’évoquer comme un nouvel artiste, un illustre inconnu débarqué de nulle part avec six pépites pop sous le bas, dont Les Criminelles, morceau délicat et racé que l’on imagine assez bien berçant les nuits de quelques ondes FM. « J’avais sans doute un manque esthétique avec No One, oui, ça me catégorisait trop… en sortant de ça j’ai fait tout de suite de la musique beaucoup plus calme, instrumentale dans un premier temps – c’était les débuts du post-rock. Et puis j’ai eu envie de chanter, au début d’un projet qui s’appelait Collage, en anglais… ça été un premier « débloquage », j’écrivais pas du tout à l’époque. » Un aveu pour le moins surprenant, là aussi, tant les textes de Révélations (1), aboutis, travaillés, maîtrisés… semblent plus souvent l’œuvre d’un auteur accompli que d’un type chez qui l’écriture aura été une vocation tardive. « J’y suis vraiment venu grâce au blog. Ça et le SMS ça m’a un peu… décoincé.« On s’étrangle : le SMS ?!! « Oui, avec un ami ardéchois on faisait des concours d’aphorismes, un peu nocturnes et imbibés… et le fait d’arriver à tirer mon épingle du jeu ça m’a donné un peu confiance. Et Internet – le blog – ça m’a permis d’écrire, j’ai commencé timidement sur ce site, Antipunk Cheval Blanc… mais j’osais pas encore écrire à la main, il me fallait absolument le clavier et – mais c’est très narcissique, hein – le regard immédiat des autres. Ça m’a donné ce cadre, rituel, d’aller écrire tous les jours… et ça m’a aidé à travailler, quoi. À progresser. J’en suis à me demander comment ils faisaient autrefois, pour garder tous ces poèmes dans leurs cahiers ! » C’est vrai qu’on se pose parfois la question. Le Net a opéré une telle libération de la parole (au sens large), est devenu si essentiel si vite… et d’un autre côté, pas sûr que les ponts entre blogs et édition soient vraiment concluant à ce jour. Pour un Hyrok 1, combien de Journal d’une caissière ?
Le paradoxe de cette libération par le blogTM, c’est que malgré tout Cheval Blanc ne se définit que comme un poète débutant, « encore en CAP ». Écrire, gagner en confiance, d’accord. Se sentir légitime… C’est donc tout naturellement que certains poèmes ont basculé vers des chansons, exercice délicat s’il en est. « Viens dans mes bras un jour je l’ai vue sur mon blog, j’ai pris ma guitare, je l’ai chantée… et je me suis aperçu que ça venait tout seul alors que franchement, j’y avais pas pensé. Par contre "L’Amour est en guerre" j’ai écrit le texte et fait la musique très très vite…. » Ah ! "L’Amour est en guerre !" Le clou d’un EP qui ne manque pourtant pas de temps forts. « J’ai voulu faire une espèce de pastiche de slow. Il y a un peu de second degré dans les arrangements. Je vais relancer le slow ! (rires) J’aimerais que pendant les concerts les gens dansent sur cette chanson. Mais c’est peut-être que je rêve de danser un slow à nouveau alors que j’en ai pas forcément les moyens… » Pastiche, soit. Mais pas parodie. Car "L’Amour est en guerre" est une chanson particulièrement touchante, urgente et finalement entêtante. Quant aux arrangements, ironiques ou non, ils sont remarquables. Comme sur l’ensemble du disque, au point que ce soit surtout le sous-titre The Art of Demo qui sonne comme une boutade. « Il faut le voir comme un préambule à un véritable album. Une manière de faire connaître un peu ce travail réalisé durant des années d’ombres… en gros c’est ce qui sort quand t’es mort. » Un petit rire un peu timide, puis : « Moi je fais le chemin inverse. C’est pour préparer un vrai album, en fait. Sans quoi ç’aurait été donner trop d’importance à ce qui n’est finalement qu’une compilation de morceaux plus ou moins anciens. » C’est aussi pourquoi il a choisi de diviser tout cela en plusieurs volumes – le second est en effet déjà dans les fourneaux. Avant d’embrayer, espère-t-il, sur le premier album officiel de Cheval Blanc, celui qui permettra de faire de grimper la cote de Révélations (1) (et de son successeur à paraître, Révolutions) aux enchères de la pop française. Vue sa qualité, pas sûr qu’il ait eu besoin de cela. Ce qui est sûr en revanche, c’est que l’on attend déjà la suite de pied ferme, et qu’on se fera un plaisir de rendre une petite visite au Cheval Blanc pour cette occasion.
Révélations (1), du Cheval Blanc (Bruit Blanc, 2010)