jeudi 15 avril 2010

The Nightcrawler - Rare. Donc Précieux. Et inversement.

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Il y a quelques semaines notre camarade Boebis, surligneur de talent et responsable de notre rubrique Ciné/DVD, me faisait remarquer d’un air entendu que les chroniqueurs de la rubrique musique étaient – je cite – « plutôt snobs ». Le garçon ne manque pas d’humour, lui-même tenant un très bon blog dans lequel il évoque régulièrement des groupes de hip hop sud Coréens et des collectifs de rythm & blues à peine sortis de leur Ukraine du nord natale. Votre serviteur ne lésina évidemment pas sur les récriminations (« Quoi ? Mais pas du tout ! Faut pas confondre snobisme et bon goût. »), c’est-à-dire qu’il ignorait encore, le pauvre, que moins de quinze jours plus tard il repousserait ses propres limites en la matière, en causant la même semaine des inconnus Marxmallows et – dans un genre radicalement différent – de RED. Dont le premier album sous le pseudonoyme de The Nightcrawler (aka Red… je suis d’accord ça valait bien la peine de changer de nom) paraît cette semaine sous la forme d’une édition limitée à cinq cents copies vinyles (coupon MP3 inclus)… à moins qu’il ne faille plutôt le présenter comme cinq cents éditions limitées, puisque chacune dispose d’une pochette différente dessinée par l’artiste.


Néanmoins, comme nous le disions plus haut, faudrait voir à ne pas confondre snobisme et bon goût. Qu’y pouvons-nous, pauvres chroniqueurs, si The Nightcrawler aka RED est le meilleur album du mois, et de loin ? Le fait est qu’il est rare de découvrir autant de classe concentrée en si peu de temps (trente-deux minutes). Certes, cela tient à peu de choses, la classe : quelques saines références (Lambchop est ouvertement cité dès le premier morceau, Thelonious Monk dès le second, Lee Hazlewood n’est jamais bien loin), une manière d’aller arracher l’émotion sans jamais sacrifier au racolage ("The Boy with Permanent Smile", superbe), un certain sens du swing, une recherche harmonique trouvant un équilibre forcément fragile entre austérité et foisonnement… oui, c’est assez facile d’être classe, sur le papier. A se demander pourquoi si peu y parviennent.

Cela semble encore plus simple lorsque c’est RED qui s’y colle. L’air de rien, voilà qu’il publie l’album qu’on se serait plutôt attendu à entendre chez Tindersticks (quoique il évoque plus volontiers les excellents – et méconnus – albums solo de Stuart Staples que ceux de son groupe). Soit donc quelque chose d’à la fois rugueux et chaud, folk et lounge, finalement assez difficile à étiqueter tout en étant aisé à situer dans la galaxie musicale contemporaine : vous prenez les artistes susmentionnés, vous ajoutez le Chesnutt période Constellation et le traditionnel soupçon de Tom Waits (car tout musicien classe digne de ce nom se doit de s’inscrire au moins une fois par disque dans la filiation du clochard céleste de Pomona)… vous aurez alors une idée relativement fidèle de la région sonore dans laquelle office The Nightcrawler, dont l’"At Your Home" ou l’"Abel’s Looking for a Major Label" constituent les paysages typiques. Et ténébreux, cela va sans dire. Le genre d’endroit que l’on prend plaisir à visiter mais où personne n’aurait l’idée saugrenue d’emménager – mis à part bien sûr un poète mélancolique goûtant de s’asseoir sur le toit du monde.

A toute fin utile, précisons pour finir que nous n’avons pu à ce jour entendre que la version digitale. Ce qui en dit long quant à la qualité d’un album qui, de toute évidence, ne pourra que sortir encore grandi du format vinyle (ceci dit sans jeu de mots). Si vous ne deviez investir que dans un seul disque ce mois-ci…


The Nightcrawler aka RED (2010)