C'est l'histoire d'un auteur qui un jour a fumé un calumet de la paix de trop. Un auteur autrefois excellent, brillant même, dont les mots cognaient et dont l'humour décapait tout sur son passage, politiquement correct et politiquement incorrect, communautarisme, stéréotypes. Il avait une fougue incroyable, et son art semblait être tourné vers l'envie de démontrer que les clichés n'étaient à l'art que ce que le racisme était à la vie : sa réduction, sa limitation, sa bêtise.
Les clichés, lui, il les explosait. C'était au milieu des années quatre-vingt-dix - autant dire une éternité. Sherman Alexie (car non, je ne parlais pas de Vincent Ravalec) frappait vite et fort, avec une paire de romans cultes, l'un burlesque et gorgé de rock'n'roll (Reservation Blues), l'autre dur, enragé et violent (Indian Killer). La critique était à genoux, certes prompte à encenser le nouvel auteur indien qui déchire, certes partante pour en faire - évidemment - l'héritier de James Welch (la critique ne connaît de toute façon aucun autre auteur amérindien), mais obligée de reconnaître son insolent talent. Le public était conquis, qui découvrait un conteur extraordinaire et un écrivain d'une incroyable liberté de ton, libéré des contraintes du roman traditionnel, s'autorisant tous les excès, et narrant des histoires improbables avec un sens du rythme époustouflant. Et puis après...
... après ? Rien. Pendant dix ans, Sherman Alexie n'a quasiment publié que des poèmes (superbes) et des nouvelles (inégales), réalisé deux mauvais films que personne n'a vus. Laissé le roman à d'autres. Et lorsqu'il y est revenu, plus rien n'était pareil. Cela ne l'a pas empêché de recueillir un large succès en écrivant pour les djeun's des livres ressemblant à des versions simplifiées de ses chefs-d'œuvre. Mais chaque fois, depuis, lorsqu'on ouvre un de ses livres "pour adultes", on a le sentiment désagréable que le cœur n'y est plus.
Flight n'échappe pas à cette règle. En fait, même le savoir-faire semble ne plus y être. Son héros, Spots, pourrait être une version ado et hooligan de Thomas Builds-the-Fire (le héros de Reservation Blues). Il parle, il parle, il en veut à la terre entière, il raconte un peu n'importe quoi. Les premières pages sont de suite troublantes (elles le seront encore plus une fois entré dans le vif du sujet), parcourues de fulgurances poétiques mais bavardes, un peu vaines, pas très bien écrites. Autrefois immense, Alexie tombe dans tous les écueils (langagiers, tonaux) du vieux qui écrit un bouquin dont le narrateur est un jeune. Il y a certes quelques réflexions pertinentes, il y a évidemment un regard lucide et désolé sur la condition contemporaine des Indiens d'Amérique. Cela peut faire cache-misère, mais quiconque a lu les précédents livres de Sherman Alexie n'aura rien à apprendre de cette longue introduction.
Les choses ne s'arrangent pas lorsqu'après un bon tiers de livre et alors qu'on ne s'y attend absolument pas, Spots prend une balle de tête et voit ses aventures basculer dans le fantastico-historico-satirique. Voilà que sans crier gare, Alexie revisite l'histoire de son pays à la sauce Quantum Leap ? Ça pourrait le faire, ce pourrait être passionnant. Mais non. C'est ennuyeux et assez vain. Impression étrange, là encore : tous les éléments qui faisaient de Reservation Blues un roman essentiel sont présents, mais aucun ne fonctionne. Autrefois original et pertinent, le mélange de fantastique et d'ultra-réalisme ne s'agglomère pas. Le propos a tout pour intéresser, mais n'intéresse pas. Surtout, le style de Sherman Alexie n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a quinze ans. Il est dans le gimmick, dans la lourdeur, dans le pathos.
On referme le livre sans savoir s'il est heureusement ou malheureusement très court. On n'a pas encore compris ce qui s'était passé. Qu'est devenu cet auteur si doué, si provocant, si cool ? Un vieux quadra moralisateur ? On a un peu de mal à le croire. Et pourtant...
Flight, de Sherman Alexie (2007)
Les clichés, lui, il les explosait. C'était au milieu des années quatre-vingt-dix - autant dire une éternité. Sherman Alexie (car non, je ne parlais pas de Vincent Ravalec) frappait vite et fort, avec une paire de romans cultes, l'un burlesque et gorgé de rock'n'roll (Reservation Blues), l'autre dur, enragé et violent (Indian Killer). La critique était à genoux, certes prompte à encenser le nouvel auteur indien qui déchire, certes partante pour en faire - évidemment - l'héritier de James Welch (la critique ne connaît de toute façon aucun autre auteur amérindien), mais obligée de reconnaître son insolent talent. Le public était conquis, qui découvrait un conteur extraordinaire et un écrivain d'une incroyable liberté de ton, libéré des contraintes du roman traditionnel, s'autorisant tous les excès, et narrant des histoires improbables avec un sens du rythme époustouflant. Et puis après...
... après ? Rien. Pendant dix ans, Sherman Alexie n'a quasiment publié que des poèmes (superbes) et des nouvelles (inégales), réalisé deux mauvais films que personne n'a vus. Laissé le roman à d'autres. Et lorsqu'il y est revenu, plus rien n'était pareil. Cela ne l'a pas empêché de recueillir un large succès en écrivant pour les djeun's des livres ressemblant à des versions simplifiées de ses chefs-d'œuvre. Mais chaque fois, depuis, lorsqu'on ouvre un de ses livres "pour adultes", on a le sentiment désagréable que le cœur n'y est plus.
Flight n'échappe pas à cette règle. En fait, même le savoir-faire semble ne plus y être. Son héros, Spots, pourrait être une version ado et hooligan de Thomas Builds-the-Fire (le héros de Reservation Blues). Il parle, il parle, il en veut à la terre entière, il raconte un peu n'importe quoi. Les premières pages sont de suite troublantes (elles le seront encore plus une fois entré dans le vif du sujet), parcourues de fulgurances poétiques mais bavardes, un peu vaines, pas très bien écrites. Autrefois immense, Alexie tombe dans tous les écueils (langagiers, tonaux) du vieux qui écrit un bouquin dont le narrateur est un jeune. Il y a certes quelques réflexions pertinentes, il y a évidemment un regard lucide et désolé sur la condition contemporaine des Indiens d'Amérique. Cela peut faire cache-misère, mais quiconque a lu les précédents livres de Sherman Alexie n'aura rien à apprendre de cette longue introduction.
Les choses ne s'arrangent pas lorsqu'après un bon tiers de livre et alors qu'on ne s'y attend absolument pas, Spots prend une balle de tête et voit ses aventures basculer dans le fantastico-historico-satirique. Voilà que sans crier gare, Alexie revisite l'histoire de son pays à la sauce Quantum Leap ? Ça pourrait le faire, ce pourrait être passionnant. Mais non. C'est ennuyeux et assez vain. Impression étrange, là encore : tous les éléments qui faisaient de Reservation Blues un roman essentiel sont présents, mais aucun ne fonctionne. Autrefois original et pertinent, le mélange de fantastique et d'ultra-réalisme ne s'agglomère pas. Le propos a tout pour intéresser, mais n'intéresse pas. Surtout, le style de Sherman Alexie n'a plus rien à voir avec ce qu'il était il y a quinze ans. Il est dans le gimmick, dans la lourdeur, dans le pathos.
On referme le livre sans savoir s'il est heureusement ou malheureusement très court. On n'a pas encore compris ce qui s'était passé. Qu'est devenu cet auteur si doué, si provocant, si cool ? Un vieux quadra moralisateur ? On a un peu de mal à le croire. Et pourtant...
Flight, de Sherman Alexie (2007)
Je ne pourrais pas affirmer que j'ai lu, celui-ci. Le problème, vous le soulevez, plus ou moins, c'est que depuis quelques livres, Sherman Alexie choisit, toujours, le même type de héros, souvent narrateurs. Cela finit par être toujours pareil.
RépondreSupprimerBBB.
J'avais un peu cette impression...
RépondreSupprimerEn lisant le début de ton billet, je croyais qu'il était mort... bon, c'est en quelque sorte un enterrement de première classe ! J'ai lu il y a peu un de ses recueils de nouvelles qui m'a paru plutôt bon par la diversité des situations qu'il met en scène, et par son humour. J'ai un roman jeunesse aussi sous le coude.
RépondreSupprimerAh mince... désolé pour le quiproquo ! :-)
RépondreSupprimerCe n'est pas parce qu'il ne plaît pas à quelques Français que Sherman Alexie n'est plus un bon auteur loin de là... Aux USA et au Canada il est plus que jamais au top! Tant pis pour la France, en Amérique on l'adore. Et son film est excellent! Il gagne prix par-dessus prix.
RépondreSupprimerY'a peut-être juste la critique française encore une fois qui ne connaît que James Welch...
Oui ou alors, on peut renverser cette argumentation tellement brillante en disant qu'il n'y a qu'au Canada qu'ils ne sont pas encore aperçus que la bibliographie d'Alexie avait du plomb dans l'aile.
RépondreSupprimerCe qui est bien avec les non-arguments, c'est que ça peut durer des heures comme ça...
J'adore. Je connaissais le célèbre "si cela a du succès, c'est que c'est bien", mais, je ne connaissais pas la version "chauvino-xénophobe", "vous les Français n'y connaissez rien, nous, on sait ce qui est bon". Alors, si cela peut rassurer la petite pomme de terre, Sherman Alexie n'a pas de problème en France : on ne l'y connaît que très peu. Il n'y a jamais eu grand succès, et n'est lu, ici, que par quelques lecteurs fidèles, qui ont le droit d'être critiques avec ses livres, s'ils l'estiment nécessaire. Ce n'est pas un problème de nationalité (il est lassant de lire ce genre de bêtises, hors de propos) je connais bien les USA, comme le Canada; là-bas aussi, on est critique avec les auteurs, lorsqu'ils déçoivent, et même s'ils récoltant "prix par-dessus prix". Si vous avez un problème avec la critique, il vous appartient, inutile de mêler trois peuples entiers à vos histoires.
RépondreSupprimerBBB.
S'ils récoltent, vous aviez corrigé, vous-même.
RépondreSupprimerJe me permets d'intervenir pour preciser quand même que Sherman Alexie n'est pas si connu que ça aux US (il n'est meme pas tres connu ici, Welch encore moins!) Il l'est un peu plus aujourd'hui mais c'est vraiment d'une petite part du public et il est souvent resume en l'indien de service. Je pense qu'au contraire de ce qui est dit il est beaucoup plus connu en France, qui s'interesse beaucoup plus aux sujets dont il parle que les americains. N'oubliez pas que vous lisez beaucoup beaucoup plus que nous et que votre marche n'est pas fragmente comme ici!!
RépondreSupprimerBBB. >>> je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y voir une quelconque "xénophobie". C'est juste un commentaire inutile et méprisant, qui n'apporte rien au débat (et c'est dommage, car on peut toujours débattre, les avis dans ces pages n'engagent que ceux qui les énoncent).
RépondreSupprimerSerious >>> je n'aurais rien dit sans confirmation de ta part, mais c'est un peu ce qu'il me semblait aussi. Tu sais ce qu'on dit, par chez vous ? Que les Français n'aiment jamais tant les Américains que lorsque ceux-ci critiquent vertement l'Amérique. Et dans le genre, Alexie se pose là.
(sinon ça va ? ton commentaire est un peu chaotique...)
Nan mais c'est toujours comme ca quand je retourne aux US, je perd tres vite mon francais. Mais ca va :)
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