"Quand on a trouvé le temps de boire tous les jours, on peut bien trouver le temps d'aller aux AA tous les jours."
Que faire lorsque l'on a écrit un premier roman autobiographique culte, si original, si inclassable, si fascinant, assurant une fan-base digne d'une rockstar ? Il n'y a guère que deux solutions : soit on disparaît, soit on essaie de remettre ça, de devenir un véritable écrivain - et plus seulement ce gars qui eut une enfance tellement incroyable qu'on en fit un livre puis un film.
Dry, seconde épopée autobiographique d'Augusten Burroughs (on ne peut pas réellement parler de suite à Running with Scissors, les deux récits sont totalement indépendants et se suffisent à eux-mêmes), a des airs de pari. Sauf coup de bol monumental ou coup du sort à la limite de l'acharnement, il n'y a quasiment aucune chance pour que quiconque ayant eu un début de vie aussi improbable que Burroughs ait l'occasion de vivre par la suite des choses moitié aussi originales. Alors on fait quoi ? Eh bien. On écrit. Quelque chose d'autre. On apprend à faire de la littérature.
Dans Running with Scissors, Augusten Burroughs dévoilait un potentiel certain, mais il n'était pas encore tout à fait écrivain. Trop d'imperfections, trop de longueurs. On ne fait pas de grande littérature sans soufre, mais on n'en fait pas non plus qu'avec ça. Dry, c'est une autre paire de manches. Burroughs se heurte à sa psyché. A son inconscient. Il ne se contente plus de raconter par le menu des choses qui lui sont arrivées. Il les met en relief, il les transcende pour accoucher d'un récit paradoxal, bien plus banal que son précédent livre (les premières pages ne manquent d'ailleurs pas de clichés)... mais bien plus réussi, aussi.
J'écrivais plus haut que Dry n'était pas la suite de Running with Scissors... entendons-nous bien : il n'en est pas la suite du strict point de vue narratif. Il a son début, son milieu et sa fin, et à aucun instant, hormis une ou deux vagues et indirectes allusions, ne renvoie à son prédécesseur. Mine de rien, cela en dit long sur l'intelligence et la délicatesse avec lesquelles il a été écrites. Car il est évident pour n'importe qui ayant lu les deux que la blessure profonde faisant du narrateur de Dry un alcoolique en phase terminale, désepéré et parfois incontrôlable, découle directement de l'enfance cauchemardesque narrée dans Running with Scissors. Ce second récit autobiographique met étonnamment en perspective le premier : Augusten traversait Running with Scissors de manière étrange, très distanciée, comme s'il parvenait malgré tout à conserver un semblant de raison au milieu du chaos et comme si, finalement, il en était ressorti quasiment indemne. Non seulement Dry, d'une noirceur presque insupportable par instants, démontre le contraire - mais encore se situe-t-il à l'exact opposé de cela. Peut-être parce que l'auteur fait appel à des souvenirs plus récents, qu'il est encore en train de les digérer au moment d'écrire ces lignes. Peut-être parce que les fantômes de Pigehead, de Foster et des autres personnages brisés peuplant ce récit viennent encore, parfois, le hanter.
Toujours est-il que cette fois-ci, le lecteur est emporté dans le tourbillon qui balaie le narrateur. L'écriture de Burroughs est viscérale, et l'on souffre avec lui... à cause de lui parfois. C'est dur, rêche. Assez dry en effet, malgré un sens consommé du burlesque. Stylistiquement, ce n'est quasiment même plus le même auteur. Ou plutôt : c'est un auteur, et non plus un personnage attachant.
Pari tenu.
Dry [Déboire], d'Augusten Burroughs (2003)
Excellent livre à ne pas manquer !
RépondreSupprimerMoi j'ai lu "Running with scissors" suite à ton premier article mais franchement, je n'y ai rien vu de bien palpitant. Alors sa "suite", mouais.
RépondreSupprimerJ'ai lu moi aussi son premier roman suite à ton article, et je lirais bien celui-là également !
RépondreSupprimerBen moi, je suis "en train de lire" Running with scissors depuis février 2010 EXACTEMENT...
RépondreSupprimerOn m'avait dit que c'était un livre drôle, on m'a menti!!! Mis à part ce fait, je n'ai pas été très emballée (les longueurs, la narration)... Et pourtant ce que j'en avais lu sur Internet m'avait donné envie de lire tous ces livres...
Sinon, je ne sais pas si tu le sais, mais Dry peut aussi se référer à l'expression "dry drunk", qui a une signification particulière pour les alcooliques :
"Dry Drunk" has been described as "A condition of returning to one's old alcoholic thinking and behavior without actually having taken a drink."
http://alcoholism.about.com/cs/info/a/aa081397.htm
http://www.aacanada.com/drydrunk.html
Donc d'après ce que tu en dis, il a réussi à retranscrire cet état de "dry-drunkness" par son style, ça a l'air pas mal...
Je ne le savais pas, en effet. Très intéressant, d'autant que dans son livre suivant il use aussi dans le titre d'une référence de ce type (en l'occurrence au "magical thinking"). Il est donc tout à fait possible que tu aies raison.
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