Breaking Bad - Darkest Days

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[TAUX DE SPOIL : 20 %] Arrive un moment où les mots finissent par manquer. A force de prendre des baffes dans la gueule. A force de sortir de chaque nouvel épisode lessivé et le souffle court. A force de s'écrier que c'est pas possible, que c'est pas vrai, qu'il vont pas oser, mais quelle horreur mais quel culot. Oui : à force, on ne sait plus trop quoi dire. A part que c'est incroyable, exceptionnel, magistral. Foire aux superlatifs. On se dit que décidément, à l'heure actuelle, il n'y a rien au-dessus de Breaking Bad. On essaie de prendre des notes ? Chaque épisode balaie l'impression que nous avait laissé celui d'avant. On est pris dans un tourbillon, celui de Walter White, autrefois citoyen ordinaire (modèle !) et désormais personnage de plus en plus infâme, écartelé entre ce qu'il lui reste de morale et ses pulsions les plus incontrôlables...  et séduisantes. Un Monsieur Tout-le-monde ayant plus ou moins volontairement laissé sauter tous les verrous (sociaux, psychologiques, moraux) ne semmant plus que malheur et désolation sur son passage.

Après sa formidable seconde saison, pourtant, on se demandait comment Breaking Bad pourrait aller plus loin - et donc plus haut. C'était compter sans l'intelligence de son créateur, Vince Gilligan, qui vient (encore) de trousser l'une des plus incroyables saisons de série qu'on ait vu depuis... la précédente, en fait. On l'écrit avec d'autant plus de plaisir et de sincérité qu'il y a deux ans, quand cet OVNI a débarqué sur les écrans, on n'était pas trop fan. Que de chemin parcouru depuis !

Pourtant au début, on est un peu inquiet. Lorsque dans cette scène tendue Skyler vient confronter Walt et lui balance, à la surprise générale, qu'elle a deviné qu'il est devenu dealer, on s'émeut un peu de voir son mari admettre si facilement ce qui est loin d'être une évidence. On ne comprend pas pourquoi il avoue si vite, se mettant dans une position intenable et laissant tous les pouvoirs à cette femme qu'il aime autant qu'elle l'insupporte. Dans un élan masochiste, il semble lui donner le bâton et attendre l'heure de son châtiment. Ce n'est que plus tard que l'on comprend qu'il s'agit en fait de la plus brillante idée de la saison. D'une part parce que dès lors, en se confessant en partie, Walter sera encore plus seul qu'il ne l'a jamais été (renversement des valeurs morales plutôt excitant). Surtout, le voilà désormais placé dans une situation où il n'a plus besoin de (se) mentir. Il peut même, s'il le souhaite, tout arrêter. Ce ne sera évidemment pas le cas. Comment cela pourrait-il l'être ? Walt a franchi la ligne jaune depuis bien longtemps, probablement depuis le meurtre de Krazy-8 dans la première saison. Il ne peut plus revenir. Il ne le veut pas. Le jeu exceptionnel de Bryan Cranston le souligne subtilement. Walter est de plus en plus sûr de lui, loin de l'individu faible, chétif et dépassé par les évènements qu'il était dans une autre vie. Dans cette saison trois, comme l'on pouvait l'espérer, il est désormais seul en face de sa part d'ombres. Sa part préférée.

Il n'est pas le seul. Jesse également, affronte ses démons et tente de domestiquer la colère qui l'habite. Là encore, la série prend à revers : à la fin de la saison deux, Walt lui sauvait la mise - sinon la vie. Tout laissait à supposer que dans la saison trois, l'un et l'autre seraient plus proches que jamais. Que ce serait eux deux contre le reste du monde. C'est exactement l'inverse qui se passe. Leur relation de plus en plus douloureuse rappelle de manière troublante celle que Vic Mackey entretenait avec Shane Vendrell dans The Shield. Il n'y a pas si longtemps Jesse sautait de joie en apprenant que le cancer de son mentor était en phase de rémission. Désormais il n'est plus la moindre parcelle de lui qui ne voue White aux gémonies. "Depuis que je te fréquente j'ai perdu tout ce qui comptait pour moi". On n'aurait pas mieux dit : sa maison, sa famille, ses amis, la femme qu'il aime et sa dignité y sont successivement passés. En toute logique, son âme est en train de suivre.

Et puis il y a Hank, bien sûr. Qui fait désormais jeu égal avec les deux autres. Pris dans l'océan de merde que son beau frère traîne dans son sillage, obsédé jusqu'à la folie par l'arrestation du mystérieux Heisenberg, l'agent des stups est le seul personnage à être encore touchant, sincère, intègre. Le dernier qu'on puisse encore avoir envie d'excuser et de défendre. Pour combien de temps ? A chaque épisode, Hank se rapproche un peu plus du vide, le même qui habite désormais en permanence Walter. Pour Hank plus encore que pour les deux autres, il est évident que tout cela finira très mal. Qu'il continuera de se consumer dans sa quête. Pour lui, le point de non-retour est atteint dans l'épisode "One Minute", qui contient les sept minutes les plus sensationnelles, les plus oppressantes et tendues que l'on ait jamais vues dans une série télévisée. La palette d'émotions par lesquelles on passe en quelques instants est quasiment infinie. On retient son souffle. On agrippe à son siège. On tremble. On sursaute. On ressent toute la tension de manière physique.

Non vraiment : il n'y a rien au-dessus de Breaking Bad. Qui vient d'entrer dans le club très fermé des meilleures séries de tous les temps.


Breaking Bad (saison 3), créée par Vince Gilligan (AMC, 2010)