mardi 10 août 2010

Dr John - Soul Meet Body

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Il y a des disques, parfois, qui nous arrivent au bon moment et que l’on écouterait certainement d’une autre oreille s’ils paraissaient six mois plus tôt. Le nouvel album de cette vieille fripouille de Dr John est de ceux-là. On a beau savoir que Malcolm John Rebennack Jr. a acquis son statut de classique du blues un peu à l’ancienneté… on a beau être conscient qu’il n’a pas publié que des grands disques depuis son fabuleux diptyque de la fin sixties (Gris-Gris et Babylone, incontournables)… on a beau même savoir avant même de l’entendre que son nouveau Tribal portera mal son nom… on n’arrive pas à ne pas se réjouir de cette publication, de retrouver cet univers chaud et souvent envoûtant dans un contexte, à tout le moins en France, où ce genre d’artiste manque plus que jamais dans le paysage.

Qu’est-ce qu’on aimerait, chez nous, avoir un chanteur Blanc a ce point conquis par l’esprit du peuple Noir. Qu’est-ce qu’on aimerait entendre, chez nous, une soul aussi chaleureuse, un funk aussi gracieux, un blues aussi lancinant. Une musique sans étiquette et sans autres attaches qu’une ville polyglotte et fascinante (La Nouvelle Orléans, bien sûr… c’est vrai qu’avec Le Havre, ça marche moins bien), jouée par un type ne se refusant rien et collaborant depuis quarante ans avec la terre entière, si profondément habité par la musique qu’il ne peut s’empêcher de lui déclarer sa flamme tous les trois morceaux.


En parlant de « trois morceaux ». Justement, les trois premiers morceaux de Tribal sont vraiment exceptionnels. En quelques onze minutes, Dr John appose sa signature au bas d’une carte de visite imaginaire. La couleur est annoncée, plus soul que jamais, ensoleillée et mélancolique comme ce "Big Gap" entêtant qui constitue sans doute le meilleur titre des seize.

Oui, il y en a seize. C’est toujours un peu le problème avec Dr John, depuis quelques années : il a du mal avec l’épure. Et lorsqu’il choisit d’enregistrer un album comme celui-ci, franchement axé sur le groove, il a tendance à perdre un peu de sa puissance de feu dès qu’arrive une mélodie un peu moins forte (au hasard de ce millésime 2010 : "Jinky Jix"). Album composé pour moitié de chansons majestueuses ("Feel Good Music", "Sleepin’ in My Bed"), Tribal a tendance à verser par instants dans la musique d’ambiance – pour un peu que la majesté soit moins évidente ici ou là. Il est vrai que parvenu à mi-parcours du troisième âge, le dandy blues ne dégage plus tout à fait la même aura qu’autrefois, exsudant désormais plus souvent la sérénité que le malaise ou la puissance sexuelle.

Pour autant, on reste bien sûr largement au-dessus de la moyenne. Il faut dire que la voix de John continue de se bonifier avec les années et que le Lower 911, groupe survolté porté par le formidable batteur Herman « Roscoe » Ernest III, joue de toutes les subtilités pour emmener dans les sphères quelques unes des meilleurs compos que le Doc ait gravées depuis des lustres. Difficile de faire la fine-bouche face à des choses du calibre de "Seroungin’", archétype du morceau qui donne envie de se lever et de remuer le bassin dès son intro. Certains préféraient sans doute Dr John lorsque son blues était plus dur, ou bien lorsqu’il louchait vers le rock psychédélique. Il est probable que l’artiste ait été plus visionnaire ou plus subversif. Mais on aurait tort de sous-estimer Tribal. A bientôt soixante-dix ans et à sa manière, indolente et sans avoir l’air d’y toucher, Dr John vient de publier l’un des très beaux disques soul de l’année, sans fioritures et sans complexe. Le grand-père idéal pour beaucoup d’entre nous.


Tribal, de Dr John & The Lower 911 (2010)