Kaamelott - Et Arthur vengea tout un peuple

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Les gens ne sont pas très gentils. Surtout en France, et surtout lorsqu'ils regardent des séries. Et encore un peu moins lorsqu'ils regardent des séries produites en France. Ils critiquent, disent des méchancetés... délibérément, ils refusent de voir le bon côté des choses : la jachère hexagonale en matière de séries télés est une bénédiction ! Il y a tellement peu de bons feuilletons par chez nous qu'on peut avoir l'immense bonheur de réinventer la roue en permanence. C'est quand même super, non ? Tous les six mois, on a la possibilité de découvrir la meilleure série française de tous les temps, ce qui n'arrive certainement pas à nos amis américains, les pauvres, avec leurs chefs-d'oeuvre insurpassables, leurs The Wire, leurs Soprano, leurs Six Feet Under. Alors que nous, dans le fond, on a la chance d'avoir une marge de progression considérable. Ceci dit (presque) sans ironie : en dix ans les séries françaises ont progressé de manière extraordinaire si l'on considère là d'où elles partaient. Et le spectateur d'avoir la joie de considérer Engrenages comme la meilleure série française de tous les temps... du moins tant qu'il n'a pas vu Pigalle la nuit, qui elle même ne trustera la première marche du podium que pour quelques mois, le temps de découvrir Reporters... dont la suprématie sera sévèrement remise en question par le visionnage de Kaamelott... et ainsi de suite.

Évidemment je triche un peu : cela ne marche qu'en regardant ces programmes dans cet ordre, c'est-à-dire en ne tenant absolument pas compte de leur ordre de production (soit donc : Kaamelott/Engrenages/Reporters/Pigalle). Ceux qui ont suivi ce dernier, eux, ne peuvent jubiler de la même manière : ils savent depuis bien longtemps que la meilleure série française de tous les temps, c'est Kaamelott, et qu'il n'y a même pas photo (j'étais bien le seul à ne pas le savoir il y a encore un an). Même en ayant lu des dizaines d'articles et des milliers de superlatifs, on en ressort éberlué, estomaqué, renversé. D'ailleurs, la meilleure preuve de sa qualité, c'est que l'on se rend compte rapidement que Kaamelott est bien plus que "la meilleure série française de tous les temps du moment"... c'est surtout et sans le moindre doute possible l'une des meilleures séries comique de la décennie. Pas un sitcom de la grosse artillerie US, pas un programme des soi-disants Rois de l'humour britton... personne pour lui arriver à la cheville. Et ce dès le premier livre, contrairement à ce que racontent parfois certains qui ont tendance - chassez le naturel il revient au galop - à être plus modéré concernant les premières saisons, coupables d'être uniquement comiques (ce que ne sont pas les dernières).

C'est d'autant plus exceptionnel que s'il est un domaine où l'on est rarement fier d'être français... c'est l'humour. Pour un Desproges, trois Inconnus et quatre Nuls, combien de Titoff, de Poiré (Jean-Marie, pas Jean), de Dubosc, de Gendarme de Saint-Tropez, de 7e Compagnie, de Blague à part (mais siiiiiiiiiii : le sous-Seinfeld que De Greef signa un soir de cuite), de films de Fabien Ontoniente, de soirées Christian Clavier, de Patrick Bosso, de Taxi, d'émissions pourries sur Comédie!, de... n'en jetons plus, le but n'est pas de provoquer une vague de suicides chez les lecteurs du Golb. Disons pour faire court que chez nous, entre la comédie populiste et/ou beauf et le comique bobo et/ou chiant, il n'y a jamais rien eu. Jusqu'au jour où a débarqué un gars à peine trentenaire à l'époque, cultivé, beau, surdoué, un certain Alexandre Astier qui en une poignée d'épisodes a prouvé avec un talent écoeurant que lui, il avait tout compris. Ce n'est pas compliqué : dans Kaamelott, il y a à peu près tout ce qu'on ne trouve jamais dans la plupart des comédies françaises (séries ou films... de toute façon il y a très peu de séries comiques françaises, et vu leur niveau on ne peut que l'excuser, tout porte à croire que les scénaristes hexagonaux sont plus doués pour écrire des histoires de flics) :

- un univers, un vrai, tenant la route dès les premiers épisodes. Certes il est balisé, puisqu'il s'agit de recycler les légendes de la Table Ronde. Mais c'est un point de départ comme un autre, et le fait est que ce qu'en a fait Astier est absolument remarquable. Déjà poilante si vous ne connaissez pas tous ces contes, Kaamelott est passionnante si vous avez le background qui va avec. Et lorsque trahison il y a, elle est (presque) toujours appropriée et pertinente (et de toute façon on s'en fout, les mythes sont faits pour être revisités).

- des personnages profonds et crédibles, littéralement habités par leurs interprètes. C'est évidemment la condition sine qua non pour une bonne série ; or c'est ce qui manque le plus souvent aux rares tentatives de feuilletons comiques par chez nous. Sous prétexte qu'on est dans la comédie, que tout cela n'est pas bien sérieux, on oublie bien souvent d'écrire les personnages et de chercher des comédiens susceptibles de leur donner chair. Nulle trace de cette erreur de débutant dans Kaamelott : là où un autre se serait contenté d'illustrer la légende (pour au final n'en faire, somme toute, qu'une banale parodie), Astier la revisite en profondeur, recrée les figures de la Quête du Graal... au point de quasiment les figer. L'exemple le plus évident est sans doute celui de Leodagan : il a beau n'avoir franchement pas grand-chose à voir avec le personnages des légendes, une fois Kaamelott digérée il est quasiment impossible de l'imaginer autrement qu'en beau-père du Roi taciturne, en faux sanguinaire en réalité soumis à sa femme, toujours à la limite de la trahison, et magistralement campé par Lionnel Astier. C'est également vrai de Perceval, on a d'ailleurs bien du mal à imaginer Franck Pitiot dans un autre rôle - le fait que la plupart des acteurs principaux aient été de parfaits inconnus a évidemment beaucoup joué dans cette forme de crédibilité.

- un véritable sens du rythme. Pourquoi H, réalisée par des Français, est une série sympathique, quand réalisée par des Américains, avec le même pitch voire (pourquoi pas) les mêmes acteurs, elle serait excellente ? Parce que les sitcoms US sont infinimement mieux écrits, qu'il y a un savoir-faire se manifestant principalement dans la gestion du rythme (c'est évident lorsque l'on essaie d'étudier un épisode de Seinfeld ou même de Friends). Il faut tant de gags à la minute, pas plus, pas moins. C'est extrêmement codifié et extrêmement écrit, ce que Canal +, lorsqu'elle s'était essayé à la sitcom, n'avait de toute évidence pas pris en compte. Kaamelott est à ce jour la seule série française (avec, dans une moindre mesure, Hero Corp) à avoir parfaitement intégré cette donnée : dans une comédie, rien n'est plus important que le rythme. Evidemment, comme c'était à l'origine une "shortcom", c'était un détail primordial. Les temps morts étaient exclus. Mais même en passant à un format de quarante minutes cette notion à été conservée. Le rythme devient différent, mais il est toujours aussi parfaitement géré - c'est ce qui fait que la série ne perd absolument rien de sa qualité lorsque le format évolue.

Ces trois seuls éléments formels suffisent en soi, sur le papier, à faire de Kamelott une série très supérieure à la moyenne. Le reste, c'est-à-dire le contenu, est presque secondaire. C'est un peu comme de colorier des cases vides. On peut bien sûr s'amuser à colorier sans dessiner préalablement des cases, mais dans ce cas cela s'appelle du gribouillage. Alors qu'en coloriant les cases, on fait une série parfaite, on varie les couleurs, un peu d'absurde, un zest de potache, pas mal d'émotion... comme quoi certains proverbes sont stupides : on dit toujours qu'il ne faut pas ranger les gens et les choses dans des cases, mais c'est bien ainsi qu'on produit les plus grandes oeuvres. En ayant, tout bêtement, une idée, un projet. Une ambition autre que "je vais faire une série, tiens".


Kaamelott (livres I - VI), créée par Alexandre Astier (M6, 2005-09)