vendredi 14 septembre 2007

Marie Darrieussecq - La Fascination du pire ?

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Promis, nous ne parlerons pas ici de la polémique entourant la parution de ce roman. Ou plutôt nous en reparlerons plus tard, lorsque nous aurons tous les éléments en notre possession.

Pour l’heure, concentrons-nous sur la qualité intrinsèque du nouveau Marie Darrieussecq (auteure plus que talentueuse qui n’a jamais eu besoin des polémiques pour créer l’événement). A moins d’avoir vécu dans un igloo (ou de ne pas savoir lire un titre) vous ne pouvez ignorer ce que ça nous raconte : la narratrice essaie d’évoquer ici l’histoire de son fils Tom, mort dix ans plus tôt. Ce qui n’est pas forcément évident quand on lit les articles en revanche, c’est le mode employé par l’auteure : celui du carnet intime – ou quelque chose d’approchant. On pourra même oser le gros mot : oui, Marie Darrieussecq a tout bonnement écrit une fausse autofiction (une autofiction fictive si vous voulez). A savoir que loin de se contenter de raconter une histoire à la première personne, elle a récupéré et recyclé absolument tous les gimmicks de l’autofiction. Les thèmes, la construction, la narration et même le style extrèmement sec… caractéristiques de ce sous-genre littéraire. C’en est presque bluffant : dans la forme, Tom est mort pourrait tout à fait être une histoire vraie. C’est admirablement rendu, admirablement maîtrisé et admirablement écrit. Sur ce point au moins, chapeau.

Mais ici le bât blesse : s’il s’était agi de livrer un pastiche d’autofiction le roman de Marie Darrieussecq eût été absolument parfait. Sauf que ce n’est pas de cela qu’il s’agit et que les préoccupations de notre auteure sont autrement plus sérieuses – intellectuelles, voire métaphysiques. Son livre touchera sûrement beaucoup de gens, mais il est incontestablement limité par… sa forme, justement. Paradoxalement, la principale qualité de cette fausse autofiction est également sa pire faiblesse. Pourquoi ? Eh bien pour une fois, écoutons les détracteurs de l’autofiction. Que nous disent-ils tous ? Que l’autofiction c’est chiant, parce que ça ne raconte rien. Et que ça ressasse. Et que c’est égocentrique. De fait la seule légitimité d’une autofiction est le Je de l’auteur (transcendé lorsque l'expérience est réussie). A partir du moment où ce Je est fictif mais que l’autofiction continue à ne rien raconter, cela n’a plus aucun sens et la mécanique aussi bien huilée soit-elle tourne à vide. Peu importe que son fil conducteur soit la mort d'un enfant ou celle d'un kangourou.

Tel est l’énorme point faible de Tom est mort : passé le choc des trente ou quarante premières pages (OH ! C’est bien foutu !!!) on s’ennuie ferme et pour cause ! Ce n’est pas un roman au sens romanesque. Il n’y a quasiment aucun personnage, aucune péripétie… en somme : il ne s’y passe rien de chez rien – ce pendant plus de deux-cent-cinquante pages. Tom est mort dès le premier chapitre, il est toujours mort à la fin, entre les deux la narratrice a pleuré… et après ? Tom est mort et c’est finalement le seul véritable événement du bouquin. Le reste n’est que divagations, digressions, lamentations… douleur pure et simple, de celles qui provoquent l’adhésion immédiate du lecteur compatissant. Seulement peut-on compatir à une douleur de fiction ? En réalité, personne ne trouve ça bien, un livre qui ressasse. On voudrait brandir ce livre comme un triomphe de la fiction sur l'autofiction ? Mais à quoi bon, puisque cette fiction a précisément les mêmes défauts qu'une autofiction - les circonstances atténuantes en moins ?!

On aurait aimé qu'un auteur de fiction apporte à un tel sujet sinon quelque chose de plus, au moins quelque chose de différent. Se glisser dans la peau d’une mère endeuillée est à coup sûr une idée de roman riche et courageuse. A condition toutefois d’écrire un roman, d’essayer de communiquer quelque chose. D'essayer de raconter. Si cela se limite à imiter une vraie mère endeuillée ça n’est plus du roman mais de la performance, c’est très bien fait mais c’est chiant, et au final ça n’aura rien apporté à personne sinon à l’ego de l’auteure qui peut se dire : I did it! Il me semble que c'est cela qui cloche dans ce livre : non pas tant son sujet, non pas tant qu'il s'agisse d'une fiction... mais le fait que cette fiction soit écrite stricto sensu comme si elle n'en était pas une, sans proposer la moindre vision littéraire. Comme si cette fiction ne s'assumait pas comme telle.

Histoire d’illustrer mon propos, je vais reprendre un exemple aperçu ici ou là. Certains critiques peu inspirés ont comparé Marie Darrieussecq se glissant dans la peau de la mère endeuillée à Jonathan Littell se faufilant dans celle d’un nazi. Comparons donc : si Littell avait appréhendé Les Bienveillantes comme Marie Darrieussecq a appréhendé Tom est mort, il aurait juste écrit un bouquin de deux cents pages où un nazi raconte qu’il tue des juifs. Je pense que là, je suis à peu près clair : Marie Darrieussecq (qui au demeurant a à son actif une œuvre remarquable) manque dans son entreprise de finesse, de subtilité. Elle vit le deuil quand on voudrait qu’elle le raconte. Elle livre non pas une performance d’écrivain, mais une performance d’actrice, qui plus est un peu surjouée (pas besoin de se cogner dans tous les murs en mimant le hoquet pour interpréter un homme ivre). Et de fait n’apportera effectivement rien ni à la littérature ni aux mères endeuillées.


👎 Tom est mort 
Marie Darrieussecq | P.O.L., 2007