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Le retour de Houellebecq fait partie de ces concepts journalistiques étranges, comme si la presse ne parvenait à considérer l'œuvre d'un artiste que selon une courbe montante/descendante, faite de révélations, de disparitions, de come-backs et de rédemptions. De rédemptions, surtout : les journalistes adorent cela, la rédemption. Et ils ont décidé de toute évidence que cette année, ils accorderaient cette quasi absolution à Houellebecq, le vilain sulfureux, l'affreux provocateur (ah bon ?), le génie amoral (?), délivré de ses démons et élevé en cette rentrée littéraire au rang d'artiste mûr et accompli venant de signer l'œuvre de la maturité. Autant dire que cela n'incite pas vraiment à ouvrir La Carte et le Territoire tant le bullshit marketo-storyteller arrache les narines, ce en dépit d'un titre comme toujours chargé d'une troublante poésie, et d'échos dithyrambiques. Alors quoi ? Houellebecq ferait désormais l'unanimité ? Faudra-t-il bientôt regretter de ne pas avoir fait un triomphe à son innommable film, par pur snobisme ?
Ce ne peut être le cas, cela dit on pourrait presque le comprendre et l'excuser. Car il faut reconnaître que dès les premières pages, La Carte et le Territoire place la barre très, très haut. Après un Plateforme un peu paresseux et une Possibilité d'une île plombée une absence totale d'humour de la part de l'un des écrivains les plus drôles qui soient, Houellebecq retrouve ici un niveau qu'on ne lui avait plus connu depuis douze et Les Particules élémentaires, ce roman sanctifié en classique à peine quelques années après sa parution tant il fut évident, pour tous, que l'on tenait l'une des œuvres les plus puissantes de la fin du XXe siècle. Michel hélas avait quelque peu raté son passage au XXIe, et nous devait une revanche depuis pas mal de temps. Un autre livre en forme de tourbillon, un retour à une forme de réalité après trop d'errements, de digressions, de changements de cap. Quelque part, on avait envie qu'il redevienne notre post-moderne Balzac, comme il n'aurait jamais dû cesser de l'être, un pape néo-réaliste plutôt que le décadent que l'on a voulu en faire.
C'est chose faite en 2010, mais d'une manière assez inattendue, et sans que l'on puisse bien sûr jeter mécaniquement l'auteur dans une case. Mais allons : La Carte et le Territoire est réellement un roman à dimension humaine, touchant même, parfois, loin de l'emphase de La Possibilité. Houellebecq s'y dédouble (il est tour à tour l'artiste génial Jed Martin et la pathétique petite chose humaine Michel Houellebecq), retrouve un goût pour l'humour particulièrement mordant, pratique un étrange name-dropping ne ressemblant à rien de ce que l'on connaît (et déteste) dans le genre, découvre l'italique de manière un peu brouillonne (à moins qu'il ne s'agisse de second degré), bâti une architecture discrète et met en scène ses amis comme ses ennemis pour finir, logique houellebecquienne absolue, par scénariser son propre meurtre. Entre temps ? Il multiplie fulgurances poétique et satires cruelles, vif comme jamais, notamment dans un premier tiers extraordinaire et quasiment impossible à lâcher. On croyait retrouver Balzac ? Voici que l'on tombe sur un Saint-John Perse de la France province, à l'identité sur-affirmée alors qu'elle n'est plus qu'une outre vide même pas bonne à illustrer des cartes-postales. Jed Martin y est génie torturé (le slogan "La Carte est plus intéressante que le territoire", c'est lui, en accroche de l'expo de photos de cartes Michelin qui lui amènera célébrité et opulence) autant que petit être chétif et fragile, largué, incapable de trouver sa place dans une société n'ayant plus rien à faire de l'Art ni du Beau. Houellebecq n'a jamais été tendre avec le libéralisme, contrairement à ce que certains imbéciles ont voulu croire. Il n'a jamais été si impitoyable avec l'époque, qu'il croque de cette même plume désolée, faussement candide et terriblement acide, dont on réalise soudain à quel point elle a manqué durant les cinq années séparant les deux derniers romans. Et avec ce mélange de narcissisme et d'auto-dépréciation qui constitue les plus grands artistes, il s'érige lui-même en symbole de l'homme broyée par cette époque, du génie dépassé par lui-même, dans un exercice de mise en abyme écœurant de virtuosité - le personnage-Houellebecq est sans doute l'un des plus remarquables (et poignants) caractères romanesques que l'on ait croisé depuis des années.
Quitte à en faire trop ? Il est difficile de ne pas se dire que l'ultime partie de La Carte et le Territoire était sans doute superflue. Décousue, grossièrement ficelée, elle n'apporte pas grand-chose à un roman qui jusqu'ici était quasiment intouchable tant même ses défauts paraissaient exceptionnels. Houellebecq n'a jamais su se priver d'injecter une dose de fable morale dans ses romans, et cela ne lui réussit pour ainsi dire jamais. C'est encore le cas ici, malgré un sens consommé du burlesque qui permet d'alléger un peu une dernière ligne droite toute de lourdeurs. Comme tous les plus grands conteurs, celui-ci est capable de s'égarer lorsqu'il commence à se regarder narrer. Il est amusant de se dire que ce n'est paradoxalement pas dans la partie où il se met en scène qu'il cède à cette facilité. Qu'importe, d'ailleurs. La Carte et le Territoire est au deux-tiers tellement époustouflant que l'on pourrait difficilement lui en tenir rigueur.
La Carte et le Territoire, de Michel Houellebecq (2010)
Le retour de Houellebecq fait partie de ces concepts journalistiques étranges, comme si la presse ne parvenait à considérer l'œuvre d'un artiste que selon une courbe montante/descendante, faite de révélations, de disparitions, de come-backs et de rédemptions. De rédemptions, surtout : les journalistes adorent cela, la rédemption. Et ils ont décidé de toute évidence que cette année, ils accorderaient cette quasi absolution à Houellebecq, le vilain sulfureux, l'affreux provocateur (ah bon ?), le génie amoral (?), délivré de ses démons et élevé en cette rentrée littéraire au rang d'artiste mûr et accompli venant de signer l'œuvre de la maturité. Autant dire que cela n'incite pas vraiment à ouvrir La Carte et le Territoire tant le bullshit marketo-storyteller arrache les narines, ce en dépit d'un titre comme toujours chargé d'une troublante poésie, et d'échos dithyrambiques. Alors quoi ? Houellebecq ferait désormais l'unanimité ? Faudra-t-il bientôt regretter de ne pas avoir fait un triomphe à son innommable film, par pur snobisme ?
Ce ne peut être le cas, cela dit on pourrait presque le comprendre et l'excuser. Car il faut reconnaître que dès les premières pages, La Carte et le Territoire place la barre très, très haut. Après un Plateforme un peu paresseux et une Possibilité d'une île plombée une absence totale d'humour de la part de l'un des écrivains les plus drôles qui soient, Houellebecq retrouve ici un niveau qu'on ne lui avait plus connu depuis douze et Les Particules élémentaires, ce roman sanctifié en classique à peine quelques années après sa parution tant il fut évident, pour tous, que l'on tenait l'une des œuvres les plus puissantes de la fin du XXe siècle. Michel hélas avait quelque peu raté son passage au XXIe, et nous devait une revanche depuis pas mal de temps. Un autre livre en forme de tourbillon, un retour à une forme de réalité après trop d'errements, de digressions, de changements de cap. Quelque part, on avait envie qu'il redevienne notre post-moderne Balzac, comme il n'aurait jamais dû cesser de l'être, un pape néo-réaliste plutôt que le décadent que l'on a voulu en faire.
C'est chose faite en 2010, mais d'une manière assez inattendue, et sans que l'on puisse bien sûr jeter mécaniquement l'auteur dans une case. Mais allons : La Carte et le Territoire est réellement un roman à dimension humaine, touchant même, parfois, loin de l'emphase de La Possibilité. Houellebecq s'y dédouble (il est tour à tour l'artiste génial Jed Martin et la pathétique petite chose humaine Michel Houellebecq), retrouve un goût pour l'humour particulièrement mordant, pratique un étrange name-dropping ne ressemblant à rien de ce que l'on connaît (et déteste) dans le genre, découvre l'italique de manière un peu brouillonne (à moins qu'il ne s'agisse de second degré), bâti une architecture discrète et met en scène ses amis comme ses ennemis pour finir, logique houellebecquienne absolue, par scénariser son propre meurtre. Entre temps ? Il multiplie fulgurances poétique et satires cruelles, vif comme jamais, notamment dans un premier tiers extraordinaire et quasiment impossible à lâcher. On croyait retrouver Balzac ? Voici que l'on tombe sur un Saint-John Perse de la France province, à l'identité sur-affirmée alors qu'elle n'est plus qu'une outre vide même pas bonne à illustrer des cartes-postales. Jed Martin y est génie torturé (le slogan "La Carte est plus intéressante que le territoire", c'est lui, en accroche de l'expo de photos de cartes Michelin qui lui amènera célébrité et opulence) autant que petit être chétif et fragile, largué, incapable de trouver sa place dans une société n'ayant plus rien à faire de l'Art ni du Beau. Houellebecq n'a jamais été tendre avec le libéralisme, contrairement à ce que certains imbéciles ont voulu croire. Il n'a jamais été si impitoyable avec l'époque, qu'il croque de cette même plume désolée, faussement candide et terriblement acide, dont on réalise soudain à quel point elle a manqué durant les cinq années séparant les deux derniers romans. Et avec ce mélange de narcissisme et d'auto-dépréciation qui constitue les plus grands artistes, il s'érige lui-même en symbole de l'homme broyée par cette époque, du génie dépassé par lui-même, dans un exercice de mise en abyme écœurant de virtuosité - le personnage-Houellebecq est sans doute l'un des plus remarquables (et poignants) caractères romanesques que l'on ait croisé depuis des années.
Quitte à en faire trop ? Il est difficile de ne pas se dire que l'ultime partie de La Carte et le Territoire était sans doute superflue. Décousue, grossièrement ficelée, elle n'apporte pas grand-chose à un roman qui jusqu'ici était quasiment intouchable tant même ses défauts paraissaient exceptionnels. Houellebecq n'a jamais su se priver d'injecter une dose de fable morale dans ses romans, et cela ne lui réussit pour ainsi dire jamais. C'est encore le cas ici, malgré un sens consommé du burlesque qui permet d'alléger un peu une dernière ligne droite toute de lourdeurs. Comme tous les plus grands conteurs, celui-ci est capable de s'égarer lorsqu'il commence à se regarder narrer. Il est amusant de se dire que ce n'est paradoxalement pas dans la partie où il se met en scène qu'il cède à cette facilité. Qu'importe, d'ailleurs. La Carte et le Territoire est au deux-tiers tellement époustouflant que l'on pourrait difficilement lui en tenir rigueur.
La Carte et le Territoire, de Michel Houellebecq (2010)
Moi qui allait te demander si tu l'avais lu, alors même que je m'attaque (enfin) à "Extension du domaine de la lutte" après avoir été refroidi par une pénible lecture des Particules élémentaires...
RépondreSupprimerJe crois que je vais finir par me jeter dessus dès l'actuel terminé!
Nous sommes d'accord. Le dernier tiers est un gâchis, d'un reste qui, de son côté, est excellent.
RépondreSupprimerBBB.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimerdans les écrivains du moment, enfin je veux dire les moins de 50 ans (auster, roth, le clézio, on peut se poser des questions livre par livre, mais on sait à qui a à faire), tu le mettrais où?
RépondreSupprimerdans les tout meilleurs qui mériteraient des bardées de prix, ou dans une autre catégorie?
pour la première fois depuis longtemps je me dis que je vais peut-être le lire, indépendamment de ce que m'inspire le mec,
mais il écrit rarement (5e roman en 26 ans) et apparemment son style évolue beaucoup (enfin j'espère, parce que Extension j'ai trouvé ça d'une pauvreté stylistique rarissime).
qu'est-ce que tu dirais de lui, comme romancier, si tu voulais embrasser toute sa carrière?
Non mais attends… Comment veux-tu que j'aille au bout de ton texte si, dès le début, tu écris "Les Particules élémentaires, ce roman sanctifié en classique à peine quelques années après sa parution tant il fut évident, pour tous, que l'on tenait l'une des œuvres les plus puissantes de la fin du XXe siècle".
RépondreSupprimerTu veux ma peau ou quoi ? Je crois que je l'ai déjà écrit, ce livre est le seul bouquin que j'aie jeté à la poubelle. C'est dire si, pour moi, ce n'était pas un livre !
Donc, oui, je conteste autant le statut de classique que celui d'oeuvre puissante. Quant au "tous" que tu as employé, je crois que c'est ce qui m'a le plus énervé comme généralisation de la pensée commune (je n'écris pas "unique").
Ceci dit, je concède qu'il y a quelque chose d'assez intéressant dans le rapport entre l'époque et la prose de Houellebecq.
"Je crois que je l'ai déjà écrit, ce livre est le seul bouquin que j'aie jeté à la poubelle. C'est dire si, pour moi, ce n'était pas un livre !"
RépondreSupprimerPosture, posture. Reprocher à Thomas son "tous" lorsque l'on ose, soi-même, se poser en juge de ce qui est, ou non, un livre, c'est gonflé.
En même temps, techniquement, dès que c'est des pages écrites reliées, c'est un livre. L'annuaire, par exemple, est un livre.
RépondreSupprimerCe n'est même pas de la posture, c'est une grosse lacune de vocabulaire ;-)
Guic' >>> ce qui s'appelle devancer tes désirs ;-)
RépondreSupprimerLou >>> ah mais chiche, envoie-moi ta PAP ! :-)
Arbobo >>> ta génération des moins de 50 ans est assez bizarre, vu que les trois que tu cites ont bien plus de 50 ans (si je ne m'abuse ils ont même tous plus de 60 ans, Philip Roth étant même proche des 80). Alors où je le situe là-dedans... au-dessus de Le Clézio, c'est certain. Par rapport à Auster, ça dépend, il a une œuvre monstrueuse mais ses derniers romans sont assez médiocres. Sinon en-dessous de Roth évidemment, il n'y a pas grand monde au-dessus de Roth de toute façon. Bardé de prix ? Très certainement. Si ce n'est pas le cas, c'est uniquement parce qu'il est français et que chez nous, réputation sulfureuse (largement usurpée du reste) + célébrité interdisent quasiment automatiquement d'être bardé de prix (l'exact inverse du monde anglo-saxon, en fait, qui fonctionne il est vrai différemment). En fait, tout ce que ça te fait gagner, ce sont des commentaire haineux où les gens jettent tes bouquins à la poubelle ^^
Maintenant pour le résumer en une phrase, je ne sais pas trop... c'est difficile, tout de même, ses romans sont assez variés et son œuvre assez éparse si l'on compte les recueils de poésie, le cinéma, la musique... disons que la fameuse citation de Philip Roth pourrait bien lui correspondre : "Trop ridicule pour être pris au sérieux, trop sérieux pour être tourné en ridicule". L'ironie de Houellebecq a si souvent échappé à ses lecteurs... mais c'est le risque, j'imagine, à partir du moment où tes bouquins s'écoulent par palette.
Fabrice >>> franchement je ne sais pas quoi te répondre, j'ai l'impression d'avoir répondu à ce commentaire des dizaines de fois (et j'ajouterai qu'à chaque fois, c'est toi qui l'avais écrit, ce qui à la longue est assez pénible). Libre à toi de considérer que Les Particules ne sont pas un livre et de le jeter à la poubelle si ça t'amuse, comme le dit très bien BBB. ça fait un peu "posture" mais pourquoi pas ? Pour l'anecdote, je n'ai pas adoré les Particules, en fait. Mais dès les premières pages je savais que je tenais entre mes mains un livre important, qui allait faire date. Je suis capable de faire la différence entre... l'esthétique et le ressenti, mais je ne vais pas repartir sur ce débat, dont je sais bien ce que tu en penses. De même que je connais ton aversion quasi-pathologique pour tout ce qui est critique, par conséquent je ne vais pas relever ta remarque débile sur la "pensée unique", ça va m'énerver. Après tout personne ne te force à venir sur Le Golb, tu sais que tu peux y croiser ce genre de phrase qui te retournera l'estomac.
mééééééééé, t'es pas fou non ? ^^
RépondreSupprimerjustement, je te demande parmi ses contemporains,
parce que les plus âgés, eux, on sait à quoi s'en tenir (quels qu'ils soient) :-)
j'ai du mal m'exprimer...
Merci pour le rire, cher collègue !
RépondreSupprimerEuh, je ne comprends pas…
RépondreSupprimerPour BBB -> En quoi le fait de jeter un livre, moi qui en écris, peut être considéré comme une posture. Ce n'est qu'une simple anecdote, d'autant moins passionnante que j'ai tendance à radoter et à la répéter devant chaque personne qui surélève les romans de Houellebecq à mes yeux. Ce n'est qu'un avis, tout aussi valable (ou peu valable) que n'importe quel autre.
J'ai jugé, moi, avec mon petit esprit personnel, que ça ne valait pas un livre, je ne vois pas en quoi c'est une posture. Je n'aurais jamais l'audace de définir ce qu'est un livre, ni même selon mes propres critères.
Mais bon, j'ai dû toucher un truc sensible, je m'en excuse.
Quant à Thomas, je crois que tu as pris trop à coeur ma réaction. En effet, je l'ai déjà écrit, on en a déjà parlé des milliers de fois, je ne pensais donc pas que tu réagirais ainsi pour un mot que j'estimais de trop (le "tous" qui néglige ceux qui n'apprécient pas Houellebecq).
Maintenant, ça me fait carrément froid dans le dos d'en arriver à un "le golb, tu l'aimes ou tu le quittes" (houla, je me demande, est-ce de l'humour ou faut-il se vexer d'être assimilé à un bessono-sarkortefien… hmmm, pas facile, hein…).
Tu le sais, je le sais, nous n'avons pas les mêmes goûts littéraires ni musicaux, et alors ? Ne doit-on lire et commenter que ce qu'on est sûr d'aimer ?
Enfin, j'ai des "postures", je fais des remarques "débiles", c'est cool, je suis habillé pour l'hiver. Ca tombe bien, j'avais un peu froid !
Arbobo >>> euh... oui, un peu :-)
RépondreSupprimerDonc après où je le mets je n'en sais rien. Disons dans le top 10, si toutefois cela avait le moindre sens...
Fabrice >>> ce n'est pas une question de "Le Golb tu l'aimes où tu le quittes", c'est juste que je trouve pénible d'avoir sempiternellement le même "débat" stérile. C'est tout !
"L'ironie de Houellebecq a si souvent échappé à ses lecteurs... mais c'est le risque, j'imagine, à partir du moment où tes bouquins s'écoulent par palette."
RépondreSupprimerTout juste, et son ironie systématique est d'autant plus belle qu'elle cocufie une recherche naïve du Beau, d'une gentillesse, d'une douceur que l'époque ne tolère plus. Et le tout exprimé dans des textes hilarants, comme vous le dites, toujours à la frontière entre le foutage de gueule potache et un ascétique aveu d'impuissance — entre les Grosses Têtes et Saint Augustin, si on se permet la formule. Il y a des questions théologiques chez Houellebecq, derrière la dérision : la relation entre la chair et l'époque, le problème que pose sa représentation quand tout semble, autour de nous, la désincarner, etc. Mais il aime brouiller les pistes. Dès qu'il touche du doigt une brindille de poésie, un fétu de vérité, il met le feu à la meule avec un calembour gras ou une blague sur Julien Lepers. C'en devient presque fascinant.
Quant à son absence de style, c'est l'argument qui m'a toujours le plus étonné chez ses détracteurs. On reconnaît immédiatement, malgré le classicisme formel, une page de Houellebecq. Pour le pire et le meilleur, remarquez. Mais si ça ce n'est pas "du style" (quel vilan mot de toute façon.)
Une autre question est de savoir si son oeuvre, référencée à l'excès, va durer ou pas. Mais pour le temps qu'elle dure, autant lui tendre l'oreille, on n'entendra pas que du vent.
(Et au moins cette fois-ci, il a abandonné la science-fiction de supermarché.)
Un "truc sensible", Fabrice. Enfin ! Cela vous semble naturel, à vous, de "jeter les livres" ? Pour moi, ma petite personne, si vous le voulez, c'est un geste qui n'a rien de banal, mais est, au contraire, lourd de signification, peut-être de violence, encore plus quand vous l'assortissez de : "le seul livre que". Vous ne pouvez pas dire, après, que c'est anodin, une anecdote sans intérêt (sinon, pourquoi nous la faire partager ?) Puisque vous écrivez, vous-même, vous devez savoir que, pour la plupart des amoureux des lettres, l'acte de "jeter un livre", comme de le détruire, n'est pas rien. Des livres que je n'aime pas, que je déteste, j'en vend, j'en donne, j'en empile dans des coins poussiéreux. Je crois n'en avoir, jamais, jeté un seul, pas même un Sulitzer, et j'en suis sûr, la plupart des amoureux des lettres vous diraient la même chose. De ce fait, je trouve fort commode d'allumer la mèche, et de dire après : "bouh ! qu'est-ce que je prends, ce n'était rien qu'une petite anecdote, les amis !"
RépondreSupprimerBBB.
Je ne suis pas fan de Houellebecq mais il faut tout de même lui reconnaître d'avoir un ton, un univers et une vision n'appartenant qu'à lui. J'ai du mal à comprendre moi aussi les "ça vaut pas un livre" et autres. Qu'on aime ou non (et je n'aime pas plus que ça je le répète) il est évident que Houellebecq a plus de "qualités littéraires objectives" que la plupart des auteurs français. Mais c'est vrai que tout cela ne veut plus rien dire, de nos jours on aime ou on aime pas et tous les avis se valent, comme toutes les oeuvres. Bah oui, post-modern blues quoi :D
RépondreSupprimer"l'ultime partie de La Carte et le Territoire était sans doute superflue." ; Je ne suis pas tout à fait d'accord: la clé de voûte de l'oeuvre se situe, à mon sens, au tout dernier paragraphe de l'épilogue. Ma chronique dans son intégralité sur: http://david-weber.over-blog.com/ - rédigée à chaud.
RépondreSupprimerPersonne n'en parle : suis-je le seul à avoir remarqué que le titre est une référence (trop gros pour être une coïncidence) à "La carte n'est pas le territoire" d' Alfred Korzybski :
RépondreSupprimerthéorie sur la sémantique générale.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Korzybski
Bien vu, Zorglub !
RépondreSupprimerBBB.
http://www.amazon.fr/Une-carte-nest-territoire-aristot%C3%A9liciens/dp/2841621375/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1285687839&sr=8-1
RépondreSupprimerMoins époustouflé que vous (le côté ultra-référentiel m'a parfois ennuyé) mais un très bon roman au final, surtout pour le personnage de Jay. Pour ce qui est de l'exercice de la vraie-fausse ironie dans l'auto-dépréciation, je trouve pour ma part cela assez touchant.
RépondreSupprimerSur mon blog, mon billet s'intitule "Post-moderne solitude": aussi musical que le vôtre, avec un petit côté variété qui s'accorde bien à MH ;-)
EV >>> je suis moi aussi assez surpris concernant les reproches sur le style (je crois que j'en avais parlé dans mon texte sur Extension). Le côté hyper référencé... ce n'est pas ce que je préfère en littérature, je ne suis jamais très à l'aise avec ça et cela fait partie des choses qui me laissent un peu de marbre... on verra dans un siècle. Enfin, non, on ne verra pas. Ce qui est déjà une réponse, quelque part.
RépondreSupprimerLil' >>> heureusement que tu es là pour comprendre mes titres d'articles ;-)
David >>> félicitations pour ce très bon article. Concernant le dernier paragraphe... dans l'absolu je suis assez d'accord, et peut-être que mon "superflue" était assez injuste ou maladroit. Disons que j'ai trouvé toute cette partie assez poussive, moins fine que le reste du livre. De là à dire que c'était "superflu"... peut-être pas, non.
Zorglub >>> merci ! Depuis que je connais le titre du livre de Houellebecq cela me rappelle quelque chose, mais je n'arrivais pas à retrouver quoi (je n'avais pas trop le temps de chercher non plus). Bref, je te remercie pour la référence.
V&C >>> c'est marrant cette communauté de titres... en plus je suis passé sur votre blog hier mais je n'ai même pas fait gaffe (si j'avais relevé j'aurais changé mon titre), alors que pourtant j'ai lu le billet. Et tu as raison, le côté variété colle beaucoup mieux au roman (quoique dans l'idéal, un titre de Sardou s'imposait ^^)
Un livre passionnant en effet. Il y a une science du récit, mine de rien, assez étonnante chez Houellebecq. Peut-être son meilleur livre, oui, comme quoi il a bien fait de s'échouer dans un film ni fait ni à faire pour mieux rebondir en romancier...
RépondreSupprimerQuant à la dernière partie, avec son virage vers le genre (et en effet une bonne part d'ironie) elle ne me déplait pas...
Bon, et s'il refaisait un disque maintenant...
En complément de ce bel article, quelques lignes du blog de Paul Edel en lien (enfin, pour ceux qui chercheraient une alternative au mammouth houellebecquien). C'est un lien en cache, puisque l'original a... mystérieusement disparu !...
RépondreSupprimerhttp://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:sLMSkKa_Xh4J:pauledel.blog.lemonde.fr/2010/09/06/portrait-de-jed-martin/
(lire surtout les derniers échanges du billet, pas inintéressants...)
Oui, je sais Thomas, c'est mal (quoi que), tu m'en veux pas hein, mais c'est toi le premier qui avais affirmé que HYROK est un "livre maudit". Comme t'avais raison mon cher !
Très intéressant. Dans un paysage où la guerre de tranchée semble de rigueur (la blogosphère fait presque aussi bien que la presse écrite dans le registre j'adôôôre/je vomis), j'aime beaucoup ta capacité à prendre du recul, à mettre les romans de MH en perspective. Quelques différences de vue sur "La Possibilité d'une île" et la valeur du petit dernier, un peu trop "pitre" à mon goût (pitreries que je distingue de sa formidable ironie).
RépondreSupprimerSka >>> j'aimerais beaucoup qu'il refasse un disque. Présence humaine est vraiment un album formidable (pour le coup carrément mésestimé). Mais je crois que l'expérience ne lui a pas plu plus que cela...
RépondreSupprimerNLR >>> c'est marrant car en fait, j'avais déjà lu cet article... mais pas les commentaires. D'ailleurs au moment où je l'ai lu (il y a une semaine ou deux) il n'était pas en cache. De là à dire que c'est précisément l'évocation de Hyrok qui a provoqué cet évènement...
Marc >>> J'avoue que j'ai toujours un peu de mal avec le j'adooooore/je vomis... j'ai l'impression que les choses sont toujours plus complexes que cela, surtout quand on lit un livre jusqu'au bout - ce qui par définition prend du temps. Il m'arrive de changer plusieurs fois d'avis en cours de lecture, finalement des livres que je trouve irréprochables de bout en bout (ou à l'inverse que je trouve insupportables), il n'y en a quasi pas. De mon point de vue, je ne fais qu'essayer de faire preuve d'un soupçon d'honnêteté intellectuelle (ce qui ne rend pas mes avis moins discutables)...
Je me suis fait la même réflexion que toi en parcourant la presse française à la sortie du nouveau Houellebecq : on dirait que tout à coup, le trublion est "accepté" par la manne après des années de scandales (plus ou moins orchestrés par l'auteur, parfois). Du coup, cela me paraissait louche... et je dois dire que les derniers romans (surtout la Possibilité d'une Ile) m'avaient passablement refroidi après EXTENSION et LES PARTICULES en effet excellents.
RépondreSupprimerJe suis surpris, du coup, de constater qu'il t'a plu (aux 2/3) et du coup, je pense que je vais lui laisser une chance... après Imperial Bedroom(s) de BEE...
SysT
Et il est bien le BEE ? Parce que moi j'avais commencé mais je l'ai lâché assez vite. En même temps tout amateur de Costello sait parfaitement qu'"Imperial Bedrooms" est beaucoup moins géniale que "Less Than Zero" ^^
RépondreSupprimerMoi, "Imperial Bedroom", j ai peur de le lire et d'etre decue (c est a dire, paradoxalement, que BEE fasse encore du BEE :-), ca me fatigue un peu... mais peut etre est-ce paske je l ai trop lu...)
RépondreSupprimerOui bah voilà, c'est ce qui fait que j'ai lâché rapidement. Impression d'un BEE en roue-libre essayant de lancer un revival de lui-même. Mais bon, peut-être que j'ai eu tort et que cela s'arrange après...
RépondreSupprimerBen je vais le commencer justement... en même temps, l'attrait de LUNAR PARK était justement que BEE fasse autre chose... mais en effet, je crains aussi que Imperial Bedroom(s) ne soit qu'une... resucée de ses premières amours ;-)
RépondreSupprimerSysT
PS : "-sucée" et "amours" dans la même phrase, il fallait le faire... en même temps, quand on parle d'un mec qui a écrit AMERICAN PSYCHO où Bateman se fait sucer par une femme décapitée, je dis rien... :-/
Bon alors... comment t'expliquer que "amour(s)" et "sucé(e)" ne sont pas nécessairement contradictoire ?...
RépondreSupprimerJ'abandonne, je le sens mal ce commentaire :-)
J'ai dit qu'il fallait le faire, pas que c'était contradictoire! ;-)
RépondreSupprimer^^
RépondreSupprimerJe viens de terminer mon premier Houellebecq. Pour bien commencer, j'ai ouvert (et maintenant fermé) les fameuses Particules Elémentaires. Je suis à la fois, comme toi, partagée entre ressenti et point de vue esthétique. Je considère qu'il a écrit le roman de la modernité; polyphonique, balzacien ou presque, scientifico-sociologique, enfin bref, il décrit la vie. Et c'est cela qui est fort. Il décrit la vie moderne comme elle est... Trash, émouvante, effreinée et impitoyable. Une quête du bonheur qui n'est pas sans faire de victimes... Et puis parfois, des passages arides, limites écoeurants.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup de mal en fait à cerner cet auteur... Peut-être que la lecture de la Carte et le Territoire (prochainenement j'espère!) pourra m'éclairer
Je crois au contraire que tu le cernes plutôt pas mal. On pourrait dire que son œuvre s'articule autour de la critique de la modernité et de comment l'homme (et l'artiste, dans le cas de LC<) s'insère dedans et tente d'y survivre. Je te conseille plutôt d'enchaîner avec Extension du domaine de la lutte, qui reste pour moi le texte le plus fort que Houellebecq ait écrit. Il est plus humain, aussi, que Les Particules ou La Possibilité d'une île, livres que je trouve malgré tout assez froids.
RépondreSupprimerenfin un commentaire intelligent sur Houellebecq,et de la part de quelqu'un qui apparemment connaît son oeuvre dans son ensemble ça fait du bien(j'avoue que je n'en ai quasiment pas trouvé sur les blogs que j'ai consultés), alors , je vous invite à lire le mien sur le blog que je viens(modestement ) de créer, et comme je pense que je vais souvent visiter le tien thomas je l'ajoute à mes liens.
RépondreSupprimerOh, je dois ne pas être le seul quand même ;-)
RépondreSupprimerMais ça fait plaisir à lire. Je vais jeter un œil à ton blog tout de suite.
J'aime bien chez toi Thom, je me dis; allez un petit billet ou deux chez mon frère trop négligé avant d'aller dormir et entre ton billet qui du coup me redonne envie d'essayer (j'avais laché les particules moi... provisoirement) et les commentaires, tu exploses mon programme :-))
RépondreSupprimerOui, j'ai ruiné bien des existences comme ça. Tu n'imagines pas le nombre de lecteurs du Golb qui ont divorcé depuis leur découverte de ce blog ;-)
RépondreSupprimerBonsoir! Juste pour dire que je viens de terminer "la carte et le territoire" (faute d'être tombé dessus au cours de mes pérégrinations librairiesques, je n'ai pas encore pu lire ceux que tu me conseilles...) et j'ai été plutôt impressionnée (même si franchement, la dernière partie.....)
RépondreSupprimerA bientôt !
Ah ! Bonne nouvelle ! Merci de nous faire le petit retour ;-)
RépondreSupprimerA bientôt également !