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[Article précédemment paru sur Interlignage] Treize années. Douze, à la rigueur, si l'on compte la véritable dernière publication des fabuleux Three Mile Pilot (un EP). Mais bien treize ans que l'on attend (plus) la sortie du quatrième album de l'un des plus invraisemblables groupes de la décennie 90, que l'on attend (plus) la suite de l'indispensable Another Desert, Another Sea. Treize ans, c'est presque une vie entière pour ceux qui, alors encore ados, vénéraient le groupe de Pall Jenkins, Zach Smith et Thomas Zinser. Certains lecteurs de ce site (et même certains rédacteurs) étaient encore au bac à sable. Et comme Three Mile Pilot était plus culte que vraiment populaire, il y a fort à parier que beaucoup de gens - y compris parmi le public habituel de l'indie-rock - mesureront mal ce que signifie ce retour et pourquoi il enthousiasme, et pourquoi il déçoit, et pourquoi il laisse indifférent - libre à vous de rayer la mention inutile.
Il est vrai que le trio (qui revient accompagné du claviériste Brad Lee 1) ne fait sans doute pas partie de ceux qui ont le plus manqué depuis de treize ans, tant ses membres déferlèrent à longueur d'années sur la scène indé, le torturé Pall Jenkins s'étant illustré dans une tripotée de projets excitants durant la dernière décennie. Faut-il le rappeler ? Il est le leader et homme-tronc d'un des meilleurs groupes de sa génération (The Black Heart Procession), tandis que son compère Smith, pour sa part, a pris des chemins de traverse loin des spotlights aux côtés de Robert Crow. Inégal, sans doute mineur comparé à la noirceur envoûtante de BHP, Pinback n'en signa pas moins quelques morceaux efficaces et n'a eu de cesse de se bonifier au fil des albums 2.
Si le retour de Three Mile Pilot faisait fantasmer quand la plupart des reformations auraient plutôt tendance à nous réveiller au milieu de la nuit, c'est aussi pour toutes ces raisons qui sont autant de groupes dont il constitue la matrice 3. Les trois co-pilotes ne sont pas des has-been en quête de leur gloire passée, mais des types dans la force de l'âge, arrivé chacun à sa pleine maturité artistique. À défaut de retrouver exactement le son distordu, violent et sinueux que le groupe développait dans les nineties, on était tout de même extrêmement curieux de voir comment s'aggloméreraient les "nouvelles" influences de ces trois-là, dont les différents projets n'ont pour la plupart qu'un rapport assez lointain avec leur folle jeunesse. Que pourrait bien donner la noirceur hypnotique de Black Heart Procession mélangée à la math-pop floydienne de Pinback ?
Le premier morceau de The Inevitable Past Is the Future Forgotten, "Battle", est aussi exceptionnel et groovy que peu loquace sur le sujet. Entêtant, il constitue une entrée en matière percutante, un genre de Black Heart Procession light tout à fait inattendu et tout à fait séduisant. Le hic, c'est qu'alors qu'on attendait une suite plus nuancée, l'album poursuit dans cette voie sans se soucier du qu'en-diront-les-fans. Parvenu au riff mécanique de "Planets" (qui figurait sur un EP apéritif paru l'an passé), l'improbable devient évidence : il semble que Pall Jenkins ait clairement pris le gouvernail, quitte à vampiriser les deux autres. On entendra certes pas beaucoup du 3MP qu'on aimait il y a treize ans. À la rigueur, on pouvait s'y attendre venant d'individus peu enclins à faire revivre le passé, au point de s'être empressés de faire des choses radicalement différentes dès la séparation du groupe. Mais on n'entendra pas beaucoup plus de Pinback, l'influence de Zach Smith semblant avoir été réduite à la portion congrue (une rythmique ici ou là - au hasard sur "What's in the Air" - et puis s'en va).
On ignore s'il faut le déplorer ou non. Car The Inevitable Past Is the Future Forgotten est un bon album, malgré tout. Son premier tiers, avec les remarquables "Still Alive" et "Same Mistake", peut même parfaitement prétendre au titre (certes totalement vain) de meilleure ouverture d'album de l'année. Cela ne masque cependant pas le fait que sur la longueur, l'ensemble, manifestement dépourvu de ligne directrice, a tendance à s'étioler, malgré des chansons souvent classieuses ("What I Lose", "The Thresold"). Son problème ? Il n'a ni la violence et l'inventivité d'un album du Three Mile Pilot "habituel", ni la noirceur et la tension exacerbée d'un album de The Black Heart Procession. Ce qui le rend rapidement frustrant, alors même que chaque écoute vient confirmer la qualité des compositions, prises individuellement.
Un mois et demi d'écoutes plus tard, on en revient toujours et inlassablement à la même question, celle-là même que tout amateur de musique digne de ce nom déteste se poser, à plus forte raison concernant une œuvre aussi accessible que celle-ci : est-ce que cet album déçoit parce qu'il n'est pas aussi grandiose que je l'espérais, ou bien juste parce qu'il n'est pas ce que j'espérais ? Le temps, on l'espère, devrait permettre de fournir une réponse. Il ne fait de toute façon pas grand doute que The Inevitable Past Is the Future Forgotten est un disque de valeur qui finira par trouver sa place place sur la durée. Reste à savoir à quelle hauteur elle se situera sur l'échelle de discographies si abondantes et parfois si époustouflantes que même en deçà de leur niveau, comme c'est a priori le cas ici, elles restent captivantes.
(1.) Bien connu des fans puisqu'il joue avec Jenkins au sein des très bons Mr Tube & The Flying Objects.
(2.) S'il fallait n'en garder qu'un sur les quatre, on vous conseillerait le dernier, Autumn of the Seraphs, publié il y a trois ans.
(3.) Ajoutons aussi l'excellent Ugly Casanova.
[Article précédemment paru sur Interlignage] Treize années. Douze, à la rigueur, si l'on compte la véritable dernière publication des fabuleux Three Mile Pilot (un EP). Mais bien treize ans que l'on attend (plus) la sortie du quatrième album de l'un des plus invraisemblables groupes de la décennie 90, que l'on attend (plus) la suite de l'indispensable Another Desert, Another Sea. Treize ans, c'est presque une vie entière pour ceux qui, alors encore ados, vénéraient le groupe de Pall Jenkins, Zach Smith et Thomas Zinser. Certains lecteurs de ce site (et même certains rédacteurs) étaient encore au bac à sable. Et comme Three Mile Pilot était plus culte que vraiment populaire, il y a fort à parier que beaucoup de gens - y compris parmi le public habituel de l'indie-rock - mesureront mal ce que signifie ce retour et pourquoi il enthousiasme, et pourquoi il déçoit, et pourquoi il laisse indifférent - libre à vous de rayer la mention inutile.
Il est vrai que le trio (qui revient accompagné du claviériste Brad Lee 1) ne fait sans doute pas partie de ceux qui ont le plus manqué depuis de treize ans, tant ses membres déferlèrent à longueur d'années sur la scène indé, le torturé Pall Jenkins s'étant illustré dans une tripotée de projets excitants durant la dernière décennie. Faut-il le rappeler ? Il est le leader et homme-tronc d'un des meilleurs groupes de sa génération (The Black Heart Procession), tandis que son compère Smith, pour sa part, a pris des chemins de traverse loin des spotlights aux côtés de Robert Crow. Inégal, sans doute mineur comparé à la noirceur envoûtante de BHP, Pinback n'en signa pas moins quelques morceaux efficaces et n'a eu de cesse de se bonifier au fil des albums 2.
Si le retour de Three Mile Pilot faisait fantasmer quand la plupart des reformations auraient plutôt tendance à nous réveiller au milieu de la nuit, c'est aussi pour toutes ces raisons qui sont autant de groupes dont il constitue la matrice 3. Les trois co-pilotes ne sont pas des has-been en quête de leur gloire passée, mais des types dans la force de l'âge, arrivé chacun à sa pleine maturité artistique. À défaut de retrouver exactement le son distordu, violent et sinueux que le groupe développait dans les nineties, on était tout de même extrêmement curieux de voir comment s'aggloméreraient les "nouvelles" influences de ces trois-là, dont les différents projets n'ont pour la plupart qu'un rapport assez lointain avec leur folle jeunesse. Que pourrait bien donner la noirceur hypnotique de Black Heart Procession mélangée à la math-pop floydienne de Pinback ?
Le premier morceau de The Inevitable Past Is the Future Forgotten, "Battle", est aussi exceptionnel et groovy que peu loquace sur le sujet. Entêtant, il constitue une entrée en matière percutante, un genre de Black Heart Procession light tout à fait inattendu et tout à fait séduisant. Le hic, c'est qu'alors qu'on attendait une suite plus nuancée, l'album poursuit dans cette voie sans se soucier du qu'en-diront-les-fans. Parvenu au riff mécanique de "Planets" (qui figurait sur un EP apéritif paru l'an passé), l'improbable devient évidence : il semble que Pall Jenkins ait clairement pris le gouvernail, quitte à vampiriser les deux autres. On entendra certes pas beaucoup du 3MP qu'on aimait il y a treize ans. À la rigueur, on pouvait s'y attendre venant d'individus peu enclins à faire revivre le passé, au point de s'être empressés de faire des choses radicalement différentes dès la séparation du groupe. Mais on n'entendra pas beaucoup plus de Pinback, l'influence de Zach Smith semblant avoir été réduite à la portion congrue (une rythmique ici ou là - au hasard sur "What's in the Air" - et puis s'en va).
On ignore s'il faut le déplorer ou non. Car The Inevitable Past Is the Future Forgotten est un bon album, malgré tout. Son premier tiers, avec les remarquables "Still Alive" et "Same Mistake", peut même parfaitement prétendre au titre (certes totalement vain) de meilleure ouverture d'album de l'année. Cela ne masque cependant pas le fait que sur la longueur, l'ensemble, manifestement dépourvu de ligne directrice, a tendance à s'étioler, malgré des chansons souvent classieuses ("What I Lose", "The Thresold"). Son problème ? Il n'a ni la violence et l'inventivité d'un album du Three Mile Pilot "habituel", ni la noirceur et la tension exacerbée d'un album de The Black Heart Procession. Ce qui le rend rapidement frustrant, alors même que chaque écoute vient confirmer la qualité des compositions, prises individuellement.
Un mois et demi d'écoutes plus tard, on en revient toujours et inlassablement à la même question, celle-là même que tout amateur de musique digne de ce nom déteste se poser, à plus forte raison concernant une œuvre aussi accessible que celle-ci : est-ce que cet album déçoit parce qu'il n'est pas aussi grandiose que je l'espérais, ou bien juste parce qu'il n'est pas ce que j'espérais ? Le temps, on l'espère, devrait permettre de fournir une réponse. Il ne fait de toute façon pas grand doute que The Inevitable Past Is the Future Forgotten est un disque de valeur qui finira par trouver sa place place sur la durée. Reste à savoir à quelle hauteur elle se situera sur l'échelle de discographies si abondantes et parfois si époustouflantes que même en deçà de leur niveau, comme c'est a priori le cas ici, elles restent captivantes.
👍 The Inevitable Past Is the Future Forgotten
Three Mile Pilot | Temporary Residence Limited, 2010
(1.) Bien connu des fans puisqu'il joue avec Jenkins au sein des très bons Mr Tube & The Flying Objects.
(2.) S'il fallait n'en garder qu'un sur les quatre, on vous conseillerait le dernier, Autumn of the Seraphs, publié il y a trois ans.
(3.) Ajoutons aussi l'excellent Ugly Casanova.
Je ne pensais jamais voir un nouvel album de TMP. Je me réjouissais de la sortie de celui-ci... et puis... je crois que je l'ai déjà oublié. Non pas qu'il soit mauvais, loin de là (ces gens là ne savent pas faire de mauvais disques a priori), mais...
RépondreSupprimerUn peu pareil que KMS au-dessus...
RépondreSupprimerEn fait après l'avoir trouvé par hasard sur mon DD il y a trois mois il ne reste finalement que "Battle" pour m'évoquer quelque chose, quand je regarde les titres les autres ne me rappellent rien, il est rentré par une oreille et sorti par l'autre...
J'ai l'impression que tout le monde pense plus ou moins pareil. Tout le monde était très content, tout le monde a été déçu, mais en même temps personne ne peut dire que l'album est mauvais.
RépondreSupprimerJe crois que certains disques devraient rester des fantasmes :(
j'en étais resté à The Chief Assassin to the Sinister, si j'ai bien compris j'ai qu'à le ressortir, de toute façon c'est le seul album d'eux que j'ai et après avoir écouté les autres par après je m'y accroche.
RépondreSupprimerL'analyse de pourquoi l'album surprend est très juste. Maintenant moi, j'en garde qu'un ou deux titres car ça m'ennuie pas mal sur la longueur.
RépondreSupprimerEn effet on dirait qu'on pense tous plus ou moins la même chose. Je me retrouve assez dans le commentaire de KMS. Je dois d'ailleurs dire que j'ai écrit le plus gros de l'article sur le moment et l'ai gardé au chaud pour la sortie, ça fait en réalité quelques semaines que je ne l'écoute plus trop. Cela dit c'est assez vicieux car pour autant, chaque fois que j'y reviens, je trouve ça bon. Le truc c'est que je n'ai pas nécessairement envie d'y revenir...
RépondreSupprimerOuais, je trouve surtout cet album moyen (pas mauvais, mais pas assez bon pour être bon), et je n'attendais rien de fabuleux (même si j'étais très en attente de quelque chose depuis que j'ai vu BHP en décembre et acheté le ep).
RépondreSupprimerJe ne l'écoute plus, et je ne vois pas pourquoi ça changerait. Alors que j'ai réécouté 2-3 fois Chief assassin depuis, parce qu'on ne change pas une équipe qui gagne.
N'y a-t-il pas risque de fétichisme ? ;-)
RépondreSupprimerAlors en fait je l'avais tellement oublié que j'ai été surpris ce soir en le recevant en vinyle, j'avais oublié mon pre order... mais étrangement, l'écouter en vinyle lui a redonné un intérêt, le son, la brièveté des 4 faces... même s'il sonne plus comme du BHP que comme du 3MP. Comme quoi le support...
RépondreSupprimerBon en même temps tout le monde s'en tape.
RépondreSupprimerBah non, tout le monde ne s'en tape (quelle idée).
RépondreSupprimerEt je suis bien d'accord, ça sonne surtout BHP. "BHP light", je dirais.