samedi 16 octobre 2010

Cheval Blanc - Hi-fi ITW

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Il doit être écrit quelque part, Dieu seul sait où, qu’à chacune de nos rencontres avec le Cheval Blanc il fera moche et froid. C’est certes plus logique en octobre qu’en mars mais tout de même, impossible de ne pas se faire cette réflexion en allant le rejoindre à Pigalle. Il est vrai que son nouvel EP, Révolutions (2), est ce qu’il convient d’appeler « un disque de saison ». On ne s’imagine pas aller en causer par un temps splendide, en short et tongs, alors qu’il s’ouvre sur un martèlement de piano, un titre à l’indécrottable bonne humeur ("Les Amants morts") et des vers fort estivaux : « Ne me dites pas que vous m’aimez / Ce pourrait bien être un problème / Car s’il est vrai que vous m’aimez / Alors je devrais vous tuer ». Et là, c’est le moment que choisit Jérôme pour vous glisser, l’air de rien : « Je crois que par rapport au premier, cet EP est plus proche de ce que je suis. » Chouette : on va bien se marrer. De l’autre signification de l’expression happy hour.

Le pire, c’est que c’est vrai. On va bien se marrer durant presque une heure, à discuter de tout et de rien, et finalement peu d’un EP dont Jérôme semble se sentir déjà un peu loin. Rien que de très normal : comme son prédécesseur, Révolutions est avant tout une compilation de vieilleries, une introduction à son univers… « un acte de présence » avant le grand morceau que constituera le premier véritable album, celui là-même qu’il espérait pouvoir enregistrer il y a six mois… celui là-même dont il nous affirme aujourd’hui, fier et décidé, qu’il le fera quoiqu’il arrive en 2011.

Reste que désormais associés en diptyque, les deux EPs révèlent un visage différent, plus sombre et plus complexe que ce que le seul Révélations laissait entendre. À la fois pareils et différents, lumineux et ténébreux, ils se complètement à merveille et n’usurpent en rien le qualificatif de diptyque. « L’un ne va pas sans l’autre. Je n’aurais jamais appelé un album Révolution tout seul. J’aurais trouvé ça trop connoté, c’est pourquoi j’ai tenu à ce que ces mots soient au pluriel. Ce n’est pas du tout un appel primaire à la révolution sociale… ça peut être entendu comme ça, bien sûr, mais ça peut être aussi une révolution plus intime (amoureuse, par exemple), ou aussi bien une révolution scientifique, éthique… quelque chose qui est amené à s’inscrire dans le mythe – puisque l’image du cheval blanc vient de là au départ. Quant à Révélations c’est plus une traduction de l’Apocalypse. Et enfin bien sûr c’est aussi le rappel d’un texte d’un poète qui m’a beaucoup marqué, Roger Gilbert-Lecomte, qui s’intitulait Révélation-Révolution – mais au singulier cette fois. »


L’entame austère (au sens racinien du terme) passée, Révolutions, ouvrage plus poétique et évanescent encore que le précédent, dévoile quelques douceurs, comme cette révolution qui est un jeu d’enfants ou encore Acclarté, merveille de folk hypnotique où l’on nous entretient d’« anti-mondes » et de « bulles de vide », comme une reprise de Lanegan par Christophe. Les fulgurances ne manquent pas ; le texte est plus que jamais la pièce maîtresse de cette compilation élégiaque. Surtout, à l’instar de Révélations, ce second disque frappe par la qualité de production de ce qui n’est après tout qu’une collection de démos gravée dans le dénuement le plus total. Lorsque l’on suggère à Jérôme que le résultat, à sa manière, est lo-fi, il s’emporte de manière inattendue : « Carrément. C’est fait avec un appareil qu’on m’a donné en 2000, qui vaut 200 euros sur e-bay, à l’ancienne, sans montage… c’est lo-fi et c’est du vrai lo-fi. Philosophiquement je suis là-dedans, mais j’ai l’impression que c’est aussi devenu une forme de snobisme et que beaucoup de petits bourgeois s’en sont emparés, qui se donnent des airs de lo-fi… comme une tendance des bourgeois à essayer de sonner pauvre, alors que je connais quelques musiciens crevant la dalle – comme Mathias Durand, par exemple, qui fait tout pour sonner riche et donner un aspect cosmique à sa musique. Moi, pareil, je fais avec ce que j’ai. Donc lo-fi, philosophiquement, éthiquement, oui. » Ou comment revisiter le bon vieux courant alternatif de la fin eighties à la sauce lutte des classes, ce qui n’est pas sans nous rappeler une discussion qu’on avait eu avec Didier Wampas il y a une dizaine d’années (lequel d’ailleurs convertit effectivement l’éthique en pratique, puisque du jour où ils furent signés chez Universal et auteurs d’un ou deux tubes, les Wampas ne s’évertuèrent pas à enregistrer des albums au son tout pourri pour sonner pseudo authentique). Et Jérôme de retomber sur ses pieds à la fin : « Cette révolution du titre, c’est aussi une révolution numérique. Parce que le numérique, pour les musiciens de mon acabit, est beaucoup plus abordable que l’analogique. » On a une pensée émue pour Daniel Johnston et ses enregistrements inaudibles des années 80 – le lo-fi aurait-il été le lo-fi si le numérique avait été inventé plus tôt ?…

C’est donc avec un certain enthousiasme que Jérôme s’apprête à retrouver un vrai studio la semaine qui suit cet entretien (c’est-à-dire celle qui s’achève), à la demande d’un… oui, d’un label (parce qu’il arrive encore occasionnellement que les labels témoignent de l’intérêt pour les gens de talent). Rien de suffisamment assuré ni officiel pour qu’il souhaite en parler plus longuement, mais une raison au moins de se réjouir et de trinquer, ce qui est toujours bon à prendre. Le Cheval Blanc en profite pour inviter nos lecteurs à aller sur myspace jeter une oreille à ses dernières compositions, histoire de se renseigner sur sa production récente. On l’a fait et on confirme : c’est plus que pas mal. C’est peu dire que l’on attend la suite avec impatience – histoire de faire la belle.


Révolutions (2), du Cheval Blanc (2010)