Je ne connais pas Deerhunter

...
Je ne connais pas ce groupe, Deerhunter. Je suis le seul, non ? Il paraît que tout le monde en parle. Il paraît qu'il est hype - ce vilain mot - et que cela ne date pas d'hier. Il paraît que Pitchfork lui tresse des couronnes. Je n'en sais rien, je ne lis pas Pitchfork et je comprends mal pourquoi tant de gens le font. A croire qu'ils n'étaient pas si las de la presse officielle qu'ils le disaient. Peu importe. Une chose est sûre : je ne connais pas Deerhunter. Enfin. Si, je connais un peu, au sens où je les ai vus sur scène. C'était l'an passé, à la Route du Rock. Quasiment les premiers à jouer (les seconds, si ma mémoire est bonne).

Qu'est-ce que je m'étais fait chier !

Cette non-expérience mis à part (car un groupe qui t'emmerde en festival, soyons clair : tu ne l'écoutes pas vraiment et tu vas t'acheter une bière ou une barquette de frites), je ne connais pas Deerhunter. Si d'aventure j'ai pu entendre ce nom avant la Route du Rock 2009, il est fort probable que je l'ai confondu avec Deerhoff, d'autant plus probable à vrai dire que je ne connais pas trop Deerhoff non plus. Mais comme il influence beaucoup des groupes hype qu'aime Pitchfork, on peut déceler une forme de cohérence dans mes lacunes.

Je ne connais par Deerhunter et c'est vraiment par le plus grand des hasards que j'ai écouté son dernier album, Halcyon Digest. J'aimais bien le titre et la pochette. Dans le genre aveu honteux, on fait difficilement pire : il m'arrive souvent d'écouter des trucs juste parce que j'aime bien la pochette ou le titre ou les deux. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Dans mon esprit et du peu que j'avais pu en entendre, j'attendais un truc bien noisy et bien chiant. C'est vous dire ma surprise.

Car si je ne connais pas Deerhunter et que je ne sais par conséquent pas ce qu'il est de bon ton d'en penser, si j'échappe à mon corps défendant à la litanie de banalités que le chroniqueur lambda (donc qui lit Pitchfork ?) se doit d'étaler pataudement dans son article... je suis encore capable, et c'est heureux, de reconnaître une bonne chanson pop quand j'en entends une. Halcyon Digest n'en manque pas. Rien que "Don't Cry", le second titre, a de quoi enthousiasmer. Il y a aussi "Desire Lines", l'obsession de Mmarsu (comme je le comprends), avec son intro rappelant furieusement "Letter to Memphis" avant de basculer dans la pop psyché. Ou "Revival", dont le titre ne peut être que provocation en ces temps où le mot, plus que jamais, est tabou. C'est très salissant le revival, il vaut mieux faire semblant de découvrir un groupe novateur toutes les semaines - ce que Deerhunter n'est pas. Autant le dire tout de suite des fois qu'un lecteur de Pitchfork viendrait essayer de nous démontrer le contraire.

Halcyon Digest est un album un peu dream, un peu shoegaze, un peu noise. Tous ces termes encore ringards il y a trois ans et que l'on entend désormais chaque semaine - que dis-je ? chaque jour ou presque. Il n'y a pas grand-chose qui m'ait surpris chez Deerhunter (mais arrivé à un certain âge ça commence à devenir rare d'être surpris), mis à part peut-être l'essentiel : la qualité de l'ensemble, la solidité de l'écriture, l'efficacité des mélodies, l'intelligente sophistication de la production. Je ne connais pas Deerhunter mais après un tel disque, je promets de faire attention quand je lirai ce nom. Et je ne le confondrai plus avec qui que ce soit.

Halcyon Digest, de Deerhunter (2010)