...
Chanter le rock en français. Cette vieille affaire. Sale histoire qui revient cycliquement, avec les habituelles rengaines, les aigreurs des uns et les bâillements des autres. Ce qui est bien c’est qu’à la longue, on connaît la chanson. On arrive à anticiper les critiques et reproches, toujours peu ou prou les mêmes, parfois fondés – souvent injustes. En plus le groupe en question, celui qui cet automne servira d’illustration à l’éternel débat (et ils sont de plus en plus rares à s’y risquer), a le nom le plus crétin du monde : Radiosofa. C’est ce qui s’appelle tresser la corde pour se pendre. A moins qu’il ne s’agisse d’un art de la mise en abyme confinant à la virtuosité : dans la maladresse de ce nom, qui sent bon la morgue lycéenne alors que les individus en question ont depuis longtemps passé l’âge, c’est tout le « problème » du rock francophone qui semble transpirer.
Petite précision à ce stade : l’auteur de ces lignes, pour sa part, n’a jamais vraiment compris toutes les tergiversations autour du sujet, car dans l’absolu il est très content d’écouter du rock anglo-saxon à 90 %. Dans le fond, entre les critiques conchiant le rock français sans nuances et (le plus souvent) sans arguments et ceux qui, à l’inverse, vont tenter de monter en épingle des artistes français sur la seule foi de leur identité nationale (ah ah), il n’y a pas si grande marge. L’un et l’autre participent d’une pensée erronée et, pour tout dire, grotesque, considérant qu’il est en quoi que ce soit important d’avoir de bons groupes de rock français et donc, à l’inverse, extrêmement grave de ne pas en avoir. Il est toujours amusant de noter que dans un pays qui n’aime rien tant que moquer le patriotisme des anglo-saxons on est si prompt à chanter cocorico. Le fait est qu’en réalité, pour d’obscures raisons qui sont autant de cadavres dans le placard de la presse musicale hexagonale (Téléphone, Indochine, Saez – rayez les mentions inutiles), le critique ne sait jamais comment aborder le genre. Déjà, il considère que c’en est un – ce qui est en soi un problème.
Si Radiosofa chantait en anglais, on ne se poserait évidemment pas autant de questions. Au sortir du concert des Trois Baudets, pour lequel nous vous avions fait gagner quelques places, ma femme elle-même, pourtant tout imprégnée de culture anglo-saxonne (logique : c’est ma femme) ne me confiait-elle pas que c’était pas mal « mais que les textes [n'étaient] quand même pas terribles » ? J’ai été doublement choqué : d’une part, cela m’a paru assez faux. Et d’autre part, je découvrais donc que les gens écoutaient encore, en 2010, les textes des chansons. Moi qui naïvement pensait que ce qui comptait, c’était le style, la vibe, les harmonies. Tout ces trucs dont plus personne ne semble capable de parler dès lors que le groupe a le malheur de chanter dans la langue de Molière et que la bonne vieille tradition de la chanson hexagonale vient tout pourrir. Alors que bon, Brel, harmoniquement parlant, il n’y a pas de quoi grimper aux rideaux.
Le plus étonnant, c’est que les défauts que l’on retrouve assez régulièrement sur les albums de rock francophones, et le second Radiosofa entre parfaitement dans cette catégorie, ne sont a priori pas inhérents au fait que les groupes en question soient français. Cette forme de lyrisme un peu candide, cette tendance à lisser la production, cette application parfois un peu trop premier de la classe… tout ça n’a pas grand-chose à voir avec le fait de venir de Rouen ou de Londres. De toute façon peu importe, car ces défauts réels seront pulvérisés sur l’autel de l’évidence : Thomas Cramoisan comme une poignée d’autres chante en français, ses textes sont trop ceci et pas assez cela, il cherche la rime jusqu’à la faire rentrer au forceps et cela suffit à faire du Souffle court, album estimable et intelligent à plus d’un titre, une véritable infamie. Que ne s’est-il appelé Tom Cramosan ! Il aurait alors pu brailler des conneries dans le bordel le plus total sans que cela posât le moindre problème à la critique, aux blogueurs et à tous les gardiens du ridicule petit temple élevé pendant leur adolescence par Noir Désir – et dont le prêche se résume en gros à : sois Cantat ou chante de l’indie-pop anglophone. Ou ferme ta gueule – ce qui n’est peut-être pas plus mal. Autant dire que cette conception joliment binaire relève au minimum d’un terrible manque non de culture, mais d’éducation musicale. De même que – soyons de bonne foi – son double maléfique : « ouais, on s’en tape des paroles ». La réalité est plus complexe : on s’en tape effectivement de ce que racontent ces paroles ; en dehors du cas très particulier de la « chanson française », qui s’inscrit dans une tradition littéraire faisant plus figure d’exception que de règle, le texte, en musique, n’a de valeur que… musicale. Ce qui compte n’est pas tant ce qu’il dit que comment il sonne (l’exemple le plus pertinent étant sans doute "Do You Want to Dance?", de Bobby Freeman). Et de ce point de vue, le second album de Radiosofa, dont il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il s’inscrit dans une tradition beaucoup plus anglo-saxonne que ce que sa langue de chant suggère, relève du sans faute. L’oreille attentive (ou simplement de bonne foi) notera d’ailleurs que l’on n’y trouvera pas, comme chez d’autres dont nous tairons les noms, de voix outrancièrement mixée en avant ou de mélodies spécialement construites autour des textes (difficiles héritages de Noir Désir qui plombe passablement nombre de ses dauphins).
Ah là oui. Que c’est dur, que c’est courageux en 2010 d’oser encore jouer la carte du rock francophone, en groupe qui plus est et de préférence – quitte à faire dans l’invendable autant y aller à fond – échappant aux catégorisations simplistes. Autant dire que tout, chez Radiosofa, les condamne à puer des pieds jusqu’à la fin des temps. Comme souvent, la vérité importe peu. Qui se soucie bien de savoir que passés les rapprochement faciles, Radiosofa ne ressemble pas tellement au premier groupe français venu ? Qui peut bien avoir envie d’écouter la rythmique robotique et imparable des "Masques" ? Qui a cure que "Hiroshima" soit un tube en puissance ? Que la voix soit haut placée et particulièrement bien captée, véritable rareté sur un terrain hexagonale qui préfèrera toujours lui reprocher son emphase – il est vrai parfois un brin poussive – tout en regrettant chez la concurrence que le chanteur n’ait pas d’organe digne de ce nom (le milieu rock national, faut-il le préciser ? ne sait absolument quels sont ses goûts tant sa culture musicale est lacunaire) ? Qui pourra donc s’intéresser à la percussion des riffs ou s’apercevoir que "10 000 brasses" n’a pas à rougir face aux dernières productions d’Interpol ? Tout cela n’a aucune importance. Dès les premières notes du Souffle court, on a mal pour le groupe. Trop fin pour faire péter la banque FM, pas assez indie-rockement correct pour les snobs que nous sommes tous (ne croyez-pas que votre serviteur est dupe de ses propres abus, lui aussi aime bien se faire un groupe de rock franchouillard à l’occasion – c’est mal mais souvent facilité défoule). Le problème du rock, chez nous ? Il n’y a jamais rien eu entre RTL2 et les Inrocks. Enfin. Il y a eu plein de choses, et Radiosofa en est une parmi d’autres. Mais ces choses n’ont jamais eu d’existence médiatique, donc d’existence tout court dans l’imaginaire collectif. Il n’y a pas de Pearl Jam français. Il n’y a pas de rock crossover (Noir Désir n’ayant jamais été crossover, plutôt l’archétype du groupe indie au succès aussi monstrueux qu’accidentel). Le mot n’a d’ailleurs aucune traduction dans la langue française, ce qui quelque part dit déjà tout.
Radiosofa joue donc du rock crossover et le joue particulièrement bien. Avec tous les excès et défauts que la tendance peut impliquer. On aura le droit de trouver cela par instants un peu lisse, même si moins que le premier album. Quiconque aura vu le groupe sur scène sera autorisé à regretter qu’une fois de plus, il ne soit pas tout à fait parvenu à capter la puissance de feu qu’il dégage en live. Mais on n’aura aucune culpabilité à secouer la tête à l’écoute des "Portes" ou à adorer "Comme un rêve", chansons improbablement efficaces dont les refrains ne déserteront aucune oreille digne de ce nom et dont le groove a quelque chose d’imparable. Certains pensent sérieusement qu’en 2010, le rock français a le visage de post-ado attardé du bassinant Saez. D’autres sont tout aussi sérieusement convaincus que le rock français a trouvé son incarnation ultime dans les exercices de styles surfaits de l’ennuyeux François Virot. La vérité est quelque part au milieu de ça. La vérité elle-même est un crossover. Et le rock français ressemble beaucoup, à tous le moins dans notre idée, à celui de Radiosofa.
Chanter le rock en français. Cette vieille affaire. Sale histoire qui revient cycliquement, avec les habituelles rengaines, les aigreurs des uns et les bâillements des autres. Ce qui est bien c’est qu’à la longue, on connaît la chanson. On arrive à anticiper les critiques et reproches, toujours peu ou prou les mêmes, parfois fondés – souvent injustes. En plus le groupe en question, celui qui cet automne servira d’illustration à l’éternel débat (et ils sont de plus en plus rares à s’y risquer), a le nom le plus crétin du monde : Radiosofa. C’est ce qui s’appelle tresser la corde pour se pendre. A moins qu’il ne s’agisse d’un art de la mise en abyme confinant à la virtuosité : dans la maladresse de ce nom, qui sent bon la morgue lycéenne alors que les individus en question ont depuis longtemps passé l’âge, c’est tout le « problème » du rock francophone qui semble transpirer.
Petite précision à ce stade : l’auteur de ces lignes, pour sa part, n’a jamais vraiment compris toutes les tergiversations autour du sujet, car dans l’absolu il est très content d’écouter du rock anglo-saxon à 90 %. Dans le fond, entre les critiques conchiant le rock français sans nuances et (le plus souvent) sans arguments et ceux qui, à l’inverse, vont tenter de monter en épingle des artistes français sur la seule foi de leur identité nationale (ah ah), il n’y a pas si grande marge. L’un et l’autre participent d’une pensée erronée et, pour tout dire, grotesque, considérant qu’il est en quoi que ce soit important d’avoir de bons groupes de rock français et donc, à l’inverse, extrêmement grave de ne pas en avoir. Il est toujours amusant de noter que dans un pays qui n’aime rien tant que moquer le patriotisme des anglo-saxons on est si prompt à chanter cocorico. Le fait est qu’en réalité, pour d’obscures raisons qui sont autant de cadavres dans le placard de la presse musicale hexagonale (Téléphone, Indochine, Saez – rayez les mentions inutiles), le critique ne sait jamais comment aborder le genre. Déjà, il considère que c’en est un – ce qui est en soi un problème.
Si Radiosofa chantait en anglais, on ne se poserait évidemment pas autant de questions. Au sortir du concert des Trois Baudets, pour lequel nous vous avions fait gagner quelques places, ma femme elle-même, pourtant tout imprégnée de culture anglo-saxonne (logique : c’est ma femme) ne me confiait-elle pas que c’était pas mal « mais que les textes [n'étaient] quand même pas terribles » ? J’ai été doublement choqué : d’une part, cela m’a paru assez faux. Et d’autre part, je découvrais donc que les gens écoutaient encore, en 2010, les textes des chansons. Moi qui naïvement pensait que ce qui comptait, c’était le style, la vibe, les harmonies. Tout ces trucs dont plus personne ne semble capable de parler dès lors que le groupe a le malheur de chanter dans la langue de Molière et que la bonne vieille tradition de la chanson hexagonale vient tout pourrir. Alors que bon, Brel, harmoniquement parlant, il n’y a pas de quoi grimper aux rideaux.
Le plus étonnant, c’est que les défauts que l’on retrouve assez régulièrement sur les albums de rock francophones, et le second Radiosofa entre parfaitement dans cette catégorie, ne sont a priori pas inhérents au fait que les groupes en question soient français. Cette forme de lyrisme un peu candide, cette tendance à lisser la production, cette application parfois un peu trop premier de la classe… tout ça n’a pas grand-chose à voir avec le fait de venir de Rouen ou de Londres. De toute façon peu importe, car ces défauts réels seront pulvérisés sur l’autel de l’évidence : Thomas Cramoisan comme une poignée d’autres chante en français, ses textes sont trop ceci et pas assez cela, il cherche la rime jusqu’à la faire rentrer au forceps et cela suffit à faire du Souffle court, album estimable et intelligent à plus d’un titre, une véritable infamie. Que ne s’est-il appelé Tom Cramosan ! Il aurait alors pu brailler des conneries dans le bordel le plus total sans que cela posât le moindre problème à la critique, aux blogueurs et à tous les gardiens du ridicule petit temple élevé pendant leur adolescence par Noir Désir – et dont le prêche se résume en gros à : sois Cantat ou chante de l’indie-pop anglophone. Ou ferme ta gueule – ce qui n’est peut-être pas plus mal. Autant dire que cette conception joliment binaire relève au minimum d’un terrible manque non de culture, mais d’éducation musicale. De même que – soyons de bonne foi – son double maléfique : « ouais, on s’en tape des paroles ». La réalité est plus complexe : on s’en tape effectivement de ce que racontent ces paroles ; en dehors du cas très particulier de la « chanson française », qui s’inscrit dans une tradition littéraire faisant plus figure d’exception que de règle, le texte, en musique, n’a de valeur que… musicale. Ce qui compte n’est pas tant ce qu’il dit que comment il sonne (l’exemple le plus pertinent étant sans doute "Do You Want to Dance?", de Bobby Freeman). Et de ce point de vue, le second album de Radiosofa, dont il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il s’inscrit dans une tradition beaucoup plus anglo-saxonne que ce que sa langue de chant suggère, relève du sans faute. L’oreille attentive (ou simplement de bonne foi) notera d’ailleurs que l’on n’y trouvera pas, comme chez d’autres dont nous tairons les noms, de voix outrancièrement mixée en avant ou de mélodies spécialement construites autour des textes (difficiles héritages de Noir Désir qui plombe passablement nombre de ses dauphins).
Ah là oui. Que c’est dur, que c’est courageux en 2010 d’oser encore jouer la carte du rock francophone, en groupe qui plus est et de préférence – quitte à faire dans l’invendable autant y aller à fond – échappant aux catégorisations simplistes. Autant dire que tout, chez Radiosofa, les condamne à puer des pieds jusqu’à la fin des temps. Comme souvent, la vérité importe peu. Qui se soucie bien de savoir que passés les rapprochement faciles, Radiosofa ne ressemble pas tellement au premier groupe français venu ? Qui peut bien avoir envie d’écouter la rythmique robotique et imparable des "Masques" ? Qui a cure que "Hiroshima" soit un tube en puissance ? Que la voix soit haut placée et particulièrement bien captée, véritable rareté sur un terrain hexagonale qui préfèrera toujours lui reprocher son emphase – il est vrai parfois un brin poussive – tout en regrettant chez la concurrence que le chanteur n’ait pas d’organe digne de ce nom (le milieu rock national, faut-il le préciser ? ne sait absolument quels sont ses goûts tant sa culture musicale est lacunaire) ? Qui pourra donc s’intéresser à la percussion des riffs ou s’apercevoir que "10 000 brasses" n’a pas à rougir face aux dernières productions d’Interpol ? Tout cela n’a aucune importance. Dès les premières notes du Souffle court, on a mal pour le groupe. Trop fin pour faire péter la banque FM, pas assez indie-rockement correct pour les snobs que nous sommes tous (ne croyez-pas que votre serviteur est dupe de ses propres abus, lui aussi aime bien se faire un groupe de rock franchouillard à l’occasion – c’est mal mais souvent facilité défoule). Le problème du rock, chez nous ? Il n’y a jamais rien eu entre RTL2 et les Inrocks. Enfin. Il y a eu plein de choses, et Radiosofa en est une parmi d’autres. Mais ces choses n’ont jamais eu d’existence médiatique, donc d’existence tout court dans l’imaginaire collectif. Il n’y a pas de Pearl Jam français. Il n’y a pas de rock crossover (Noir Désir n’ayant jamais été crossover, plutôt l’archétype du groupe indie au succès aussi monstrueux qu’accidentel). Le mot n’a d’ailleurs aucune traduction dans la langue française, ce qui quelque part dit déjà tout.
Radiosofa joue donc du rock crossover et le joue particulièrement bien. Avec tous les excès et défauts que la tendance peut impliquer. On aura le droit de trouver cela par instants un peu lisse, même si moins que le premier album. Quiconque aura vu le groupe sur scène sera autorisé à regretter qu’une fois de plus, il ne soit pas tout à fait parvenu à capter la puissance de feu qu’il dégage en live. Mais on n’aura aucune culpabilité à secouer la tête à l’écoute des "Portes" ou à adorer "Comme un rêve", chansons improbablement efficaces dont les refrains ne déserteront aucune oreille digne de ce nom et dont le groove a quelque chose d’imparable. Certains pensent sérieusement qu’en 2010, le rock français a le visage de post-ado attardé du bassinant Saez. D’autres sont tout aussi sérieusement convaincus que le rock français a trouvé son incarnation ultime dans les exercices de styles surfaits de l’ennuyeux François Virot. La vérité est quelque part au milieu de ça. La vérité elle-même est un crossover. Et le rock français ressemble beaucoup, à tous le moins dans notre idée, à celui de Radiosofa.
👍 Le Souffle court
Radiosofa | Discograph, 2010
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