mercredi 17 novembre 2010

John from Cincinnati - Twin Peaks paroxystique

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Si récente et déjà effacée des mémoires, incomprise et géniale, digne héritière de Twin Peaks... telle est la légende présidant aujourd'hui à la découverte de John from Cincinnati... pour un peu qu'on la découvre, évidemment, ce qui n'est pas forcément commode puisque justement : elle a été effacée de beaucoup de mémoires. Notez qu'on se demande comment. Car si la qualité et les parti-pris de ce feuilleton de dix épisodes peuvent être discutés, on a du mal à croire qu'on puisse oublier avoir vu un truc aussi bizarre, tordu et déroutant.

Lancée juste après le dernier épisode des Soprano, qu'elle était censée remplacer dans la grille de HBO, John from Cincinnati avait sur le papier tout pour se crasher - si tant est que succéder au parrain du New Jersey ne fût pas amplement suffisant pour ruiner la carrière de quiconque. Créée un soir de défonce (hypothèse non officielle) par un grand auteur de série (David Milch, le gigantesque créateur du gigantismique Deadwood) et un formidable écrivain (Kem Nunn, à qui l'on doit le cultissime Tapping the Source... ainsi que la saison trois de Deadwood), elle raconte qui plus est une histoire à coucher dehors, probablement afin d'être bien sûre d'être annulée rapidement. Soit donc la chronique d'une famille de surfers dans un charmant petit patelin de Californie, de leur entourage loufoque et de leur problèmes filiaux. On a droit à tout : le grand-père champion de la discipline mais foudroyé en pleine gloire par une blessure, le fils râté, vilain petit canard et - évidemment - junkie ; le petit-fils adolescent et prometteur se heurtant au refus de Papi (qui l'élève) de le laisser perdre son âme dans une carrière professionnelle (car le surf est un sport noble qui ne doit pas être corrompu par le pognon). Petite précision histoire de ne pas perdre les lecteurs du Golb dès les premières minutes : le premier acteur à apparaître à l'éran est rien moins que l'immense Luke "Dylan" Perry... qui est d'ailleurs très bon dans son rôle de manager de champions aux dents longues. Bref, tout cela commence tranquillement, sans passion et sans grand intérêt, jusqu'au moment où... John arrive de Cincinnati. Légèrement attardé de prime abord, quasi incapable de dire autre chose que ce qu'on vient de lui dire, cet étrange personnage à l'épatante coiffure semble au centre d'évènements extraordinaires se déroulant dans les environs : lévitations, résurrections, surchauffe de piercing.

Qui est John ? Dans le fond, c'est un faux suspens. Car ce qui rend John from Cincinnati barrée et en fait très probablement la série la plus bizarre jamais tournée, ce n'est pas tant ce qu'elle raconte que sa manière de le raconter. Tantôt contemplative et tantôt totalement burlesque, elle est tour à tour bizarrement écrite, bizarrement jouée, bizarrement filmée. Il y a bien sûr du Twin Peaks là-dedans (et même du Lynch, de manière générale). Décalages, atmosphère à la fois drôle et mystérieuse... tout prête à penser au classique des années quatre-vingt-dix, jusqu'à la coiffure de John qui évoque de manière assez évidente celle de l'agent Chester Desmond (Chris Isaak) dans Fire Walk with Me. Comme si David Milch, qu'on ne connaissait pas vraiment dans ce registre (*), avait souhaité en offrir une version radicale et paroxystique. Le meilleur exemple de cela réside sans aucun doute dans l'utilisation qui est faite du second degré : permanent et salvateur dans Twin Peaks, il met mal à l'aise dans John from Cincinnati parce qu'il n'est jamais souligné, ni par la musique (d'ailleurs hormis Action Joe en intro, il n'y en a pas), ni par le jeu de comédiens dont on jurerait qu'ils ont reçu pour consigne de jouer le plus platement possible (pour les hommes) et de surjouer comme des dératées (pour les femmes).

C'est peu dire que le résultat est déstabilisant. En fait, durant deux ou trois épisodes, on se demande franchement si c'est de l'art (abstrait) ou du cochon (grillé). La partitition est si subtile et les scènes de pures crétinerie si nombreuses... on hésite. J'avoue que la storyline de Twin Peaks que j'ai toujours trouvée la plus ratée (en fait je la trouve même absolument affligeante) est ce passage durant lequel Ben Horne pète les plombs et rejoue la Guerre de Sécession. L'hystérie gratuite qui déchire parfois le rythme escargotin de John from Cincinnati y fait parfois penser.

Et pourtant curieusement (mais qu'est-ce qui n'est pas curieux concernant cette série ?) la série retombe finalement sur ces pieds. On suppute qu'à l'arrivée de John, tout est détraqué, et que si en apparence il sème une pagaille monstrueuse et embarque tout ce petit monde dans des délires surréalistes, il apaise cet univers plus qu'il ne le met à saque. C'est en tout cas le sentiment qu'il provoque chez le spectateur. Finalement, à partir de la moitié, on commence à bien se plaire à Imperial Beach. On n'est pas sûr de tout comprendre, mais le rythme lancinant commence à faire effet. Tout est si cocasse (à commencer par Bruce Greenwood, qu'on ne connaissait pas si prompt à l'auto-dérision), si exagéré et si cinglé que c'en devient charmant et attachant. Quitte à en sortir comme on s'arrache à un trip sous acide. Série abstraite, John from Cincinnati ? Série expérimentale ?

Monument psychédélique, plutôt.


John from Cincinnati, créée par David Milch et Kem Nunn (HBO, 2007)



(*) Outre Deadwood on lui doit également NYPD Blue - deux série plutôt connues pour leur réalisme.

8 commentaires:

  1. Punaise, ça fait vachement envie ! A force, ça m'intrigue d'être attiré par des séries qui n'ont pas fait long feu (ou qui ont volontairement peu d'épisodes)...

    (et -pour la énième fois, je sais- je vais faire mon pinailleur au sujet de "Twin Peaks" : le vrai passage le plus affligeant, c'est l'épisode où James se barre de la ville et a cette aventure avec la femme qu'a un un problème avec sa deudeuche... pseudo-thriller-vaguement-érotisant, digne d'une seconde partie de soirée le dimanche sur M6 comme à l'époque (mais si, souviens-toi^^), "réalisée" par ce tâcheron d'Uli Edel, déjà responsable entre autres d'un navet avec Madonna et Willem Dafoe...)
    (c'est ça qu'on aime avec TP, non ? Y'a tout, et aussi une certaine dose de n'importe quoi ;))

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  2. Super série... surtout défoncé :)

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  3. C'est exact, ce que tu dis de l'utilisation du second degré. Dans Twin Peaks, c'est plus clair, subtil, mais tranché.

    Dans JFC, par contre, il y a des moments où on ne sait plus. C'est tellement mal joué, enfin bien mal joué, mais tellement bien mal joué que...enfin on ne sait plus.

    Il faut noter aussi que outre Luke Perry, on retrouve dans JFC Mark Paul Gosselar, qui joue son ami d'enfance et rival. Le revival du duel entre les deux ex-icône des teenagers des années 90, c'est vraiment excellent ^_^

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  4. Dahu >>> évidemment, le titre de l'article est un appât à dahus et autres créatures lynchiennes ^^

    Bon, plus sérieusement je pense que ça pourrait te plaire, beaucoup même. C'est quoi les autres séries-qui-zont-pas-fait-long-feu qui t'attirent (à part Twin Peaks et On the Air, bien sûr ;-))

    Serious >>> c'est un peu ce que je me suis dit à un moment ! :-)

    J-C >>> attention J-C, c'est presque un spoiler, là !

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  5. Une des premières séries que je me suis envoyé depuis que je m'envoie vraiment des séries. Et donc, déstabilisant, c'est le mot en effet... J'aime les trucs bizarres, expérimentaux, transgenres, etc., mais là j'avais trouvé ça un peu trop austère, trop déstabilisant plus que surprenant... Mais bon ça reste une série plutôt sympathique (courte en plus donc au pire on perd pas trop de temps si on accroche pas) et l'atmosphère californienne est toujours assez enivrante...

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  6. Euh... "Deadwood", il me semble qu'elle a pas duré bien longtemps, et que ça se termine un peu sèchement, d'après ce que j'en avais entendu dire... Sinon, y'a "Profit" qu'il faut que j'essaye, ou le chef d'oeuvre animé absolu (je suis toujours quelqu'un d'objectif et mesuré) "Paranoia agent" et ses 12 épisodes d'une vingtaine de minutes...
    Y'en a d'autres, mais mon cerveau refuse de lâcher les noms, là ^^

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  7. Idle >>> Je peux comprendre ça. Je suis passé par un peu tous les états, avec cette série...

    Dahu >>> Deadwood fait quand même trois bonnes grosses saisons. Mais c'est vrai que ça se finit... pas, en fait, puisqu'elle a été annulée à l'inter-saison et alors que les auteurs (dont le susnommé Kem Nunn) avaient déjà écrit toute la saison 4.

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