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Je me revois en train de lire La Trilogie Marseillaise, un gros volume réunissant les trois tomes en un seul, je me revois le trimballant partout - ce qui n'était pas très pratique - et le lire en quelques jours, happé, dévoré. Je me revois et je me souviens comme j'étais fasciné par ce style, cette poésie de l'épure et l'insatiable mélancolie qui se dégageait des pages. C'est en fait, plus d'une décennie plus tard, la seule dont je me souvienne : cette mélancolie, ce sentiment d'errance nostalgique qui animait aussi bien le héros (assassiné des années plus tard par Alain Delon) que le lecteur parcourant ses "aventures". J'ai dévoré ces trois romans, je les ai adorés mais finalement, je ne me souviens quasiment plus de ce qu'ils racontaient. Tout au mieux qu'il s'agissait de polars, et que dans le genre ils avaient une certaine classe.
J'ai découvert par la suite que Jean-Claude Izzo était avant tout un poète - cela ne m'a pas surpris outre-mesure. Sa trilogie n'avait pas le cartésianisme romanesque typique, elle était très éclatée, très évanescente. Et puis j'ai lu Les Marins perdus, où il y avait un peu de cela, où le poète donnait le sentiment de sortir de lui-même pour aller contempler le monde - donc les autres êtres humains. Et puis Izzo est mort. Et puis je ne l'ai plus lu.
J'ai retrouvé des années après Le Soleil des mourants au fond d'un carton lui-même au fond d'un grenier, lequel était au-dessus de la maison de mes parents tant et si bien que, statistiquement, il n'y avait que très peu de chances que je retombe dessus. En regardant la couverture, d'ailleurs, je ne me rappelais plus trop si je l'avais lu ou non. Il me semblait bien que oui. Finalement ce n'était pas le cas. Il m'est arrivé, avec certains romans, de ne jamais parfaitement trancher cette question ; celui-ci s'est avéré trop exceptionnel pour que le doute soit permis.
En l'ouvrant, je me suis immédiatement souvenu pourquoi Jean-Claude Izzo m'avait fasciné durant tant de mois (car ma lecture de la - quasi - intégralité de son œuvre n'avait pas excédé une année). J'ai retrouvé cette mélancolie implacable, incurable peut-être. J'ai pensé à Djian, qui n'a pas grand-chose à voir avec Izzo mais qui parlait de traîner "sa mélancolie comme un chien ses puces". L'image vaut ce qu'elle vaut. Elle colle assez bien à ce roman qui suit les traces d'un SDF, Rico, type ordinaire que le monde entier semble avoir oublié, et qui au lendemain de la mort de son unique ami (arrêt cardiaque à la Station Ménilmontant ; indifférence générale des usagers ; mépris de la RATP) décide, dans un élan plus vital qu'orgueilleux, de prendre un chouïa sa vie en main. Un chouïa, seulement : son idée n'est jamais que de quitter Paris et de rejoindre Marseille, où il passa de nombreuses années, afin d'y mourir. Là-bas plutôt que dans le souffle gris de la capitale.
A partir de là, il ne se passe à peu près plus rien jusqu'à la dernière page. Ce n'est pas le propos et ce n'est pas le but. Rico erre, Izzo erre, nous errons avec eux. L'intelligence de l'auteur - qui n'est plus à démontrer - consiste à avoir su contourner les chausses-trappes qu'induisait son point de départ. Éviter l'écueil du roman social, qui n'a jamais eu qu'un intérêt limité, pour chercher l'humanité d'un homme. Oublier le misérabilisme et se jouer des clichés, écrire un roman d'initiation plutôt qu'une brûlot à la vaine contestation. Plus qu'autre chose, Le Soleil des mourants est le portrait d'un homme au crépuscule de sa vie, en quête de lui-même, de paix intérieure plus que de rédemption.
Avec une plume comme celle d'Izzo, c'est forcément bouleversant.
Le Soleil des mourants, de Jean-Claude Izzo (1999)
Je me revois en train de lire La Trilogie Marseillaise, un gros volume réunissant les trois tomes en un seul, je me revois le trimballant partout - ce qui n'était pas très pratique - et le lire en quelques jours, happé, dévoré. Je me revois et je me souviens comme j'étais fasciné par ce style, cette poésie de l'épure et l'insatiable mélancolie qui se dégageait des pages. C'est en fait, plus d'une décennie plus tard, la seule dont je me souvienne : cette mélancolie, ce sentiment d'errance nostalgique qui animait aussi bien le héros (assassiné des années plus tard par Alain Delon) que le lecteur parcourant ses "aventures". J'ai dévoré ces trois romans, je les ai adorés mais finalement, je ne me souviens quasiment plus de ce qu'ils racontaient. Tout au mieux qu'il s'agissait de polars, et que dans le genre ils avaient une certaine classe.
J'ai découvert par la suite que Jean-Claude Izzo était avant tout un poète - cela ne m'a pas surpris outre-mesure. Sa trilogie n'avait pas le cartésianisme romanesque typique, elle était très éclatée, très évanescente. Et puis j'ai lu Les Marins perdus, où il y avait un peu de cela, où le poète donnait le sentiment de sortir de lui-même pour aller contempler le monde - donc les autres êtres humains. Et puis Izzo est mort. Et puis je ne l'ai plus lu.
J'ai retrouvé des années après Le Soleil des mourants au fond d'un carton lui-même au fond d'un grenier, lequel était au-dessus de la maison de mes parents tant et si bien que, statistiquement, il n'y avait que très peu de chances que je retombe dessus. En regardant la couverture, d'ailleurs, je ne me rappelais plus trop si je l'avais lu ou non. Il me semblait bien que oui. Finalement ce n'était pas le cas. Il m'est arrivé, avec certains romans, de ne jamais parfaitement trancher cette question ; celui-ci s'est avéré trop exceptionnel pour que le doute soit permis.
En l'ouvrant, je me suis immédiatement souvenu pourquoi Jean-Claude Izzo m'avait fasciné durant tant de mois (car ma lecture de la - quasi - intégralité de son œuvre n'avait pas excédé une année). J'ai retrouvé cette mélancolie implacable, incurable peut-être. J'ai pensé à Djian, qui n'a pas grand-chose à voir avec Izzo mais qui parlait de traîner "sa mélancolie comme un chien ses puces". L'image vaut ce qu'elle vaut. Elle colle assez bien à ce roman qui suit les traces d'un SDF, Rico, type ordinaire que le monde entier semble avoir oublié, et qui au lendemain de la mort de son unique ami (arrêt cardiaque à la Station Ménilmontant ; indifférence générale des usagers ; mépris de la RATP) décide, dans un élan plus vital qu'orgueilleux, de prendre un chouïa sa vie en main. Un chouïa, seulement : son idée n'est jamais que de quitter Paris et de rejoindre Marseille, où il passa de nombreuses années, afin d'y mourir. Là-bas plutôt que dans le souffle gris de la capitale.
A partir de là, il ne se passe à peu près plus rien jusqu'à la dernière page. Ce n'est pas le propos et ce n'est pas le but. Rico erre, Izzo erre, nous errons avec eux. L'intelligence de l'auteur - qui n'est plus à démontrer - consiste à avoir su contourner les chausses-trappes qu'induisait son point de départ. Éviter l'écueil du roman social, qui n'a jamais eu qu'un intérêt limité, pour chercher l'humanité d'un homme. Oublier le misérabilisme et se jouer des clichés, écrire un roman d'initiation plutôt qu'une brûlot à la vaine contestation. Plus qu'autre chose, Le Soleil des mourants est le portrait d'un homme au crépuscule de sa vie, en quête de lui-même, de paix intérieure plus que de rédemption.
Avec une plume comme celle d'Izzo, c'est forcément bouleversant.
Le Soleil des mourants, de Jean-Claude Izzo (1999)
Je ne sais pas pourquoi les "Marins perdus" qui traînent quelque part dans ma chambre, chez mes parents, ne m'ont jamais inspirés confiance. A chaque fois que j'approche le livre, je suis prise d'une réticence : sans doute parce que j'imaginais justement un misérabilisme, une espèce de "poétisation de la loose"... Sans doute encore à cause de la personne qui me l'a prêté. Je reviendrai dessus, maintenant que j'ai lu ta chronique.
RépondreSupprimerRhooo! Thomas bravo! Quel hommage à mon auteur préféré!
RépondreSupprimerJ'ai dévoré total kéops à sa sortie et j'ai suivi les autres tomes dès leur sortie.
Tous ses livres m'ont touchée d'une manière ou d'une autre (même si Total Keops n'a jamais été égalé à mon avis)
Et puis quelle injustice de mourir si jeune quand on a tant à donner.
Et pour Delon matiné TF1, j'étais verte... :-S
Kalys >>> donc en fait tu as chouré le bouquin à la personne qui te l'a prêté, et en plus tu ne l'as même pas lu ? :-)
RépondreSupprimerKath >>> j'étais loin d'imaginer qu'Izzo pût être l'auteur préféré d'un lecteur du Golb. Cela me fait évidemment très plaisir.
Voilà un auteur sur lequel j'ai souvent lorgné, mais que je n'ai jamais attaqué. Il faudra remédier à cela, d'autant plus vite que ton billet est on ne peut plus attrayant !
RépondreSupprimerbon, faut relativiser hein, j'ai qq auteurs préférés, tout comme j'ai qq séries et films préférés!
RépondreSupprimerMais Izzo est définitivement dans mon panthéon, avec Truman Capote.
Thomas : euh... Oui, c'est exactement ça :D
RépondreSupprimerYohan >>> allez, zou, au boulot !
RépondreSupprimerKath >>> rassure-toi, ça m'arrive aussi de dire que machin est mon auteur préféré... puis en fait non c'est bidule, et je vénère aussi truc :-)
Kalys franchement c'est pas terrible terrible. Je vois bien l'histoire, je ne sais pas pourquoi. Je crois que j'ai perdu beaucoup de livres comme cette personne ^^
Non, c'est entièrement de sa faute. Si! C'est vrai!
RépondreSupprimerOui, bon, hein... Laisse-moi tranquille d'abord :D
;-)
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