dimanche 26 décembre 2010

Melissa Auf der Maur - D'une gentillesse à l'autre

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Cela commence par un geste gentil et cela se finit par un geste gentil. Entre les deux ? Un Meeting… pas tout à fait comme les autres, avec une des ces artistes que l’on suit depuis si longtemps qu’on a presque l’impression que ce sont de vieux amis. Et Melissa Auf der Maur, qui berça les fantasmes pubères de l’auteur de ces lignes (autant dire les choses telles qu’elles sont – du moins telles qu’elles furent), n’est pas du genre à vous faire vous détromper. On arrive un peu stressé, forcément stressé, car il n’est jamais facile de rencontrer des gens qu’on admire depuis longtemps. On en ressort incroyablement détendu, comme si l’interview tant redoutée n’avait finalement été qu’une discussion agréable autour d’un verre, avec une nana sympa rencontrée au détour d’un concert, grande cousine canadienne super cool quoique légèrement survoltée. Pour quelqu’un ayant joué avec la terre entière (plus grands inclus 1) et affichant sur son CV non pas un, mais deux des groupes américains les plus importants des vingt dernières années (Hole et les Smashing Pumpkins), Melissa Auf der Maur est invraisemblablement accessible et bienveillante vis-à-vis de son interlocuteur. « Nice to meet you, Thomas. Have a sit. Do you need anything ? Coffee ? Ok, viens par-ici. » Dix minutes et un gobelet de café plus tard on prend place dans la loge, Melissa s’excuse du bordel qu’on n’a même pas remarqué et roulez jeunesse ! Début d’une interview tambour battant – car la Dame est une incroyable bavarde pourvue d’un débit mitraillette. Grâce soit rendue au Ciel que l’entretien se soit déroulé en français.

melissa

Car c’est dans un français (presque) impeccable que Melissa nous narre la genèse de son dernier album, cet Out of Our Minds que l’on n’avait pas nécessairement vu venir. D’une part, c’est sur la durée que le charme de ce second opus étonnamment éclectique finit par se révéler. D’autre part, autant l’admettre franchement, on n’était pas hyper fan du précédent, sans doute un peu trop marqué par l’ombre de ses ex groupes, encore un peu tendre pour complètement convaincre. Ce que celle qui se définit elle-même comme « une artiste encore en développement » est d’ailleurs la première à reconnaître : « J’ai écrit ces morceaux dans ma vingtaine, pendant que j’étais bassiste dans d’autres groupes. Je suis fière de cet album mais j’étais plus innocente, je crois qu’aujourd’hui mon travail en matière en tant que songwriter, lyricist, conceptrice… est beaucoup plus poussé et mature. Ma façon d’écrire aussi a changé, je pense qu’il y a plus de profondeur désormais. » La raison pour laquelle Out of Our Minds a constitué l’une des belles suprises du printemps est cependant bien plus prosaïque : on ne l’attendait tout simplement pas. Ou plus. C’est que Melissa Auf der Maur avait tout de même disparu de la circulation depuis six longues années lorsque cet ambitieux projet a fini par voir le jour, après avoir été repoussé encore et encore. Pourquoi ? Comment ? La crise du disque, ma p’tite dame, et les réactions rabelaisiennes de labels psychorigides et/ou déboussolés. « Tout le monde chez Capitol Records a été viré en une journée, le mois même où je m’apprêtais à faire le mix. J’avais un album prêt pour cette maison de disque et ç’a pris un an minimum simplement pour les guerres autour des droits, finaliser tous les contrats, etc. C’est à cette époque que j’ai dit Fuck it! puisqu’il va clairement falloir longtemps avant que je sorte mon deuxième album et que j’ai déjà l’idée de faire un film fantasy, je vais prendre le temps de le réaliser. Je n’ai pas touché à la musique pendant toute une année et je me suis engagée dans le film Out of Our Minds, puis la BD, le concept entier… » Et finalement, une chose en amenant une autre, Melissa a fini par plaquer managers, producteurs et compagnie pour créer sa propre boîte. Soit donc une année supplémentaire de travail bénévole et invisible à l’œil du fan piétinant d’impatience. « C’était la première fois de ma vie que je n’étais pas plus ou moins en tournée, que j’avais la possibilité d’avoir une vie, une maison, une stabilité me permettant de faire toutes ces choses que je n’aime pas faire mais que je fais désormais que je suis ma propre patronne et mon propre manager. Je me suis rendue compte qu’à ce moment où tout changeait dans le milieu de la musique, ma seule chance de survivre était de tout faire moi-même. »

outofourminds

Il faut dire que Melissa n’a pas franchement choisi la facilité en se lançant dans le projet Out of Our Minds, vaste concept englobant donc, on l’aura compris, disque, film et comics. Une somme d’efforts conjugués qui, c’est toute l’ironie de la chose, aurait sans doute été difficile à mener à bien au sein d’une major, tant à cause de son contenu nébuleux que de son côté foutraque et inclassable. New wave, metal, prog, pop, mais aussi tout un pan de l’imaginaire « fantasy » (à entendre au sens anglo-saxon du terme, soit donc ce que nous appelons chez nous « le merveilleux »)… Out of Our Minds brasse des influences si diverses qu’il en devient difficile à définir. Il est vrai que, très prisée de l’autre côté de l’Atlantique, l’approche pluridisciplinaire reste assez mal soutenue en France, pays où l’on n’aime rien tant que les petites cases. Faut-il que Melissa, qui s’avoue aussi bien influencée par le cinéma que par la peinture, par les Smiths que par la Renaissance, y soit aimée et respectée pour qu’elle ne subisse pas cet ostracisme frappant si souvent les projets par essence inclassables. Tant mieux : une fois initié au concept, qui revisite le mythe de la quête du cœur, le sympathique album prend une toute autre dimension. « Le corps de l’histoire c’est la chanson éponyme, une invitation à partir de l’intellect pour retourner au cœur, où habitent la magie et tous les mondes parallèles… et toutes les réponses. Le film s’attarde sur une jeune femme qui visite les mêmes bois à trois époques différentes, lancée dans cette quête du cœur. Et c’est vrai que d’avoir pris un an pour faire ce film a beaucoup changé l’album. Avoir été habiter dans les bois, avoir travaillé avec un réalisateur [Tony Stone, NDLA] … ç’a complètement transformé la manière dont je regardais le disque. C’était comme si partant de la musique j’arrivais sur un monde tout entier. » Nul besoin d’être particulièrement malin pour capter la fièreté avec laquelle Mélissa évoque ce travail, bâti sur une envie de retour aux sources. C’est que Melissa Auf der Maur, on le sait peu, est issue, à l’instar de Rufus Wainwright, de la célèbre Face de Montréal, qu’elle n’a quittée que par obligation, au moment de rejoindre Hole. Le genre d’école à vous vacciner de la cancritude. « Je ne voulais vraiment pas quitter l’école ! (rires) J’adore être dans un univers d’instruction, une structure où tu dois lire, faire des recherche… Pour moi Out of Our Minds c’était comme de retourner à l’école pour faire un projet d’art, utiliser la force de la musique pour inspirer une histoire et un visuel. Quant à la fantasy… ça a toujours été ça. Déjà quand j’étudiais l’histoire de l’art c’était ce que je préférais, et je trouve que c’est un genre qui se marie parfaitement avec chacun des arts que j’ai abordés. »

melissalive

Moralité ? Après Kula Shaker il y a quelques mois, nous rencontrons encore une artiste qui n’est pas forcément mécontente d’avoir retrouvé une indépendance financière allant de pair avec la liberté artistique. Sans surprise 2, on ne trouvera pas en Melissa Auf der Maur une de ces chanteuses pleurnichant sur la mort du marché du disque et le grand méchant Internet (qu’elle adore, et cela ne date pas d’hier). « Internet a tout changé… on peut faire ce qu’on veut, quand on veut – je peux sortir un album demain sur mon site si j’ai envie. Ç’a changé la façon dont je travaillais, en m’ouvrant plein de portes« . Sans édulcorer les années de vaches maigres et les moments de doutes, sans rien cacher de la difficulté de son parcours post-Capitol, elle jette un regard lucide et pertinent sur la situation actuelle, dans toute sa complexité. Il est vrai qu’elle sait de quoi elle parle. « Avant tout ça je ne connaissais absolument rien des détails du management ou du business, ce qui était assez commun chez les gens ayant travaillé dans le « vieux système », notamment celui des majors. Ça peut sembler ridicule mais dans les années 90 la plupart des artistes ne savaient pas du tout comment s’occuper de leurs affaires. » Lorsqu’on lui demande, repensant à ce que nous confiait son camarade Troy von Balthazar, avec qui elle tournait encore il y a peu, comment elle a réussi à traverser ces six années sans jeter l’éponge, elle se fend d’un sourire : « Il y a eu cinq fois je dirais, ces deux dernières années, où j’ai failli arrêter la musique tellement je détestais tout ça. Mais maintenant cette tournée… sept semaines, dix-sept pays, ça, c’est le Paradis pour moi. C’est tellement de magie que ça me donne de quoi combattre le découragement. C’est de ça que je vais me souvenir l’année prochaine quand je vais devoir trouver l’énergie de faire le prochain album, que je n’aurais pas de maison de disques… etc. » Car sans même s’arrêter, la machine est déjà prête à se remettre en branle. De quoi se prendre à espérer entendre un nouveau disque avant 2016. Ou pas. Les difficultés sont de taille, et si Melissa semble d’un enthousiasme magique, on devine à demi-mot que les six dernières années ont été sacrément ardues, ce qu’elle aura l’élégance de ne jamais dire. « Tu sais, je fais partie du petit pourcentage de gens qui sont très chanceux en musique. Si c’est pas facile pour moi, c’est comme impossible pour la plupart des musiciens. Mais je crois que maintenant les gens savent qu’il n’y a pas de réponse qui va tomber du ciel, ni de potion magique – ton succès tu dois le faire toi-même. » Et d’ajouter, d’un air entendu : « On revient à des choses plus réalistes. C’est un bon moment pour la musique. »


Out of Our Minds, de Melissa Auf der Maur (2010)




1. Faut-il les citer ? John Homme (et une grosse moitié des QOTSA), Mark Lanegan, Ryan Adams, Ric Ocasek… la liste est sans fin. 
2. Il y a dix ans, suite à une brouille avec leur futur ex-label, les Smashing Pumpkins avaient été parmi les premières têtes d’affiches à balancer un de leurs albums gratuitement sur le Net.