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S'en sortir. Échapper à soi-même et se réinventer, pour peut-être pouvoir continuer. Tous les artistes à succès se retrouvent à un moment ou un autre face à cette peur de l'emprisonnement, de la répétition, de l'autoparodie. Sarah Waters a beaucoup de succès. L'on peut donc supposer qu'elle a eu très peur.
Deux livres déjà qu'elle s'astreint à casser les habitudes, au risque que ses lecteurs les plus fidèles s'y perdent. C'est à la fois incroyablement courageux et un peu fou, car si l'on adore Sarah Waters, c'est tout de même pour des raisons précises. Quand on veut lire du Du Maurier, on lit du Du Maurier. On n'a pas besoin de Sarah Waters pour cela.
C'est dans les pas de cette immense Dame qu'a décidé de marcher la petite Sarah dans The Little Stranger. Celle-ci et quelques autres (Poe, Waugh, Scott Fitzgerald, Emily Brontë), qui sont autant de balises plantées ici ou là, ombres tutélaires autant que boulets que l'auteure se traîne sur près de cinq cents pages. Victime consentante, Waters a en effet fait le pari intenable de rédiger un roman totalement atmosphérique, elle qui autrefois tirait les ficelles du suspens avec génie, et jouait avec les codes narratifs avec virtuosité. Le résultat s'avère des plus déroutants pour ceux qui la suivent depuis ses débuts.
Dans The Little Stranger on trouve donc un vieux manoir aristocratique (Hundreds Hall), une ambiance mystérieuse aux confins du fantastique, un médecin arraché à sa modeste condition. Ce sera la seule concession faite à son glorieux passé que de conserver un soupçon de tension sociale, elle qui a toujours été, plus que d'autres, une auteure travaillée par la lutte des classes. Pour le reste, le narrateur est un homme et l'homosexualité est presque totalement absente du récit. C'est peut-être un détail pour vous ; pour quiconque a adulé les quatre premiers romans de Sarah Waters (au hasard : moi), cela constitue un choc violent. Après avoir laissé de côté l'Angleterre victorienne (une bonne initiative, somme toute), c'est un ultime abandon qui en laissera sans doute certains orphelins. D'autant que l'auteure de Tipping the Velvet a également renoncé à ce qui faisait la particularité technique de chacun de ses récits : The Little Stranger ne basculera pas en son milieu, ni même vers la fin. Il ne bascule jamais, suit une progression narrative extrêmement linéaire (et extrêmement lente). L'écriture, toujours aussi distinguée, revêt un côté presque méthodique : appliquée dans un exercice de singeries d'idoles parfois fascinant, Waters pose petit après petit caillou, bonne élève semblant s'être mise en tête que le meilleur moyen de surprendre était encore de ne pas le faire.
Ce ne serait rien si le récit tout entier ne semblait pas contaminé par la pesanteur de Hundreds Hall, si l'intrigue ne donnait pas le sentiment de manquer à ce point d'originalité. C'est comme si cherchant à contourner un piège, Waters était tombée dans un autre. A trop vouloir se réinventer, à trop vouloir éviter de se répéter, elle s'est acharnée à gommer quasiment tout ce qui faisait sa spécificité. Ne reste que son écriture, et un talent certain pour tisser des atmosphères. C'est suffisant pour en faire un livre intéressant, que l'on lit jusqu'au bout sans (trop) se lasser. Mais pas plus.
The Little Stranger [L'Indésirable], de Sarah Waters (2009)
A lire également : l'article d'INGANNMIC, qui pense quasiment l'inverse
S'en sortir. Échapper à soi-même et se réinventer, pour peut-être pouvoir continuer. Tous les artistes à succès se retrouvent à un moment ou un autre face à cette peur de l'emprisonnement, de la répétition, de l'autoparodie. Sarah Waters a beaucoup de succès. L'on peut donc supposer qu'elle a eu très peur.
Deux livres déjà qu'elle s'astreint à casser les habitudes, au risque que ses lecteurs les plus fidèles s'y perdent. C'est à la fois incroyablement courageux et un peu fou, car si l'on adore Sarah Waters, c'est tout de même pour des raisons précises. Quand on veut lire du Du Maurier, on lit du Du Maurier. On n'a pas besoin de Sarah Waters pour cela.
C'est dans les pas de cette immense Dame qu'a décidé de marcher la petite Sarah dans The Little Stranger. Celle-ci et quelques autres (Poe, Waugh, Scott Fitzgerald, Emily Brontë), qui sont autant de balises plantées ici ou là, ombres tutélaires autant que boulets que l'auteure se traîne sur près de cinq cents pages. Victime consentante, Waters a en effet fait le pari intenable de rédiger un roman totalement atmosphérique, elle qui autrefois tirait les ficelles du suspens avec génie, et jouait avec les codes narratifs avec virtuosité. Le résultat s'avère des plus déroutants pour ceux qui la suivent depuis ses débuts.
Dans The Little Stranger on trouve donc un vieux manoir aristocratique (Hundreds Hall), une ambiance mystérieuse aux confins du fantastique, un médecin arraché à sa modeste condition. Ce sera la seule concession faite à son glorieux passé que de conserver un soupçon de tension sociale, elle qui a toujours été, plus que d'autres, une auteure travaillée par la lutte des classes. Pour le reste, le narrateur est un homme et l'homosexualité est presque totalement absente du récit. C'est peut-être un détail pour vous ; pour quiconque a adulé les quatre premiers romans de Sarah Waters (au hasard : moi), cela constitue un choc violent. Après avoir laissé de côté l'Angleterre victorienne (une bonne initiative, somme toute), c'est un ultime abandon qui en laissera sans doute certains orphelins. D'autant que l'auteure de Tipping the Velvet a également renoncé à ce qui faisait la particularité technique de chacun de ses récits : The Little Stranger ne basculera pas en son milieu, ni même vers la fin. Il ne bascule jamais, suit une progression narrative extrêmement linéaire (et extrêmement lente). L'écriture, toujours aussi distinguée, revêt un côté presque méthodique : appliquée dans un exercice de singeries d'idoles parfois fascinant, Waters pose petit après petit caillou, bonne élève semblant s'être mise en tête que le meilleur moyen de surprendre était encore de ne pas le faire.
Ce ne serait rien si le récit tout entier ne semblait pas contaminé par la pesanteur de Hundreds Hall, si l'intrigue ne donnait pas le sentiment de manquer à ce point d'originalité. C'est comme si cherchant à contourner un piège, Waters était tombée dans un autre. A trop vouloir se réinventer, à trop vouloir éviter de se répéter, elle s'est acharnée à gommer quasiment tout ce qui faisait sa spécificité. Ne reste que son écriture, et un talent certain pour tisser des atmosphères. C'est suffisant pour en faire un livre intéressant, que l'on lit jusqu'au bout sans (trop) se lasser. Mais pas plus.
The Little Stranger [L'Indésirable], de Sarah Waters (2009)
A lire également : l'article d'INGANNMIC, qui pense quasiment l'inverse
Moi qui pensait que vous aimez les artistes qui évoluaient...
RépondreSupprimerJe vous charrie, mais il se trouve que j'ai beaucoup aimé ce roman.
Cependant, je comprends vos réserves.
BBB.
Moi qui "PENSAIS" que vous "AIMIEZ", excusez-moi. Je suis mal réveillé.
RépondreSupprimerY'a pas d'mal.
RépondreSupprimerEffectivement, pour une fois, nos avis divergent : j'avais été si peu emballée par Affinités que je n'ai rien relu de Waters avant celui-là...
RépondreSupprimerEn même temps, je comprends très bien ce que tu veux dire, c'est vrai que ce roman provoque un sentiment de déjà-vu. Mais je lui ai aussi trouvé un côté envoutant, presque hypnotique.
C'est tout à fait ce que j'aurais dit... à propos d'Affinités :-)
RépondreSupprimerComme quoi on ne sera vraiment pas d'accord sur ce coup ^^