...
Lennon a toujours été mon Beatle favori, mais je lui ai toujours préféré McCartney. Ne réglez pas votre mire – je vous explique : sur la seule période Beatles, John Lennon est clairement celui que je préfère. C’est un constat presque mathématique : 80… peut-être 90 % des mes chansons préférées des Fabs sont de lui. En revanche, dès que le groupe splitte et que commencent les carrières solo, Macca devient mon héros. De lui, j’aime tout ou presque jusqu’en 1980 (non parce qu’on ne le dit pas assez, mais Macca aussi, il est mort en 1980, très précisément le 16 mai). Je suis beaucoup plus circonspect concernant John, passés les deux chefs-d’œuvre inauguraux (Plastic Ono Band et Imagine) et si l’on excepte le majestueux (et mésestimé, mécompris, méprisé) Mind Games. La discographie post-Beatles du Paulo, non contente d’être une splendeur, témoigne d’une constance, d’une intelligence et d’une cohérence ne trouvant aucun équivalent dans la petite dizaine d’albums publiés par Lennon entre 1969 et sa mort. Et d’une certaine manière, c’est ce qui m’a toujours fasciné chez l’auteur des deux plus grandes chansons de tous les temps ("I Am the Walrus" et "Happiness Is a Warm Gun", bien sûr). Fasciné et agacé, car il va sans dire que si l’imperfection est séduisante pour tout apprenti rocker, on ne peut s’empêcher de vouloir que nos héros soient irréprochables – du moins artistiquement parlant.
Or Lennon ne l’est pas. La qualité de ses disques solo est très variable, et ses parti pris esthétiques sont souvent discutables. Il y a ce côté génie qui chute souvent (Some Time in New York étant tout de même, objectivement, d’une rare nullité) mais qui remonte toujours en selle, qui repart pour un tour de piste où il finira une fois de plus par chuter. Ce qui ne sera pas grave : il remontera, et ainsi de suite.
Dans le fond, il n’y a que très peu d’albums solo de Lennon qui puissent prétendre à la perfection. On trouvera ainsi sur Wall & Bridges des arrangements dont on dira pudiquement qu’ils sont « d’un goût douteux » (pudeur qu’on n’aura jamais pour aucune autre légende du rock, vous l’aurez peut-être noté). Sur Double Fantasy, les compos du déjà dinosaure sont d’un ringard consommé, parvenant à se faire coiffer au poteau par celles de Yoko (il fallait le faire). Écouter "(Just Like) Starting over" et "Watching the Wheels" ne peut être que souffrance pour n’importe quel fan des Fabs. D’ailleurs en y repensant, le simple fait qu’il ait pu s’en laisser remontrer par sa femme est déjà une imperfection dans la carapace du héros. Lequel, par définition, est seul. Lennon, lui, est pourvu de l’épouse la plus détestée de toute l’histoire du mariage. Comment peut-on à la fois vénérer Lennon et haïr Yoko, pourquoi l’inverse n’est-elle pas possible et surtout comment peut-on n’avoir jamais pu décemment tenir rigueur à John de s’être maqué avec celle qui est considérée comme la pire harpie de toute l’histoire de la musique ? Ma théorie vaut ce qu’elle vaut : de Lennon, on pouvait tout accepter. Parce qu’il était humain et imparfait, comme vous, comme moi. Comme tout le monde. Et parce qu’il était un bluesman.
On aurait tort de sous-estimer cet aspect en évoquant l’auteur de quelques uns des plus beaux blues de tous les temps (et notamment le sobrement – et merveilleusement nommé – "Yer Blues", probablement l’une des chansons les plus sexuellement transmissibles que vous puissiez jamais attraper dans votre vie). Il est pourtant bien plus bluesman que rocker, c’est pourquoi il serait injuste d’exiger de lui une perfection harmonique qui n’a pas lieu d’être. L’ironie a voulu qu’il contribue à révolutionner la pop avec les Beatles, mais lui-même n’était pas un compositeur pop révolutionnaire. Plutôt le genre de type, éminemment attachant, prenant sa guitare pour composer une mélodie primaire, et couchant dessus des paroles d’une simplicité déconcertante. Une amie me faisait remarquer récemment que Lennon a cette particularité de ne jamais raconter que sa vie au moment où il la vit, de dire ce qu’il pense au moment où il le pense, sans une once de second degré alors que l’individu est pourtant pourvu d’un solide humour noir. Il aime sa femme ? Il va écrire "Love". Elle s’appelle Yoko ? Allons-y pour "Yoko" ! En fait, ce sont les femmes en général, qu’il aime ? Ce sera donc "Woman". Même les titres des morceaux confinent à l’épure : "God". "Mother". "Remember". "Imagine". "Scared". "Intuition". "Dinde froide". "Personne ne t’aime". "Rêve N°9". "Mec jaloux". Écouter la discographie solo de Lennon a quelque chose d’incroyable en cela que l’on est frappé, sur chaque album, par la simplicité des mélodies, l’économie de mots et la spontanéité qui se dégage de l’ensemble. C’est encore plus vrai des récentes exhumations du coffret Signature Box, qu’il s’agisse du Double Fantasy (Stripped Down) ou des magnifiques Home Recordings. Il y a dans cette œuvre, toute inégale, toute insatisfaisante qu’elle puisse être, une quête de l’émotion la plus simple, la plus instantanée, la plus pure… donc la plus belle. Les albums solo de Lennon ne sont pas complexes, sinueux, difficiles à appréhender (surtout pas Mind Games, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire à quelqu’un le découvrant pour la première fois). Ils ont au contraire quelque chose d’évidences, une insoutenable légèreté. On pourra appeler cela « poésie rock’n'roll » ; j’appelle ça « idiome blues ». Cette sincérité, cette impudeur, parfois, tranchant à ce point avec le personnage public que l’on se surprend à supposer que Lennon, cet individu tonitruant, ironique, sarcastique… n’était qu’un rôle, et que c’était John, jeune homme sensible vénérant Chuck, Gene et Fats, qui enregistrait les albums. Le même gars qui avait composé, à 18 ans, "Hello Little Girl", cette première chanson incandescente qui contenait déjà tout le reste à l’état embryonnaire. « I send you flowers/But you don’t care/You never seem to see me ». Toujours cette immédiateté. Cette fulgurance.
Rien d’étonnant à ce que Lennon n’ait jamais sombré dans la boursuflure progressive ou l’ineptie art-rock, quand tant d’autres génies des sixties s’y sont vautrés. Rien d’étonnant, surtout, à ce qu’en dépit d’une œuvre parfois critiquable, pas toujours aussi inspirée qu’on l’aurait voulu, sa popularité non seulement soit demeurée intacte, mais encore ait explosé durant les seventies. L’auteur de l’immortelle "Working Class Hero" était le boy next door par excellence, le gars comme nous, mais en doué. Celui qui prenait les mots les plus banals ("I didn’t mean to hurt you/I’m sorry that I made you cry/I didn’t want to hurt you/I’m just a jealous guy") pour les changer en Beau. Celui qui convertissait le commun en classe ; la simplicité en pureté.
Lennon a toujours été mon Beatle favori, mais je lui ai toujours préféré McCartney. Ne réglez pas votre mire – je vous explique : sur la seule période Beatles, John Lennon est clairement celui que je préfère. C’est un constat presque mathématique : 80… peut-être 90 % des mes chansons préférées des Fabs sont de lui. En revanche, dès que le groupe splitte et que commencent les carrières solo, Macca devient mon héros. De lui, j’aime tout ou presque jusqu’en 1980 (non parce qu’on ne le dit pas assez, mais Macca aussi, il est mort en 1980, très précisément le 16 mai). Je suis beaucoup plus circonspect concernant John, passés les deux chefs-d’œuvre inauguraux (Plastic Ono Band et Imagine) et si l’on excepte le majestueux (et mésestimé, mécompris, méprisé) Mind Games. La discographie post-Beatles du Paulo, non contente d’être une splendeur, témoigne d’une constance, d’une intelligence et d’une cohérence ne trouvant aucun équivalent dans la petite dizaine d’albums publiés par Lennon entre 1969 et sa mort. Et d’une certaine manière, c’est ce qui m’a toujours fasciné chez l’auteur des deux plus grandes chansons de tous les temps ("I Am the Walrus" et "Happiness Is a Warm Gun", bien sûr). Fasciné et agacé, car il va sans dire que si l’imperfection est séduisante pour tout apprenti rocker, on ne peut s’empêcher de vouloir que nos héros soient irréprochables – du moins artistiquement parlant.
Or Lennon ne l’est pas. La qualité de ses disques solo est très variable, et ses parti pris esthétiques sont souvent discutables. Il y a ce côté génie qui chute souvent (Some Time in New York étant tout de même, objectivement, d’une rare nullité) mais qui remonte toujours en selle, qui repart pour un tour de piste où il finira une fois de plus par chuter. Ce qui ne sera pas grave : il remontera, et ainsi de suite.
Dans le fond, il n’y a que très peu d’albums solo de Lennon qui puissent prétendre à la perfection. On trouvera ainsi sur Wall & Bridges des arrangements dont on dira pudiquement qu’ils sont « d’un goût douteux » (pudeur qu’on n’aura jamais pour aucune autre légende du rock, vous l’aurez peut-être noté). Sur Double Fantasy, les compos du déjà dinosaure sont d’un ringard consommé, parvenant à se faire coiffer au poteau par celles de Yoko (il fallait le faire). Écouter "(Just Like) Starting over" et "Watching the Wheels" ne peut être que souffrance pour n’importe quel fan des Fabs. D’ailleurs en y repensant, le simple fait qu’il ait pu s’en laisser remontrer par sa femme est déjà une imperfection dans la carapace du héros. Lequel, par définition, est seul. Lennon, lui, est pourvu de l’épouse la plus détestée de toute l’histoire du mariage. Comment peut-on à la fois vénérer Lennon et haïr Yoko, pourquoi l’inverse n’est-elle pas possible et surtout comment peut-on n’avoir jamais pu décemment tenir rigueur à John de s’être maqué avec celle qui est considérée comme la pire harpie de toute l’histoire de la musique ? Ma théorie vaut ce qu’elle vaut : de Lennon, on pouvait tout accepter. Parce qu’il était humain et imparfait, comme vous, comme moi. Comme tout le monde. Et parce qu’il était un bluesman.
On aurait tort de sous-estimer cet aspect en évoquant l’auteur de quelques uns des plus beaux blues de tous les temps (et notamment le sobrement – et merveilleusement nommé – "Yer Blues", probablement l’une des chansons les plus sexuellement transmissibles que vous puissiez jamais attraper dans votre vie). Il est pourtant bien plus bluesman que rocker, c’est pourquoi il serait injuste d’exiger de lui une perfection harmonique qui n’a pas lieu d’être. L’ironie a voulu qu’il contribue à révolutionner la pop avec les Beatles, mais lui-même n’était pas un compositeur pop révolutionnaire. Plutôt le genre de type, éminemment attachant, prenant sa guitare pour composer une mélodie primaire, et couchant dessus des paroles d’une simplicité déconcertante. Une amie me faisait remarquer récemment que Lennon a cette particularité de ne jamais raconter que sa vie au moment où il la vit, de dire ce qu’il pense au moment où il le pense, sans une once de second degré alors que l’individu est pourtant pourvu d’un solide humour noir. Il aime sa femme ? Il va écrire "Love". Elle s’appelle Yoko ? Allons-y pour "Yoko" ! En fait, ce sont les femmes en général, qu’il aime ? Ce sera donc "Woman". Même les titres des morceaux confinent à l’épure : "God". "Mother". "Remember". "Imagine". "Scared". "Intuition". "Dinde froide". "Personne ne t’aime". "Rêve N°9". "Mec jaloux". Écouter la discographie solo de Lennon a quelque chose d’incroyable en cela que l’on est frappé, sur chaque album, par la simplicité des mélodies, l’économie de mots et la spontanéité qui se dégage de l’ensemble. C’est encore plus vrai des récentes exhumations du coffret Signature Box, qu’il s’agisse du Double Fantasy (Stripped Down) ou des magnifiques Home Recordings. Il y a dans cette œuvre, toute inégale, toute insatisfaisante qu’elle puisse être, une quête de l’émotion la plus simple, la plus instantanée, la plus pure… donc la plus belle. Les albums solo de Lennon ne sont pas complexes, sinueux, difficiles à appréhender (surtout pas Mind Games, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire à quelqu’un le découvrant pour la première fois). Ils ont au contraire quelque chose d’évidences, une insoutenable légèreté. On pourra appeler cela « poésie rock’n'roll » ; j’appelle ça « idiome blues ». Cette sincérité, cette impudeur, parfois, tranchant à ce point avec le personnage public que l’on se surprend à supposer que Lennon, cet individu tonitruant, ironique, sarcastique… n’était qu’un rôle, et que c’était John, jeune homme sensible vénérant Chuck, Gene et Fats, qui enregistrait les albums. Le même gars qui avait composé, à 18 ans, "Hello Little Girl", cette première chanson incandescente qui contenait déjà tout le reste à l’état embryonnaire. « I send you flowers/But you don’t care/You never seem to see me ». Toujours cette immédiateté. Cette fulgurance.
Rien d’étonnant à ce que Lennon n’ait jamais sombré dans la boursuflure progressive ou l’ineptie art-rock, quand tant d’autres génies des sixties s’y sont vautrés. Rien d’étonnant, surtout, à ce qu’en dépit d’une œuvre parfois critiquable, pas toujours aussi inspirée qu’on l’aurait voulu, sa popularité non seulement soit demeurée intacte, mais encore ait explosé durant les seventies. L’auteur de l’immortelle "Working Class Hero" était le boy next door par excellence, le gars comme nous, mais en doué. Celui qui prenait les mots les plus banals ("I didn’t mean to hurt you/I’m sorry that I made you cry/I didn’t want to hurt you/I’m just a jealous guy") pour les changer en Beau. Celui qui convertissait le commun en classe ; la simplicité en pureté.
Texte réalisé pour Interlignage.fr à l'occasion des 30 ans de la mort de John Lennon.
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