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Commençons par répondre à la question que tous nos lecteurs (et probablement une bonne partie de ceux de la concurrence) ne peuvent s'empêcher de se poser : oui, mon dos a tenu le coup. Mon pauvre dos meurtri, usé, régulièrement coincé depuis un mois (je ne vous refais pas tout le truc, vous lisez j'imagine la presse pipole) n'a pas craqué, ce qui était loin d'être gagné au départ. C'est qu'hier soir, du côté des Mains d'œuvre (ou du, je ne sais jamais), il y avait le grand concours annuel des bêtes de scène. Et cette année dans l'arène, le match était relevé entre Cheveu, sans le moindre doute l'un des meilleurs groupes live actuellement dans le championnat européen, et Heavy Trash, stars de la conférence US emmenées par Jon Spencer (dont Bêtedescène est le second prénom). Autant vous dire que dans un tel contexte ce n'est que d'une oreille distraite que l'on a écouté les autres groupes, Eldia mis à part (mais leur musique tenait en un mot : « sans intérêt ») (pardon, ça fait deux mots... on la refait : "mais leur musique tenait en un mot : insipide") (je sais, c'est méchant, mais quand on a mal au dos et qu'en plus on a arrêté de fumer, on n'est pas forcément dans les bonnes conditions pour écouter ce genre de groupe, sans look, sans charisme, sans chansons et sans présence scénique... bref de la pop-rock de foyers socio-éducatifs).
Après la mise en jambes (enfin, en dos), donc, Cheveu attaque, vite, fort et tout en fureur. On en attendait pas moins de leur part, et si le trio aura pu paraître un brin en-dedans par rapport au concert vu au même endroit l'an passé, Cheveu aura toutefois fait du Cheveu, donc un show quelque part entre Fun House et une crise d'épilepsie. Rappelons pour ceux qui l'ignoreraient qu'un show de Cheveu suit en général deux axes précis et distincts : raconter des trucs que personne ne comprend sur des nappes de sons tellement moulinés que personne ne les entend. Le tout en sautant partout, éructant, et faisant peur aux mamans présentes dans la salle. Oui parce que dans le cadre du sympathique Festival Mo' Fo', il y a quelques mamans dans la salle, quoique pas longtemps - la musique de Cheveu pour géniale qu'elle soit a une fâcheuse tendance à totalement évider l'auditeur au bout de la première demi-heure. De fait, la première partie du set nous aura transformé en robots headbangueurs, quand la seconde nous aura vus tenter, hagards, d'atteindre le bar. Cheveu, ou l'Apocalypse version lo/fi.
La barre est placée haut, mais soyons honnêtes : il faudra encore quelques années à David Lemoine, géant devant autant à Jésus qu'à Rain Man, pour rivaliser avec Jon Spencer. Véritable roi du rock'n'roll, ce dernier a une fois encore mis le feu, ce qui n'est jamais que le minimum syndical lorsque le Lord du rock'n'roll New Yorkais se déplace quelque part.
Sacré personnage tout de même que ce Spencer, qui traîne dans le circuit depuis presque trente ans sans qu'on soit jamais tout à fait parvenu à le cerner. On l'avait vu des dizaines de fois avec le Blues Explosion, jamais avec Heavy Trash, et la manière dont il se réincarne pour l'occasion en icône rockab', prêcheur sudiste le diable au corps... il y a de quoi être soufflé. Théâtral, branleur, irritant, gueulard, marrant, baratineur... le Spencer de Heavy Trash se place parfois aux antipodes de celui du Blues Explosion, dans une véritable performance d'acteur où tout, du look à la gestuelle en passant par l'accent même du gaillard... TOUT, donc, semble être fait pour bâtir un univers et un groupe à parts entières. C'est très étonnant, et bien entendu épatant de groove, de classe et de morgue. Spencer a une telle présence et dégage une telle énergie qu'il est de toute façon l'un des rares artistes que l'on adore de la même manière sur scène, que l'on connaisse son œuvre par cœur ou pas du tout. Ça danse, ça braille, ça n'en finit plus... que dire de plus ? Si vous n'avez jamais vu une foule électrisée, on vous recommande chaleureusement d'assister à un concert du Heavy Trash au moins une fois dans votre vie...