...
Adam Ficek n’en a pas l’air comme ça, avec son look de gendre idéal et son sourire charmeur, mais c’est un homme en colère. On aurait tort, parce que les albums de Roses Kings Castles évoluent dans un registre très pop, très intimiste et volontiers twee, de le prendre pour un jeune gars romantique et rêveur. Il ne faut pas moins de quelques minutes pour déceler en lui un interlocuteur intelligent, vif et particulièrement lucide. Et, donc, en colère.
Pour être exact, l’ex-batteur des Babyshambles est remonté comme un coucou contre un système au sein duquel, comme beaucoup d’autres, il tente de subsister. La proverbiale crise du disque, lui, il se l’est prise de plein fouet. Et on sent bien, derrière ses manières de gentleman et son extrême politesse, qu’il a un peu de mal à l’encaisser. « Ça fait plaisir de voir un magasin de disques qui marche. En Angleterre ça n’existe quasiment plus », déclare-t-il en jetant un regard circulaire au Gibert Joseph où nous nous sommes donné rendez-vous. On le rassure-toi tout de suite : on reste dans l’exceptionnel, en France le disquaire est une espèce en voie de disparition – bien plus encore que chez lui. Il soupire : « De toute façon plus personne n’a rien à faire de la musique de nos jours. Enfin. Si, bien sûr, mais les gens ne lui accordent plus le moindre prix. »
Et ainsi de suite. Voyant traîner le dernier Monster CD, voici qu’il nous demande le plus sérieusement du monde combien cela coûte, à notre avis, de figurer sur une telle compile. Et d’enchaîner en nous racontant qu’en Angleterre, la moindre petite review est payante, et qu’il pensait que c’était pareil en France (ce dont avouons-le nous n’avons pas la moindre idée – à notre décharge la profusion d’excellents sites musicaux nous laissent très peu de temps pour feuilleter Rock & Folk et consorts). Mais qu’est-il donc arrivé à Adam Ficek, si enthousiaste la dernière fois qu’on l’avait croisé, à l’occasion d’un de ses tous premiers concerts à Paris ? La vie, ma p’tite dame. Et la vache enragée, qui se digère plus ou moins bien selon les estomacs. « Parfois je me sens très mélancolique quand je pense à l’industrie du disque anglaise. Je crois que ça me frustre vraiment. Quand j’étais plus jeune, j’avais encore des illusions sur le sujet mais plus le groupe dans lequel je jouais était important plus je constatais que tout ça, c’est de la merde. Quand tu réalises que les groupes paient pour avoir de bonnes chroniques dans la presse musicale… ça relativise quand même pas mal de choses. Pour Roses Kings Castles je voulais juste revenir à quelque chose de plus simple… faire juste des chansons. Et puis j’ai été forcé de rentrer dans le jeu du marketing, de la pub, d’entrer en contact avec des distributeurs. Mais quand on voit tout ça, quand on voit les agents, tous ces parasites qui gravitent autour de nous et qui n’en ont rien à foutre de l’art… c’est difficile de se retrouver au milieu. Mais amusant, aussi, parfois. »
Ces considérations désabusées pourraient le rendre un brin antipathique. C’est exactement l’inverse qui se produit : sa mélancolie se fait communicative. Adam semble avoir atteint un tel degré d’amertume que même son nom de scène (« Il ressemble moins à la musique que je joue aujourd’hui…» ) ou ses vieilles chansons en prennent pour leur grade, qu’il juge lassantes, trop molles et plus vraiment conformes à son état d’esprit. Tu m’étonnes ! On veut bien croire en effet que des bluettes comme "Horses" (qu’il parodie avec un certain humour) ou "Sparkling Bootz", aussi adorables soient-elles, ne correspondent plus tellement à l’humeur d’un homme semblant en quelques années s’être considérablement endurci. Suffisamment pour faire péter une barre d’immeuble sur la pochette de son dernier opus, intitulé fort à propos Suburban Timebombs. Un disque particulièrement réussi, bien plus riche qu’il y paraît de prime abord et, effectivement, plus punchy – sans toutefois complètement rompre après le style léger et mélodique du précédent. La rupture, promis jurée, sera pour le prochain. Et le prochain, promis juré aussi, sera pour bientôt. « J’ ai déjà vingt-cinq chansons. Dès que je suis prêt, je vais en studio. A moins d’être un sur gros label ça ne vaut vraiment pas la peine d’attendre deux ou trois ans pour sortir dix chansons. Beaucoup de musiciens se comportent de manière un peu puérile. Il y a tout le marketing à assurer… c’est assez ennuyeux. Avec Babyshambles, on gagnait pas mal d’argent et c’était super. Mais on jouait aussi tout le temps les mêmes chansons. Dans la dernière année que j’ai passée avec eux, on reprenait toujours les mêmes vieux titres et j’en avais vraiment marre. Un musicien doit jouer pour le public bien sûr, mais au final si ça m’ennuie de jouer ces chansons, pourquoi je devrais le faire ? Je me revois encore commencer certains morceaux sans même les finir… Bien sûr si les gens en réclament un, je vais le jouer, mais spontanément je n’y pense pas forcément. »
Babyshambles, justement, lui a servi plus ou moins volontairement de tremplin. Une bonne manière d’arrondir ses fins de mois et de financer sa carrière, en attendant une meilleure fortune. Pendant quelques années, Adam la joue schizophrène, alternant concerts dans des festivals ou des salles immenses avec ses petits shows solo intimistes, souvent devant une poignée de fans hardcore vénérant Pete Doherty à travers lui. On se souvient de cette première fois où on l’avait aperçu au Pop In, il y a un peu plus de deux ans, au milieu d’une foule d’ados déguisés en bébés Pete (ou bébés… brunes, ce qui revient au même). De ce sentiment que nous étions les seuls, dans la salle, avec quelques inconditionnels peut-être, à apprécier les comptines de Roses Kings Castles à leur juste valeur… voire tout simplement à réellement être venus pour les entendre. Sans doute est-ce ce qui arrive lorsque l’on n’est « que » le batteur du mec là, devant, qui tient le micro. Lorsque l’on se change malgré en soi « objet médiatique », pour reprendre les mots d’Adam, qui parle de l’attention des médias, des attentes du public, de cette pression incroyable et permanente. Jusqu’au jour où la période schizophrène s’est achevée : Adam s’est retrouvé saqué du groupe du jour au lendemain, ce dont il a quasiment été le dernier informé (souvenir d’une journée de flood assez surréaliste sur Facebook). Subitement, voilà Roses Kings Castles qui repart pour un second album, cette fois-ci dépourvu du label « vu chez Pete Doherty ». Ce qui on l’imagine a autant de bons côtés que de mauvais. « C’est quasiment comme de repartir de zéro. J’avoue que c’est assez dur pour l’ego… tu te retrouves à voyager à tes frais, à faire des concerts tout seul… parfois le public répond présent… parfois non et tu as fait le voyage pour rien. C’est pour cette raison que je ne travaille pas vraiment avec un groupe fixe, je n’aurais pas les moyens de le payer. » Comme n’importe qui à sa place, il en vient à se demander parfois si ça vaut le coup. « J’arrive aujourd’hui à un stade où je me demande vraiment à quoi bon. Je ressens beaucoup de frustration, de négativité, même… Je le fais parce que je pense que j’en ai besoin. Mais c’est difficile. Je ne sais pas si je continuerai parce que ça me coûte beaucoup d’argent de voyager dans le monde entier. C’est bizarre parce que quand je voyage pour faire le DJ, je suis très bien payé alors que dès qu’il s’agit d’une formation avec des instruments, de quelqu’un qui fait des chansons, c’est l’inverse. Pourtant, ça demande beaucoup d’énergie d’écrire et de jouer ses chansons sur scène. Il faut vraiment aimer ça pour vivre avec un tel choix, je crois. »
Et de toute évidence, il n’a pas prévu de changer son fusil d’épaule dans l’immédiat. Il escompte même publier son troisième disque dès l’été. Un truc très branché guitare, nettement plus agressif – « parce que je me sens vraiment en colère en ce moment. » Et pas question de perdre du temps à attendre pour le principe, comme il l’a fait plus ou moins volontairement pour les deux autres opus, chacun terminé près de deux ans avant sa sortie officielle. « Attendre ? Attendre quoi ? Qu’il y ait des tas d’articles sur moi dans la presse ? Je ne vois pas l’intérêt, et cela pourrait bien ne jamais arriver. Les chansons sont prêtes de toute façon. Je peux même te dire que l’album s’appellera probablement Kitten Become Cats. » Titre programmatique s’il en est : on n’en pas encore aux loups, mais on a déjà oublié les mignonneries. Avis aux amateurs : le garçon cherche un label en France. Et vue la qualité de ses albums, il serait dommage de s’en priver.
Dernier album, Suburban Timebombs (Autoprod, 2010)
Adam Ficek n’en a pas l’air comme ça, avec son look de gendre idéal et son sourire charmeur, mais c’est un homme en colère. On aurait tort, parce que les albums de Roses Kings Castles évoluent dans un registre très pop, très intimiste et volontiers twee, de le prendre pour un jeune gars romantique et rêveur. Il ne faut pas moins de quelques minutes pour déceler en lui un interlocuteur intelligent, vif et particulièrement lucide. Et, donc, en colère.
Pour être exact, l’ex-batteur des Babyshambles est remonté comme un coucou contre un système au sein duquel, comme beaucoup d’autres, il tente de subsister. La proverbiale crise du disque, lui, il se l’est prise de plein fouet. Et on sent bien, derrière ses manières de gentleman et son extrême politesse, qu’il a un peu de mal à l’encaisser. « Ça fait plaisir de voir un magasin de disques qui marche. En Angleterre ça n’existe quasiment plus », déclare-t-il en jetant un regard circulaire au Gibert Joseph où nous nous sommes donné rendez-vous. On le rassure-toi tout de suite : on reste dans l’exceptionnel, en France le disquaire est une espèce en voie de disparition – bien plus encore que chez lui. Il soupire : « De toute façon plus personne n’a rien à faire de la musique de nos jours. Enfin. Si, bien sûr, mais les gens ne lui accordent plus le moindre prix. »
Et ainsi de suite. Voyant traîner le dernier Monster CD, voici qu’il nous demande le plus sérieusement du monde combien cela coûte, à notre avis, de figurer sur une telle compile. Et d’enchaîner en nous racontant qu’en Angleterre, la moindre petite review est payante, et qu’il pensait que c’était pareil en France (ce dont avouons-le nous n’avons pas la moindre idée – à notre décharge la profusion d’excellents sites musicaux nous laissent très peu de temps pour feuilleter Rock & Folk et consorts). Mais qu’est-il donc arrivé à Adam Ficek, si enthousiaste la dernière fois qu’on l’avait croisé, à l’occasion d’un de ses tous premiers concerts à Paris ? La vie, ma p’tite dame. Et la vache enragée, qui se digère plus ou moins bien selon les estomacs. « Parfois je me sens très mélancolique quand je pense à l’industrie du disque anglaise. Je crois que ça me frustre vraiment. Quand j’étais plus jeune, j’avais encore des illusions sur le sujet mais plus le groupe dans lequel je jouais était important plus je constatais que tout ça, c’est de la merde. Quand tu réalises que les groupes paient pour avoir de bonnes chroniques dans la presse musicale… ça relativise quand même pas mal de choses. Pour Roses Kings Castles je voulais juste revenir à quelque chose de plus simple… faire juste des chansons. Et puis j’ai été forcé de rentrer dans le jeu du marketing, de la pub, d’entrer en contact avec des distributeurs. Mais quand on voit tout ça, quand on voit les agents, tous ces parasites qui gravitent autour de nous et qui n’en ont rien à foutre de l’art… c’est difficile de se retrouver au milieu. Mais amusant, aussi, parfois. »
Ces considérations désabusées pourraient le rendre un brin antipathique. C’est exactement l’inverse qui se produit : sa mélancolie se fait communicative. Adam semble avoir atteint un tel degré d’amertume que même son nom de scène (« Il ressemble moins à la musique que je joue aujourd’hui…» ) ou ses vieilles chansons en prennent pour leur grade, qu’il juge lassantes, trop molles et plus vraiment conformes à son état d’esprit. Tu m’étonnes ! On veut bien croire en effet que des bluettes comme "Horses" (qu’il parodie avec un certain humour) ou "Sparkling Bootz", aussi adorables soient-elles, ne correspondent plus tellement à l’humeur d’un homme semblant en quelques années s’être considérablement endurci. Suffisamment pour faire péter une barre d’immeuble sur la pochette de son dernier opus, intitulé fort à propos Suburban Timebombs. Un disque particulièrement réussi, bien plus riche qu’il y paraît de prime abord et, effectivement, plus punchy – sans toutefois complètement rompre après le style léger et mélodique du précédent. La rupture, promis jurée, sera pour le prochain. Et le prochain, promis juré aussi, sera pour bientôt. « J’ ai déjà vingt-cinq chansons. Dès que je suis prêt, je vais en studio. A moins d’être un sur gros label ça ne vaut vraiment pas la peine d’attendre deux ou trois ans pour sortir dix chansons. Beaucoup de musiciens se comportent de manière un peu puérile. Il y a tout le marketing à assurer… c’est assez ennuyeux. Avec Babyshambles, on gagnait pas mal d’argent et c’était super. Mais on jouait aussi tout le temps les mêmes chansons. Dans la dernière année que j’ai passée avec eux, on reprenait toujours les mêmes vieux titres et j’en avais vraiment marre. Un musicien doit jouer pour le public bien sûr, mais au final si ça m’ennuie de jouer ces chansons, pourquoi je devrais le faire ? Je me revois encore commencer certains morceaux sans même les finir… Bien sûr si les gens en réclament un, je vais le jouer, mais spontanément je n’y pense pas forcément. »
Babyshambles, justement, lui a servi plus ou moins volontairement de tremplin. Une bonne manière d’arrondir ses fins de mois et de financer sa carrière, en attendant une meilleure fortune. Pendant quelques années, Adam la joue schizophrène, alternant concerts dans des festivals ou des salles immenses avec ses petits shows solo intimistes, souvent devant une poignée de fans hardcore vénérant Pete Doherty à travers lui. On se souvient de cette première fois où on l’avait aperçu au Pop In, il y a un peu plus de deux ans, au milieu d’une foule d’ados déguisés en bébés Pete (ou bébés… brunes, ce qui revient au même). De ce sentiment que nous étions les seuls, dans la salle, avec quelques inconditionnels peut-être, à apprécier les comptines de Roses Kings Castles à leur juste valeur… voire tout simplement à réellement être venus pour les entendre. Sans doute est-ce ce qui arrive lorsque l’on n’est « que » le batteur du mec là, devant, qui tient le micro. Lorsque l’on se change malgré en soi « objet médiatique », pour reprendre les mots d’Adam, qui parle de l’attention des médias, des attentes du public, de cette pression incroyable et permanente. Jusqu’au jour où la période schizophrène s’est achevée : Adam s’est retrouvé saqué du groupe du jour au lendemain, ce dont il a quasiment été le dernier informé (souvenir d’une journée de flood assez surréaliste sur Facebook). Subitement, voilà Roses Kings Castles qui repart pour un second album, cette fois-ci dépourvu du label « vu chez Pete Doherty ». Ce qui on l’imagine a autant de bons côtés que de mauvais. « C’est quasiment comme de repartir de zéro. J’avoue que c’est assez dur pour l’ego… tu te retrouves à voyager à tes frais, à faire des concerts tout seul… parfois le public répond présent… parfois non et tu as fait le voyage pour rien. C’est pour cette raison que je ne travaille pas vraiment avec un groupe fixe, je n’aurais pas les moyens de le payer. » Comme n’importe qui à sa place, il en vient à se demander parfois si ça vaut le coup. « J’arrive aujourd’hui à un stade où je me demande vraiment à quoi bon. Je ressens beaucoup de frustration, de négativité, même… Je le fais parce que je pense que j’en ai besoin. Mais c’est difficile. Je ne sais pas si je continuerai parce que ça me coûte beaucoup d’argent de voyager dans le monde entier. C’est bizarre parce que quand je voyage pour faire le DJ, je suis très bien payé alors que dès qu’il s’agit d’une formation avec des instruments, de quelqu’un qui fait des chansons, c’est l’inverse. Pourtant, ça demande beaucoup d’énergie d’écrire et de jouer ses chansons sur scène. Il faut vraiment aimer ça pour vivre avec un tel choix, je crois. »
Et de toute évidence, il n’a pas prévu de changer son fusil d’épaule dans l’immédiat. Il escompte même publier son troisième disque dès l’été. Un truc très branché guitare, nettement plus agressif – « parce que je me sens vraiment en colère en ce moment. » Et pas question de perdre du temps à attendre pour le principe, comme il l’a fait plus ou moins volontairement pour les deux autres opus, chacun terminé près de deux ans avant sa sortie officielle. « Attendre ? Attendre quoi ? Qu’il y ait des tas d’articles sur moi dans la presse ? Je ne vois pas l’intérêt, et cela pourrait bien ne jamais arriver. Les chansons sont prêtes de toute façon. Je peux même te dire que l’album s’appellera probablement Kitten Become Cats. » Titre programmatique s’il en est : on n’en pas encore aux loups, mais on a déjà oublié les mignonneries. Avis aux amateurs : le garçon cherche un label en France. Et vue la qualité de ses albums, il serait dommage de s’en priver.
Dernier album, Suburban Timebombs (Autoprod, 2010)