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C'est une histoire ordinairement poignante, magnifiquement banale, et c'est paradoxalement ce qui la rend terriblement attachante. Dans le fond, on la connaît tous déjà, cette histoire : celle d'un petit groupe de rock qui s'embarque pour la gloire, ne jouera finalement qu'en seconde division, mais connaîtra suffisamment le succès et la solitude pour être bouffé par eux. Il s'appelle okay - en italiques et minuscules, on insiste - mais pourrait s'appeler n'importe comment, ce n'est jamais que l'histoire du rock elle-même que Toby Litt, auteur étrange et électique dont on avait déjà parlé dans ces pages, décortique avec un souci maniaque du détail. Une histoire du rock qui s'écrirait - s'est-elle jamais écrite autrement ? - dans les notes de bas de pages, les chambres d'hôtels, les rades sordides où des groupes mi-courageux mi-fous exécutent des concerts bruyants devant un public n'en ayant rien à foutre.
I Play the Drums in a Band Called okay, dont le seul titre dit déjà tout, suinte d'une passion sincère pour le rock et ses apôtres. C'est le minimul syndical, qui manque pourtant à beaucoup de cette littérature prétendument rock'n'roll dont les éditeurs nous abreuvent à longueur d'années et que les lecteurs achètent sans réfléchir, comme si "rock" était en soi un label de qualité. Et comme la passion confine souvent au mimétisme, il faut reconnaître que Litt n'évite pas toujours les clichés ou les situations convenues (précisons-le toutefois, convenues elles le sont, mais moins parce que la littérature en regorge que parce que le fan de rock est aussi friands de ce genre d'anecdotes). Pour autant, il contourne bien des écueils, peut-être parce qu'il choisit d'emblée de s'inscrire dans un registre mélancolique. Le narrateur, batteur d'okay n'ayant jamais souffert de la célébrité puisqu'invisible aux yeux du plus gros du public, est avant tout un brave type ordinaire, quadragénaire parlant plus souvent comme un ado blessé que comme un ancien combattant. Comment le groupe a grandi et comment il est mort, comment l'amitié s'est changée en promiscuité et le talent en capital, il dit tout avec une telle simplicité que l'exercice de pastiche tourne court : en vrai, aucun ex-membre d'un groupe culte ne s'ouvrirait de manière aussi directe et poignante ; les amateurs d'autobiographie de rockers le savent, le meilleur est généralement entre les lignes, dans ce que le récit dit de son époque ou de son univers plutôt que dans le récit lui-même. Les efforts de Litt pour faire passer son roman pour une véritable confession d'une véritable ex-(semi)rock-star repentie sont admirables - ils sont aussi complètement en vain. Paradoxalement, c'est plutôt une qualité.
Parce que cet échec s'assortit d'une victoire de l'auteur, qui parvient avec un talent certain à ne jamais sacrifier la narration sur l'autel des colifichets. I Play the Drums... utilise les clichés plus qu'il ne se vaute dedans, évite de nombreux pièges (scènes "imposées", name-dropping débile (pléonasme)), et signe finalement et avant-tout le portrait attachant d'un loser ordinaire devenu célèbre presque malgré lui, pas spécialement fait pour être star mais de toute façon pas fait pour ce monde. Une fois de plus, il n'y a rien ici de très surprenant. I Play the Drums... est un bon livre rock en cela qu'il ne cherche jamais à être plus que ce qu'il raconte, ni Litt à péter plus haut que son cul. Il est là, il fait le taf, il repart avec. Style sobre, parlé juste ce qu'il faut, construction par ellipses. En somme, presque l'inverse du Deadkidsongs susnommé. Mais c'est tout aussi bon.
I Play the Drums in a Band Called okay [Mélancolie du rocker], de Toby Litt (2008)
C'est une histoire ordinairement poignante, magnifiquement banale, et c'est paradoxalement ce qui la rend terriblement attachante. Dans le fond, on la connaît tous déjà, cette histoire : celle d'un petit groupe de rock qui s'embarque pour la gloire, ne jouera finalement qu'en seconde division, mais connaîtra suffisamment le succès et la solitude pour être bouffé par eux. Il s'appelle okay - en italiques et minuscules, on insiste - mais pourrait s'appeler n'importe comment, ce n'est jamais que l'histoire du rock elle-même que Toby Litt, auteur étrange et électique dont on avait déjà parlé dans ces pages, décortique avec un souci maniaque du détail. Une histoire du rock qui s'écrirait - s'est-elle jamais écrite autrement ? - dans les notes de bas de pages, les chambres d'hôtels, les rades sordides où des groupes mi-courageux mi-fous exécutent des concerts bruyants devant un public n'en ayant rien à foutre.
I Play the Drums in a Band Called okay, dont le seul titre dit déjà tout, suinte d'une passion sincère pour le rock et ses apôtres. C'est le minimul syndical, qui manque pourtant à beaucoup de cette littérature prétendument rock'n'roll dont les éditeurs nous abreuvent à longueur d'années et que les lecteurs achètent sans réfléchir, comme si "rock" était en soi un label de qualité. Et comme la passion confine souvent au mimétisme, il faut reconnaître que Litt n'évite pas toujours les clichés ou les situations convenues (précisons-le toutefois, convenues elles le sont, mais moins parce que la littérature en regorge que parce que le fan de rock est aussi friands de ce genre d'anecdotes). Pour autant, il contourne bien des écueils, peut-être parce qu'il choisit d'emblée de s'inscrire dans un registre mélancolique. Le narrateur, batteur d'okay n'ayant jamais souffert de la célébrité puisqu'invisible aux yeux du plus gros du public, est avant tout un brave type ordinaire, quadragénaire parlant plus souvent comme un ado blessé que comme un ancien combattant. Comment le groupe a grandi et comment il est mort, comment l'amitié s'est changée en promiscuité et le talent en capital, il dit tout avec une telle simplicité que l'exercice de pastiche tourne court : en vrai, aucun ex-membre d'un groupe culte ne s'ouvrirait de manière aussi directe et poignante ; les amateurs d'autobiographie de rockers le savent, le meilleur est généralement entre les lignes, dans ce que le récit dit de son époque ou de son univers plutôt que dans le récit lui-même. Les efforts de Litt pour faire passer son roman pour une véritable confession d'une véritable ex-(semi)rock-star repentie sont admirables - ils sont aussi complètement en vain. Paradoxalement, c'est plutôt une qualité.
Parce que cet échec s'assortit d'une victoire de l'auteur, qui parvient avec un talent certain à ne jamais sacrifier la narration sur l'autel des colifichets. I Play the Drums... utilise les clichés plus qu'il ne se vaute dedans, évite de nombreux pièges (scènes "imposées", name-dropping débile (pléonasme)), et signe finalement et avant-tout le portrait attachant d'un loser ordinaire devenu célèbre presque malgré lui, pas spécialement fait pour être star mais de toute façon pas fait pour ce monde. Une fois de plus, il n'y a rien ici de très surprenant. I Play the Drums... est un bon livre rock en cela qu'il ne cherche jamais à être plus que ce qu'il raconte, ni Litt à péter plus haut que son cul. Il est là, il fait le taf, il repart avec. Style sobre, parlé juste ce qu'il faut, construction par ellipses. En somme, presque l'inverse du Deadkidsongs susnommé. Mais c'est tout aussi bon.
I Play the Drums in a Band Called okay [Mélancolie du rocker], de Toby Litt (2008)
C'est un thème intéressant, et si en plus le livre est réussi, je vais probablement l'acquérir...
RépondreSupprimerJe viens de voir que le livre était sorti en France sous le titre "Mélancolie du rocker", qui est beaucoup plus plat (à mon avis), induisant quelque chose de l'ordre du sentiment qui n'est pas dans le titre original.
RépondreSupprimerEn tout cas, tu m'as donné envie avec "I Play the Drums... est un bon livre rock en cela qu'il ne cherche jamais à être plus que ce qu'il raconte, ni Litt à péter plus haut que son cul" (le reste de l'article aussi, hein !).
Donc, si je comprends bien, cette histoire ressemble à des centaines de vraies histoires, de vrais groupes ?
RépondreSupprimerMais alors quel intérêt de faire une fiction ?
Merci Fabrice pour le titre français ! Du coup, je me rends compte qu'il est dans ma PAL. Cette critique va sans doute le remettre un peu plus au-dessus de la pile !
RépondreSupprimerJe voudrais pas foutre la merde mais les titres français sont toujours marqués à la fin des articles ;)
RépondreSupprimerSinon c'est un très bon bouquin, très touchant même si pas forcément hyper original. Et vachement différent c'est vrai des autres bouquins de Litt, généralement beaucoup plus glauques.
Je note. J'avais lu, du même auteur, "Qui a peur de Victoria About" et j'avais été un peu déçu. Une bonne idée au départ mais qui s'enlisait vers la fin.
RépondreSupprimerLe titre anglais de celui-ci me fait penser à "Drummer", chanson de Coconut Records/Jason Schwartzman.
oups !
RépondreSupprimermais il a fallu le commentaire pour que je m'en rende compte !
Fabrice >>> en même temps tu noteras qu'au besoin, l'argument inverse peut marcher aussi "machin est un bon livre rock parce que c'est un morveux qui se la joue". C'est ça qui est beau, avec la définition du rock : elle veut dire tout et n'importe quoi selon l'humeur et l'interlocuteur. On comprend mieux comment Philippe Manœuvre peut avoir traversé les époques autant que les émissions de télé ^^
RépondreSupprimerBloom >>> primauté de la fiction, très cher, primauté de la fiction...
V&C >>> "And I was a drummer in a band you heard of...", très bonne chanson, oui (mais le livre est plus sombre)(en même temps tout est plus sombre qu'un album de Coconut Records)