C'est beau une révolution la nuit

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Je ne sais pas vous mais moi, en ce moment, je me sens incroyablement détendu. Toutes ces révolutions, là, là, et là aussi... ça met plein de baume sur mon petit cœur. Que c'est beau, un peuple uni. Que c'est émouvant, tous ces gens qui veulent sortir de l'oppression. Oh, bien entendu, on sait que cette euphorie comme toutes les autres n'aura qu'un temps. D'une manière ou d'une autres, les lendemains ne chanteront pas. Les lendemains ne chantent jamais. Il y aura les désillusions, les échecs, les problèmes. Le monde ne fonctionne qu'ainsi. Personne ne sait trop pourquoi. Pour l'heure j'ai envie de me réjouir avec ces peuples que je connais mal, pourtant, de pratiquer un enthousiasme parfaitement consensuel et absolument dépourvu d'ironie. Pour avoir envoyés se faire mettre quelques archaïques dictateurs (pardon : on dit régimes autoritaires en langage marketing), les Tunisiens et les Égyptiens ont aussi envoyé un tonitruant bras d'honneur aux cyniques. Vous savez, ces gens qui nous expliquent depuis dix, vingt, trente ans... toujours que vous comprenez, ces gens là-bas, en Afrique, ces musulmans et ces bougnoules (ils n'ont pas le droit de le dire mais le pensent si fort), ils ne sont pas comme nous, ils ne sont pas prêts pour la démocratie, ouh là là non ! Ce serait de l'ethnocentrisme exacerbé que de vouloir leur imposer "nos" valeurs. Ils ont des régimes autoritaires et tout ça, mais comprenez bien : c'est dans leur culture, c'est comme ça, on n'y peut rien. On savait bien nous, que c'était du bullshit. Pas besoin d'avoir étudié la géo-politique toute sa vie pour supputer que le concept de liberté n'est pas inhérent au monde occidental. Mais puisque certains en doutaient, au moins à présent le message est-il clair.

Le revers de la médaille évidemment, c'est que les cyniques, qui ont des gènes de mouches du coche et des réflexes de peines-à-jouir (c'est comme ça, on n'y peut rien, c'est dans leur culture, ce ne sont pas de gens comme nous), les cyniques, donc, continuent à nous bassiner et à chercher à doucher nos ardeurs (juste les nôtres, hein, parce qu'on se doute bien que les Tunisiens ou les Égyptiens n'en ont pas grand-chose à carrer). C'est plus fort qu'eux, ils ont du mal à s'en empêcher. Ils ont du mal à admettre qu'une bande d'arabes puisse être pourvue de cerveaux. Et nous servent donc à longueur d'antennes leur habituelle tambouille paternalisto-colonialiste sur le pauvre peuple égyptien dangereusement menacé de récupération par tous les méchants barbus qui aiguisent leurs couteaux, prêts à manger l'innocent tout cru. Au moins, Moubarak, on le connaissait. Il était arabe mais il était un peu comme nous (cynique et corrompu ?). C'était pas un de ces fanatiques intégristes qui veulent récupérer la gentille révolution des Égyptiens et qui ne vont en faire qu'une bouchée. On pourrait presque en rire, mais c'est trop atterrant. Il est vrai que le peuple égyptien souffre d'au moins deux inconvénients majeurs : déjà, c'est un peuple, donc une assemblée de gens indécis ne sachant assurément pas ce qui est bon pour eux. Et encore en plus, c'est un peuple basané, c'est-à-dire incapable de penser la liberté et de comprendre la démocratie. Du point de vue du cynique finkielkrautrocker, c'est couru d'avance : les barbus vont prendre le pouvoir, pour le gentil peuple ce sera pareil, pour le commerce extérieur français ce sera pire. Attention au scénario à l'Iranienne, souffle Alain, dont la voix s'est soudain obscurcie. Comme la pensée, ajouterait une mauvaise langue.

Cela dit soyons sport, les enthousiastes sont capables d'être aussi cons que les cyniques. Entre Olivier "What the fuck???" Besancenot qui expliquait au retour de son voyage en Tunisie qu'il avait constaté de nombreuses accointances avec la situation française (???) et l'autre, qui était-ce déjà ? qui s'exclamait l'autre matin que c'était formidable ces gens qui se battaient pour "nos valeurs" (!!!)... on nage d'étonnement en consternation, hésitant en permanence entre le rire (cynique, tiens) et les larmes (de honte). On se demande où est la vraie récupération. Et l'on s'étonne de là où elle n'est pas. Par exemple au gouvernement.

Ah ça, les rois de la récup', on les a connus plus affutés. Des semaines qu'ils pataugent, les bougres, tellement pris au dépourvu et si profondément grotesques que l'on aurait presque envie d'embrasser le premier Tunisien qui passe - ne fût-ce cette évidence que le gouvernement de la France n'a jamais eu besoin de personne pour barboter de tartuferie en pantalonnade. Grâce soit rendue à Michèle, à François, à Nicolas : c'est tout un pan de la comédie classique qu'ils viennent de passer quinze jours à nous faire réviser. Polichinelle (et ses secrets), Gnafron (le bon gars paternaliste)... qu'on m'autorise à m'approprier le rôle du valet (à l'ancienne, hein, pas à la Pujadas) et à noter avec fourberie que tandis que l'histoire était en marche, Nicolas 1er taillait le bout de gras avec quelques faux-vrais français et Jean-Pierre Pernault, faux-faux journaliste de son état. Je n'ai pas regardé, je préfère Molière à Clavier - au moins l'imparfait du subjonctif y est-il bien employé.