Cheveu - Stupid & Contagious

...

La première réaction est un peu stupide : quel bonheur !, s'exclame-t-on, quel bonheur d'enfin pouvoir écouter Cheveu avec un son décent. Un peu stupide, donc, mais en la matière ce n'est tout de même pas ce groupe-ci qui nous jettera la pierre. D'autant que cette réaction stupide est aussi humaine : le très bon premier album de Cheveu, d'un minimalisme à la limite du jansénisme, repoussait tout de même très loin les limites de ce qu'un auditeur moyen peut supporter en matière de lo/fi. Avec 1000, le pied de nez est évident, puisque le groupe a fait très exactement l'inverse : le son est surpuissant, potards à fond et murs qui se mettent à trembler. Alors oui, inévitablement, c'est la première chose qui frappe.

Ce n'est pas la seule. S'il est évident que depuis quelques semaines que l'album est dispo le groupe a clairement changé de dimension médiatique, passant de petit truc bruyant et underground qu'on s'échange sous le manteau à combo hype célébré par Télérama et autres... impossible de ne pas trouver que cela est amplement mérité. Une fois n'est pas coutume, la presse officielle fait son travail. Que Cheveu commence à avoir du succès est une des meilleures nouvelles de l'année tant 1000 les fait tout autant changer de dimension artistique, s'imposant sans mal comme la proposition musicale la plus excitante de ce début 2011. Une proposition qui tient en une formule déjà utilisée pour désigner ses shows incendiaires (litote) : "quelque part entre Fun House et une crise d'épilepsie."

Comme Cheveu il y a trois ans, 1000 est un indiciable magma d'influences, coulant dans toutes les directions à la fois et retombant toujours miraculeusement sur ses pieds (comment ça un magma n'a pas de pieds ?). La chronique est relativement tardive, mais il faut souligner qu'a contrario de 90 (sinon 95) % de la production actuelle, on ne fait pas le tour d'un tel monstre en une poignée d'écoutes. Truc qui aide, c'est qu'on a du mal à ne pas presser "repeat" chaque fois que ses trente-sept minutes sont écoulées. Il n'empêche, si on l'adore presque instantanément, si son humour et sa hargne en font dès les premières notes l'un des must de l'année, 1000 ne se livre pas facilement. Disons que passées "Quattro Stagioni" et "Charlie Sheen", qui se tirent gentiment la bourre pour le titre de meilleure chanson de l'année du mois (c'est la seconde qui l'emporte, d'une courte tête), les choses se corsent sévèrement et se font notoirement moins catchy. Les mots manquent alors : electro-punk-kalachnikov ("No Birds"), post-punk candide ("Like a Deear in the Headlights") et hip hop autiste à cordes ("Sensual Drug Abuse") semblent des qualificatifs à peu près appropriés. Mais la vérité vraie, qui dans le fond se passe de tout autre commentaire, c'est que Cheveu ne ressemble plus à personne (si tant que ce fût jamais le cas un jour) et bâtit des mondes d'art naïf et de pop post-moderne quand d'autres écrivent péniblement une poignée de chansons. Il y a trois ans, on hésitait encore entre l'art et le cochon ; aujourd'hui on sait, et l'on se fait victimes consentantes d'un terrorisme artistique unique au monde.

Qui a dit que la France était un désert ?



1000, de Cheveu (2011)

---

Ce qu'en pensent : klak, Mmarsup, Spiroid...