...
Je me souviens : c'était en novembre. Début novembre, même. Par un matin un peu brumeux. Comme tous les matins de novembre.
Je me suis levé ce matin-là comme tous les autres, de bonne heure et bonne humeur, j'ai ouvert les volets sur un monde tout gris (il faut dire que mon vis-à-vis est un mur) et j'ai branché la cafetière, que ma femme avait encore débranchée la veille pour mettre son portable en charge. Rien que de très ordinaire. Un matin comme il y en a tant d'autres, où rien ne me semblait particulièrement clocher, ou tout allait pour le mieux - c'est-à-dire : pas très bien, mais je pouvais m'en accommoder. J'étais loin de me douter que quelque chose d'extraordinaire venait de se passer.
Ce n'est qu'en allumant la télévision que j'ai pris conscience que le monde avait changé. Ou peut-être était-ce moi. Sans doute. C'était la seule explication plausible à cet évènement invraisemblable qui venait de se produire, en France, au vu et au su de tous. Michel Houellebecq venait de recevoir le Goncourt, et Virginie Despentes le Renaudot. Je ne pouvais qu'avoir été projeté dans un monde parallèle.
Passe encore pour Houellebecq, qui venait il est vrai de publier un livre plus sage, à tout le moins plus goncourisable. Mais Despentes ? Virginie ? Sérieusement ? Je n'avais pas encore lu le bouquin, mais je voyais mal comment elle aurait pu suffisamment rentrer dans le rang pour qu'on se saisisse ainsi d'elle, qu'on la trempe dans le formol et qu'on l'enferme dans un placard. Ce n'était pas possible. Six ans avaient beau être passés depuis Bye-Bye Blondie, je n'arrivais pas à me figurer que Virginie pusse avoir le Renaudot. Dans un monde ordinaire, la nouvelle m'aurait rassuré. Dans ce nouveau monde dans lequel je venais de me réveiller, elle ne faisait que m'inquiéter au plus haut point. On avait connu trop de bas dans notre relation, elle et moi, aussi, faut dire. Au départ, on ne s'entendait pas très bien. Je lisais Baise-moi et tous ces trucs et je me disais "ouais ouais, c'est pas forcément mal écrit mais ça ne va pas chercher bien loin non plus. Il avait fallu attendre Teen Spirit pour qu'on devienne vraiment potes, et d'aucuns diraient qu'elle avait déjà alors commencé à rentrer dans le rang. Peut-être, mais je me rappelle tout de même, six ans plus tard, que Bye-Bye Blondie était "bercé" (les guillemets sont obligatoires) par GBH et une tonne de groupes hardcore à vous écorcher les gencives. Pas vraiment le bouquin à offrir à Mamie au pied du sapin.
Alors ? Monde changé ou monde parallèle ?
Monde parallèle. L'évidence s'est imposée à moi. Il n'y a que dans un monde parallèle qu'un tel livre pourrait recevoir un prix aussi coinços que le Renaudot. Ne cherchons pas plus loin. Parce qu'aussi improbable que cela puisse paraît, Virginie ne s'est pas calmée. Apocalypse Bébé, dont le titre crétin comme une chanson punk écrite à seize ans annonce le programme, n'est pas un livre mignon, gentil et consensuel. Au contraire : par bien des aspects, Virginie s'est radicalisée. Ce n'est pas pour me déplaire. A sa manière, elle est une résistante. Au marasme et au temps qui passe, aux illusions qui s'effondrent et à la lente et inexorable métamorphose de la rage en colère polie. La quarantaine passée, elle aurait pu commencer à devenir une vieille conne, loucher vers le réac et, comme tous les écrivains extrémistes passé un certain âge, basculer de l'autre côté du miroir. Pas du tout : l'écriture est toujours aussi nerveuse, le propos toujours aussi concerné, l'univers toujours irrésistiblement happé par le goût du soufre et du clivage. Sa maturité à elle se limite à avoir appris à réfléchir avant de cogner, le plus souvent très fort et très juste. Et avoir compris, aussi (mais c'est le cas depuis Teen Spirit), que l'émotion n'était pas réservée aux connards et aux démagos. La force de conviction est impressionnante, et arrivé à la dernière page de ce faux polar et vrai brûlot la mienne, de conviction, était faite : j'ai emménagé dans cet étrange monde où l'on récompense Apocalypse Bébé, sans hésiter et à ce jour sans regrets.
Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes (2010)
Ce qu'en pensent AMANDA, CUNE, YUEYIN...
Je me souviens : c'était en novembre. Début novembre, même. Par un matin un peu brumeux. Comme tous les matins de novembre.
Je me suis levé ce matin-là comme tous les autres, de bonne heure et bonne humeur, j'ai ouvert les volets sur un monde tout gris (il faut dire que mon vis-à-vis est un mur) et j'ai branché la cafetière, que ma femme avait encore débranchée la veille pour mettre son portable en charge. Rien que de très ordinaire. Un matin comme il y en a tant d'autres, où rien ne me semblait particulièrement clocher, ou tout allait pour le mieux - c'est-à-dire : pas très bien, mais je pouvais m'en accommoder. J'étais loin de me douter que quelque chose d'extraordinaire venait de se passer.
Ce n'est qu'en allumant la télévision que j'ai pris conscience que le monde avait changé. Ou peut-être était-ce moi. Sans doute. C'était la seule explication plausible à cet évènement invraisemblable qui venait de se produire, en France, au vu et au su de tous. Michel Houellebecq venait de recevoir le Goncourt, et Virginie Despentes le Renaudot. Je ne pouvais qu'avoir été projeté dans un monde parallèle.
Passe encore pour Houellebecq, qui venait il est vrai de publier un livre plus sage, à tout le moins plus goncourisable. Mais Despentes ? Virginie ? Sérieusement ? Je n'avais pas encore lu le bouquin, mais je voyais mal comment elle aurait pu suffisamment rentrer dans le rang pour qu'on se saisisse ainsi d'elle, qu'on la trempe dans le formol et qu'on l'enferme dans un placard. Ce n'était pas possible. Six ans avaient beau être passés depuis Bye-Bye Blondie, je n'arrivais pas à me figurer que Virginie pusse avoir le Renaudot. Dans un monde ordinaire, la nouvelle m'aurait rassuré. Dans ce nouveau monde dans lequel je venais de me réveiller, elle ne faisait que m'inquiéter au plus haut point. On avait connu trop de bas dans notre relation, elle et moi, aussi, faut dire. Au départ, on ne s'entendait pas très bien. Je lisais Baise-moi et tous ces trucs et je me disais "ouais ouais, c'est pas forcément mal écrit mais ça ne va pas chercher bien loin non plus. Il avait fallu attendre Teen Spirit pour qu'on devienne vraiment potes, et d'aucuns diraient qu'elle avait déjà alors commencé à rentrer dans le rang. Peut-être, mais je me rappelle tout de même, six ans plus tard, que Bye-Bye Blondie était "bercé" (les guillemets sont obligatoires) par GBH et une tonne de groupes hardcore à vous écorcher les gencives. Pas vraiment le bouquin à offrir à Mamie au pied du sapin.
Alors ? Monde changé ou monde parallèle ?
Monde parallèle. L'évidence s'est imposée à moi. Il n'y a que dans un monde parallèle qu'un tel livre pourrait recevoir un prix aussi coinços que le Renaudot. Ne cherchons pas plus loin. Parce qu'aussi improbable que cela puisse paraît, Virginie ne s'est pas calmée. Apocalypse Bébé, dont le titre crétin comme une chanson punk écrite à seize ans annonce le programme, n'est pas un livre mignon, gentil et consensuel. Au contraire : par bien des aspects, Virginie s'est radicalisée. Ce n'est pas pour me déplaire. A sa manière, elle est une résistante. Au marasme et au temps qui passe, aux illusions qui s'effondrent et à la lente et inexorable métamorphose de la rage en colère polie. La quarantaine passée, elle aurait pu commencer à devenir une vieille conne, loucher vers le réac et, comme tous les écrivains extrémistes passé un certain âge, basculer de l'autre côté du miroir. Pas du tout : l'écriture est toujours aussi nerveuse, le propos toujours aussi concerné, l'univers toujours irrésistiblement happé par le goût du soufre et du clivage. Sa maturité à elle se limite à avoir appris à réfléchir avant de cogner, le plus souvent très fort et très juste. Et avoir compris, aussi (mais c'est le cas depuis Teen Spirit), que l'émotion n'était pas réservée aux connards et aux démagos. La force de conviction est impressionnante, et arrivé à la dernière page de ce faux polar et vrai brûlot la mienne, de conviction, était faite : j'ai emménagé dans cet étrange monde où l'on récompense Apocalypse Bébé, sans hésiter et à ce jour sans regrets.
Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes (2010)
Ce qu'en pensent AMANDA, CUNE, YUEYIN...
"Coinços", le Renaudot?
RépondreSupprimerLe prix qui a couronné "Voyage au bout de la nuit"? ;-)
(Ah, le temps est assassin, même dans les mondes parallèles.)
Oui enfin c'était il y a presque 80 ans...
RépondreSupprimerJe me suis, quand même, pas mal ennuyé. Contrairement aux livres précédents, je n'ai pas vraiment réussi à m'attacher aux personnages. Et puis bons, certains considérations pseudo intellos sont quand même ridicules... ^_^
RépondreSupprimerIntellos ???
RépondreSupprimerDisons qu'il y a pas mal de digressions où Despentes développe sa vision du monde, et que je la trouve assez simpliste et facile.
RépondreSupprimerla bonne surprise de la rentrée pour moi, je ne sais pas pourquoi je ne m'attendais pas à un truc aussi ébouriffant... sauf la toute fin qui ne m'a pas vraiment convaincue, j'aime son écriture et ses personnages...
RépondreSupprimerJ-C >>> oui, enfin cela reste secondaire...
RépondreSupprimeryueyin >>> oui mais pourquoi "surprise" ?
ah oui pourquoi, je n'avais lu que Kingkong théorie de Virginie et je ne sais pourquoi je m'attendais plus à un genre d'essai qu'à un roman qui m'embarque vraiment dans son histoire... c'est bête je sais bien:-)
RépondreSupprimer