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Ce site est toujours à la ramasse d’une hype, ce n’est malheureusement pas une nouveauté et cela ne risque pas vraiment de changer. Au moment de se planter en face d’Alister, l’auteur de ces lignes (appelons-le Je) doit très probablement être le seul chroniqueur de la capitale à ne savoir absolument rien de ce type. Il n’est pour lui qu’un nom, qu’il lit partout depuis plusieurs semaines de surcroît – ce qui aurait donc plutôt tendance à l’en éloigner. Il n’aime pas trop son single, "La Femme parfaite (tout le monde dit que c’est elle)", trop poppy pour être honnête, un peu fastoche en dépit d’une incontestable (redoutable, même) efficacité tubesque. Cependant des tubes efficaces, plein de gens en font que nous ne nous empressons pas de rencontrer. Ni Je.
Et pourtant Je est à présent attablé avec le susnommé Alister dans un bar de le Rue Oberkampf, plutôt content d’être venu (Je, pas Alister, qui n’a cependant pas l’air totalement mécontent non plus). Il a découvert entre temps un album, Double Détente, beaucoup moins facile que ce qu’il craignait. Pop bien sûr, et fluide et pétri de bon mots (cet affable trentenaire a assaisonné quelques shows tv de ses réparties en tant qu’auteur, un sens de la vanne dont il n’a de toute évidence rien perdu). Mais aussi extrêmement raffiné derrière son apparente légèreté. Les répliques y sont cinglantes mais l’ensemble pas si guignol que ce que le single autorisait à imaginer. Au contraire, il paraît même habité par une forme d’angoisse, une violence en pointillés, jamais crachée mais toujours présente, ici dans une phrase égarée au milieu de nulle-part, là dans un climat bizarrement oppressant (l’intro de "Mauvaise rencontre"). Un album aux airs de ver dans le fruit, qui pourrait potentiellement remporter un franc succès tout en distillant venin et mauvaises pensées dans de chastes oreilles.
Alister pourtant n’a pas l’air d’un garçon vicieux. Il est aimable, souriant. Il ressemble à l’idée que l’on se fait généralement d’un « mec cool », ce qui veut tout et rien dire – Je se comprend. Un mec cool qui, en toute logique, ne ressent pas particulièrement de pression en ce jour de sortie d’un second album qui lui a pris, au bas mot, un an demi de travail. « Mais bon, ce n’est pas comme le cinéma où le producteur t’appelle à midi pour te donner les premiers chiffres. Là, personne va m’appeler pour me dire combien on en a vendu aujourd’hui. » Il est vrai que l’album est fini depuis un moment, alors si l’on ajoute à cela que le garçon a petit-déjeuné d’une belle chronique sur France Info précisément vingt-sept minutes après son réveil, on voit mal, en effet, quelle raison il pourrait avoir d’angoisser. « Le dernier jour de mixage ou le dernier jour d’enregistrement, ça ce sont vraiment des moments créativement et artistiquement hyper, hyper, hyper stressants. Le mixage ç’a vraiment été un truc de maniaque. Là aujourd’hui je me lève, il fait beau, l’album a l’air pas mal reçu pour l’instant… Par ailleurs ce soir il y a la diffusion en avant-première du court-métrage 1, dans lequel je suis plutôt un pion… non, la période de stress est plutôt derrière moi »
Le mec cool pourtant ne l’est plus tellement lorsque Je se pique de l’interroger sur son écriture, parfois déroutante – à tout le moins peu commune. Ses meilleures chansons ("Mauvaise rencontre" encore, "Supermarché", "F.B.I.") ont parfois l’air de scripts décousus, déchirés par des punchlines. L’air perplexe mais prenant la question très au sérieux, Alister se refuse à « faire l’exégèse de [son] travail » tout en acceptant de donner – ou d’essayer de donner – quelques clés à une écriture paraissant faite de fulgurances, entre formules et collages pop, avec ses fraîcheur de vivre, ses à fond la forme, ses demains j’arrête. « Évidemment, j’essaie de raconter une histoire. De par ma seconde peau de scénariste qui m’oblige d’une certaine façon à ne jamais laisser une chanson en plan… tu vois, c’est comme dans un sketch : d’une façon ou d’une autre il faut qu’il y ait une chute. Après il y a différentes manières de raconter une histoire, tu peux faire quelque chose de très descriptif et appeler ça "J’ai perdu ma chaussette". Une chanson comme "F.B.I." est un jeu d’associations d’idées et d’ellipses, autour d’une thématique paranoïaque… j’imaginais un Français moyen qui part en vacances aux États-Unis et se retrouve en chaussettes à la douane (ce qui m’est arrivé il n’y pas longtemps) ; de retour en France son inconscient travaille et même quand il regarde un match de foot il est encore en train de se poser des questions tout en se demandant si la France va gagner… et où est la télécommande. Enfin voilà, je t’ai trop expliqué là, c’est pas très sexy (sourire) J’essaie de travailler par associations d’idées, par ellipses, mais c’est pas comme ça à chaque chanson. En général je compose la musique, je baragouine une espèce de yaourt/esperanto et après j’écoute, j’essaie de voir à quoi ça me fait penser… » Dans le cas particulier de "F.B.I.", post-punk glacé et oppressant, le résultat est plus que convaincant.
Bien sûr, Alister finira par déclarer, comme mille autres… comme tous les autres avant lui, qu’il n’est pas forcément ravi de cette tradition littéraire très française, cette manie de faire primer le texte sur la musique… etc. Il a raison, du reste, comme tous les autres avant lui. Mais le commentaire ne peut que surprendre dans la bouche de quelqu’un dont l’album témoigne, de toute évidence, d’une finesse peu commune dans l’écriture. Alister serait-il cet animal légendaire, ce chanteur pop français qui aurait tout compris à comment faire sonner sa langue maternelle ? Il y a sur Double Détente une forme d’alchimie parfaite entre le son, les harmonies, le texte et l’interprétation très détachée. La pop s’y fait frigide, faussement cynique, affichant un détachement tout houellebecquien qui fait se demander, presque en permanence, ce qui est à prendre au premier degré et ce qui ne l’est pas. « Mais ç’a été une grande influence, l’album de Houellebecq. C’est marrant que tu dises ça parce que j’en parle juste à quelques happy few, c’est une petite secte que j’entretiens. Et à l’époque c’est vrai que ç’avait été une claque, pour moi. Je l’ai jamais pris avec second degré, c’est un album qui m’a vraiment touché. Je le réécoute jamais, mais ça été important, oui. Sa voix blanche, complètement neutre, genre je suis en train d’éplucher des oignons au moment où je chante la chanson… ce côté complètement… ailleurs. » Je lui fait remarquer que son interprétation, parfois, semble lorgner vers cela. « Je ne sais pas. La voix j’ai l’impression que c’est toujours plus spontané. Que même quand tu cherches à être dans le contrôle, à un moment ou un autre tu finis toujours par te faire trahir par ta voix. »
Le quart d’heure d’entretien initialement prévu s’est déjà en converti en demi-heure, pourtant Je a toujours bien du mal à cerner cet Alister – ce qui n’est finalement pas si courant dans ce type d’exercice. Celui qu’il imaginait volontiers comme un peu branleur s’avère un type plutôt simple et humble, pas si sardonique que ce que son album peut laisser supposer au premier abord, moins assuré dans ses paroles qu’on pourrait le croire. Je sent comme une ambiguïté indécelable, la même peut-être que celle qui habite Double Détente, qui oscille entre branchitude et chanson populaire comme son auteur bascule en une simple phrase de Houellebecq à Elton John et Véronique Sanson. Un disque pêchu, parfois presque dansant, à la production extrêmement sophistiquée, mais qui rend tout sauf guilleret et semble tout de violence contenue. C’est d’ailleurs ce terme – violence – qu’Alister choisit pour qualifier le « Aimez-vous les uns sur les autres » qu’il balance en guise de refrain sur l’excellent "Les Mecs, Les Filles", et ce choix ne doit probablement rien au hasard. « Écoute, j’ai jamais vérifié mais je pense qu’en fait c’est un slogan de Mai 68 2… ça ne peut plus vouloir dire pareil, il devait y avoir une notion partouzarde, alors que moi j’y vois plutôt une promesse de violence. Je pense qu’on serait plus dans Orange mécanique » Je partait pourtant sur une boutade, lui demandant s’il pensait que ce serait un bon slogan de campagne pour 2012. La réponse est tout sauf une plaisanterie, et quelque part il est possible que ce glissement presque imperceptible de la bouffonnerie au sérieux soit une bonne manière de résumer Double Détente. Il y a les marrants et les railleurs, et ces derniers écorchent quand les premiers se contentent de faire rire. Double Détente est du genre à laisser des marques.
1. Réalisé par Christophe Acker et visible ICI.
2. Après recherche, il semble que ce soit en fait une citation de Prévert.
Ce site est toujours à la ramasse d’une hype, ce n’est malheureusement pas une nouveauté et cela ne risque pas vraiment de changer. Au moment de se planter en face d’Alister, l’auteur de ces lignes (appelons-le Je) doit très probablement être le seul chroniqueur de la capitale à ne savoir absolument rien de ce type. Il n’est pour lui qu’un nom, qu’il lit partout depuis plusieurs semaines de surcroît – ce qui aurait donc plutôt tendance à l’en éloigner. Il n’aime pas trop son single, "La Femme parfaite (tout le monde dit que c’est elle)", trop poppy pour être honnête, un peu fastoche en dépit d’une incontestable (redoutable, même) efficacité tubesque. Cependant des tubes efficaces, plein de gens en font que nous ne nous empressons pas de rencontrer. Ni Je.
Et pourtant Je est à présent attablé avec le susnommé Alister dans un bar de le Rue Oberkampf, plutôt content d’être venu (Je, pas Alister, qui n’a cependant pas l’air totalement mécontent non plus). Il a découvert entre temps un album, Double Détente, beaucoup moins facile que ce qu’il craignait. Pop bien sûr, et fluide et pétri de bon mots (cet affable trentenaire a assaisonné quelques shows tv de ses réparties en tant qu’auteur, un sens de la vanne dont il n’a de toute évidence rien perdu). Mais aussi extrêmement raffiné derrière son apparente légèreté. Les répliques y sont cinglantes mais l’ensemble pas si guignol que ce que le single autorisait à imaginer. Au contraire, il paraît même habité par une forme d’angoisse, une violence en pointillés, jamais crachée mais toujours présente, ici dans une phrase égarée au milieu de nulle-part, là dans un climat bizarrement oppressant (l’intro de "Mauvaise rencontre"). Un album aux airs de ver dans le fruit, qui pourrait potentiellement remporter un franc succès tout en distillant venin et mauvaises pensées dans de chastes oreilles.
Alister pourtant n’a pas l’air d’un garçon vicieux. Il est aimable, souriant. Il ressemble à l’idée que l’on se fait généralement d’un « mec cool », ce qui veut tout et rien dire – Je se comprend. Un mec cool qui, en toute logique, ne ressent pas particulièrement de pression en ce jour de sortie d’un second album qui lui a pris, au bas mot, un an demi de travail. « Mais bon, ce n’est pas comme le cinéma où le producteur t’appelle à midi pour te donner les premiers chiffres. Là, personne va m’appeler pour me dire combien on en a vendu aujourd’hui. » Il est vrai que l’album est fini depuis un moment, alors si l’on ajoute à cela que le garçon a petit-déjeuné d’une belle chronique sur France Info précisément vingt-sept minutes après son réveil, on voit mal, en effet, quelle raison il pourrait avoir d’angoisser. « Le dernier jour de mixage ou le dernier jour d’enregistrement, ça ce sont vraiment des moments créativement et artistiquement hyper, hyper, hyper stressants. Le mixage ç’a vraiment été un truc de maniaque. Là aujourd’hui je me lève, il fait beau, l’album a l’air pas mal reçu pour l’instant… Par ailleurs ce soir il y a la diffusion en avant-première du court-métrage 1, dans lequel je suis plutôt un pion… non, la période de stress est plutôt derrière moi »
Le mec cool pourtant ne l’est plus tellement lorsque Je se pique de l’interroger sur son écriture, parfois déroutante – à tout le moins peu commune. Ses meilleures chansons ("Mauvaise rencontre" encore, "Supermarché", "F.B.I.") ont parfois l’air de scripts décousus, déchirés par des punchlines. L’air perplexe mais prenant la question très au sérieux, Alister se refuse à « faire l’exégèse de [son] travail » tout en acceptant de donner – ou d’essayer de donner – quelques clés à une écriture paraissant faite de fulgurances, entre formules et collages pop, avec ses fraîcheur de vivre, ses à fond la forme, ses demains j’arrête. « Évidemment, j’essaie de raconter une histoire. De par ma seconde peau de scénariste qui m’oblige d’une certaine façon à ne jamais laisser une chanson en plan… tu vois, c’est comme dans un sketch : d’une façon ou d’une autre il faut qu’il y ait une chute. Après il y a différentes manières de raconter une histoire, tu peux faire quelque chose de très descriptif et appeler ça "J’ai perdu ma chaussette". Une chanson comme "F.B.I." est un jeu d’associations d’idées et d’ellipses, autour d’une thématique paranoïaque… j’imaginais un Français moyen qui part en vacances aux États-Unis et se retrouve en chaussettes à la douane (ce qui m’est arrivé il n’y pas longtemps) ; de retour en France son inconscient travaille et même quand il regarde un match de foot il est encore en train de se poser des questions tout en se demandant si la France va gagner… et où est la télécommande. Enfin voilà, je t’ai trop expliqué là, c’est pas très sexy (sourire) J’essaie de travailler par associations d’idées, par ellipses, mais c’est pas comme ça à chaque chanson. En général je compose la musique, je baragouine une espèce de yaourt/esperanto et après j’écoute, j’essaie de voir à quoi ça me fait penser… » Dans le cas particulier de "F.B.I.", post-punk glacé et oppressant, le résultat est plus que convaincant.
Bien sûr, Alister finira par déclarer, comme mille autres… comme tous les autres avant lui, qu’il n’est pas forcément ravi de cette tradition littéraire très française, cette manie de faire primer le texte sur la musique… etc. Il a raison, du reste, comme tous les autres avant lui. Mais le commentaire ne peut que surprendre dans la bouche de quelqu’un dont l’album témoigne, de toute évidence, d’une finesse peu commune dans l’écriture. Alister serait-il cet animal légendaire, ce chanteur pop français qui aurait tout compris à comment faire sonner sa langue maternelle ? Il y a sur Double Détente une forme d’alchimie parfaite entre le son, les harmonies, le texte et l’interprétation très détachée. La pop s’y fait frigide, faussement cynique, affichant un détachement tout houellebecquien qui fait se demander, presque en permanence, ce qui est à prendre au premier degré et ce qui ne l’est pas. « Mais ç’a été une grande influence, l’album de Houellebecq. C’est marrant que tu dises ça parce que j’en parle juste à quelques happy few, c’est une petite secte que j’entretiens. Et à l’époque c’est vrai que ç’avait été une claque, pour moi. Je l’ai jamais pris avec second degré, c’est un album qui m’a vraiment touché. Je le réécoute jamais, mais ça été important, oui. Sa voix blanche, complètement neutre, genre je suis en train d’éplucher des oignons au moment où je chante la chanson… ce côté complètement… ailleurs. » Je lui fait remarquer que son interprétation, parfois, semble lorgner vers cela. « Je ne sais pas. La voix j’ai l’impression que c’est toujours plus spontané. Que même quand tu cherches à être dans le contrôle, à un moment ou un autre tu finis toujours par te faire trahir par ta voix. »
Le quart d’heure d’entretien initialement prévu s’est déjà en converti en demi-heure, pourtant Je a toujours bien du mal à cerner cet Alister – ce qui n’est finalement pas si courant dans ce type d’exercice. Celui qu’il imaginait volontiers comme un peu branleur s’avère un type plutôt simple et humble, pas si sardonique que ce que son album peut laisser supposer au premier abord, moins assuré dans ses paroles qu’on pourrait le croire. Je sent comme une ambiguïté indécelable, la même peut-être que celle qui habite Double Détente, qui oscille entre branchitude et chanson populaire comme son auteur bascule en une simple phrase de Houellebecq à Elton John et Véronique Sanson. Un disque pêchu, parfois presque dansant, à la production extrêmement sophistiquée, mais qui rend tout sauf guilleret et semble tout de violence contenue. C’est d’ailleurs ce terme – violence – qu’Alister choisit pour qualifier le « Aimez-vous les uns sur les autres » qu’il balance en guise de refrain sur l’excellent "Les Mecs, Les Filles", et ce choix ne doit probablement rien au hasard. « Écoute, j’ai jamais vérifié mais je pense qu’en fait c’est un slogan de Mai 68 2… ça ne peut plus vouloir dire pareil, il devait y avoir une notion partouzarde, alors que moi j’y vois plutôt une promesse de violence. Je pense qu’on serait plus dans Orange mécanique » Je partait pourtant sur une boutade, lui demandant s’il pensait que ce serait un bon slogan de campagne pour 2012. La réponse est tout sauf une plaisanterie, et quelque part il est possible que ce glissement presque imperceptible de la bouffonnerie au sérieux soit une bonne manière de résumer Double Détente. Il y a les marrants et les railleurs, et ces derniers écorchent quand les premiers se contentent de faire rire. Double Détente est du genre à laisser des marques.
👍👍👍 Double Détente
Alister | Barclay, 2011
1. Réalisé par Christophe Acker et visible ICI.
2. Après recherche, il semble que ce soit en fait une citation de Prévert.
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