mardi 8 mars 2011

Marie NDiaye - Comme un air de chef-d'œuvre

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Dans la vie il n'y a jamais que trois types de personnes : les gens que l'on trouve exceptionnels, les autres, et ceux que l'on trouve spéciaux sans jamais pouvoir toutefois les ranger dans l'une ou l'autre de ces catégories.

Pour les écrivains, c'est un peu pareil. Il y a les grands écrivains, les écrivains mineurs, et puis il y a Marie NDiaye. Qui certes a toujours plutôt penché du côté des grands écrivains mais dont le talent a toujours été si singulier, si étrange et si marginal qu'on n'a jamais vraiment pu supporter l'idée qu'elle ne soit pas seule à boxer dans sa catégorie. D'ailleurs si chacun de ses livres est évènement en soi, jamais elle n'a basculé du côté des habituelles stars de la Rentrée littéraire - même pas après avoir reçu le Prix Femina. C'est dire si la voir recevoir le Goncourt 2009 avait quelque chose de profondément inattendu. Pour prendre un exemple simple : je connais beaucoup de grands lecteurs, beaucoup d'amateurs de lettres, mais jusqu'alors j'en connaissais finalement assez peu qui connaissaient Marie NDiaye autrement que de nom ou qui puissent me citer au débotté en sans tricher avec google trois de ses romans (notez que je ne suis toujours pas intimement convaincu que cela ait changé, la relativité des prix d'automne n'étant plus à démontrer).


Ceci pour dire qu'il y a quelque chose de paradoxal à terminer Trois femmes puissantes avec l'envie de parler de confirmation (d'un talent, d'une virtuosité...) ou de maturité - l'œuvre en question a débuté lorsque j'avais quatre ans. Peut-être le mot exact est-il accomplissement. Voire parachèvement.

C'est que pour la première fois l'on ressort d'un roman de Marie NDiaye assailli par un sentiment de réelle perfection. Impression que pas un mot, pas une virgule n'est en trop. Que même ce qu'elle n'a pas écrit est remarquable. Ce dans un des domaines les plus casses-gueule qui soient : celui des récits multiples et juxtaposés. Quand d'autres s'y ridiculisent, affichent au grand jour leur paresse au long de romans décousus et boursoufflés de flux de pensées à faire rougir de honte Woolf elle-même... NDiyae pour sa part donne l'impression de se promener, de se balader nonchalamment au gré des intrigues. Ne pas s'y tromper toutefois : on est là face à un texte travaillé jusque dans les plus minuscules détails, d'une finesse et d'une subtilité hors du commun. C'est souvent le cas dans les livres de cette auteure (son précédent, le superbe Mon Cœur à l'étroit, faisait déjà cet effet-là) ; cela n'a cependant jamais été aussi vrai. Rares sont les romans à pouvoir se targuer de fluidité dans la complexité, de légèreté dans le sinueux (légèreté au sens de la narration s'entend - sur le fond ces histoires sont tout sauf légères). Trois femmes puissantes est de ceux-là, ce qui le situe au niveau de certains grands chefs-d'œuvre faulkneriens (dans un registre certes différent... quoique...).

L'on pourrait dire bien sûr que c'est un beau livre sur la solitude croisant trois portraits de femmes (Norah, Khady et Fanta) que leurs situations comme leurs caractères opposent, tout en témoignant d'une même blessure profonde que l'auteure prend soin de panser. Voilà pour le résumé verbeux (vous en trouverez de meilleurs - résumés et verbiages - ailleurs). Cela donnera une idée à ceux qui tiennent à ce qu'un roman raconte des histoires. C'est cependant ne rien en dire, et pas seulement parce que ma phrase est courte ; dans Trois femmes puissantes l'écriture, étrange, inventive, constitue une intrigue à part entière. Marie NDiyae a en commun avec Giono ce goût pour la poésie bigarrée, le double langage et l'écriture vivant sa propre vie en parallèle à l'histoire elle-même (aux histoires, le cas échéant). Et si ce roman est évidemment un ouvrage d'une rare pertinence sur la femme, la violence, le doute et l'humiliation (comme tous ceux de son auteure, en fait), c'est avant tout un texte d'une incroyable beauté formelle et même structurelle... comme tous ceux de son auteure, en fait. Mais en encore plus fort. Et en très, très grand.


Trois femmes puissantes, de Marie NDiaye (2009)



Quelques avis parmi (beaucoup) d'autres : ALICE-ANGE, AMANDA, FASHION, LILY...

9 commentaires:

  1. Formidable roman !

    Et trois femmes puissantes le jour de la journée de la femme, c'est malin ;-)

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  2. Je n'y avais même pas pensé...

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  3. Un très bon roman, en effet ! Et effectivement, l'intrigue importe peu, tant l'écriture de Marie NDiaye emporte et transporte le lecteur au long de ces trois histoires.

    PS: ça n'a rien à voir, mais mon lien sur ton ancien Bar-tabac-PMU culturel est dû à une non-actualisation de ton index... Je dis ça...

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  4. est-ce qu'elles meurent toutes à la fin?

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  5. Tu l'as déjà dit mais il faut vraiment souligner combien le style fait justement honneur aux auteurs "exceptionnels". Les constructions sont riches et limpides et les changements de ton entre les trois histoires (surtout la seconde) sont savoureux.

    Je vais essayer d'aller voir sa nouvelle pièce.

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  6. Yohan >>> je sais bien, je sais bien (je parle de ton P.S.). Cela dit, si tu avais utilité le moteur de recherche... ok j'arrête ^^

    gmc >>> c'est une question ou c'est un souhait ? ;-)

    Benjamin >>> je ne savais qu'il y avait une nouvelle pièce. Bon, les meilleurs en proses ne sont pas toujours les meilleurs au théâtre, ceci dit...

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  7. Bon sang, je serais passée à côté d'un quasi chef d'oeuvre ?
    A vrai dire, j'ai lu lors de sa sortie son premier roman, La sorcière (cela remonte au siècle dernier), et n'en n'ayant pas gardé un souvenir impérissable, j'avoue ne jamais avoir été tentée de relire Marie N'Diaye.
    Quelle vilaine obtuse je fais !

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  8. par convention, un ? signifie le questionnement, enfin, il me semble..

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  9. jusque là rien de ce que j'en avais lu ne m'avait donné envie... à tort semble-t-il ! (et non les prix ne me donnent pas précisément envie de lire les livres qu'ils récompensent va savoir pourquoi:-))

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