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A quoi reconnaît-on un bon album de post-punk ? Qu'est-ce qui fait un disque de new-wave réussi ? Pourquoi tel sortie du genre va enthousiasmer quand d'autres vont au mieux laisser de marbre, voire ennuyer ? Certains disques s'imposent et d'autres soulèvent bien des questions. Celles-ci affluent à l'écoute du troisième LP d'Agent Side Grinder. Non parce qu'il se noie dans l'annuelle cohorte de productions post-punk/new-wave, mais bien parce qu'à la première écoute - et même à la première note - il s'impose comme un brillant exercice de genre.
Or Irish Recording Tapes ne constitue en rien un album original ; il marche dans les clous précédemment plantés par Joy Division et The Fall, sans jamais sembler trop appliqué mais sans jamais non plus s'en écarter. Et pourtant ça marche : le groupe suédois réussit là où d'autres (beaucoup), pas forcément moins cultivés ni moins sincères, se fondent dans la masse. Dès lors, impossible de ne pas se demander : pourquoi Agent Side Grinder ? Eux et pas les autres ?
D'abord, il y a la hargne. Le post-punk ne conjugue correctement que dans le soufre, la corrosion - quoi de plus logique concernant un genre qui figurait la décrépitude des années soixante-dix et de leurs utopies ? Le bon post-punk se doit d'être froid, désabusé, peut-être même un brin cynique, tout en étant nerveux (voire l'électricité épileptique de Frustration, probablement le meilleur groupe du genre en activité). Le froid, venons-y. La musique d'Agent Side Grinder, qui ne vient effectivement pas d'un pays très chaud, semble recouverte d'une épaisse couche de givre, comme déjà usée, fatiguée, rouillée. Ses compatriotes du Radio Dept. s'appliquent à délivrer une new-wave aux tons pastels ? Qu'à cela ne tienne : à l'exact opposé, Agent Side Grinder lui redonne ses couleurs ternes, passées comme sur un jean que l'on aurait oublié de retourner avant de le mettre dans la machine. Le post-punk vient d'un monde en noir et blanc, un monde qui n'est que hangars désaffectés et docks déserts, à perte de vue. Tout y est poisseux et désolé comme le futur du No Future. Sûr que le post-punk ne pouvait pas être new : après le punk ne restait plus rien. Des photos jaunies et de la terre brûlée, tout au plus.
C'est exactement cela, ce sentiment glacial, ce paysage mort-né, que l'on trouve dans la cold-wave sèche comme un coup de trique d'Agent Side Grinder. "Life in Advance", dit l'un des morceaux ? N'y voir là qu'une blague morbide. S'il est bien une chose qui n'existe pas sur Irish Recording Tapes, c'est la vie. Ce qui fait un bon disque post-punk, au final ? Ce minimalisme blafard, cette économie énergie (il en reste tellement peu), ce sentiment de fin. De vie, de siècle, du monde... peu importe : le post-punk, c'est la fin. Qu'elle soit trou noir ou cul-de-sac. Parce que les Suédois d'Agent Side Grinder ont compris cela, leur album est une franche réussite.
👍👍 Irish Recording Tapes
Agent Side Grinder | Enfant terrible, 2009 (2011 pour l'édition française)
A quoi reconnaît-on un bon album de post-punk ? Qu'est-ce qui fait un disque de new-wave réussi ? Pourquoi tel sortie du genre va enthousiasmer quand d'autres vont au mieux laisser de marbre, voire ennuyer ? Certains disques s'imposent et d'autres soulèvent bien des questions. Celles-ci affluent à l'écoute du troisième LP d'Agent Side Grinder. Non parce qu'il se noie dans l'annuelle cohorte de productions post-punk/new-wave, mais bien parce qu'à la première écoute - et même à la première note - il s'impose comme un brillant exercice de genre.
Or Irish Recording Tapes ne constitue en rien un album original ; il marche dans les clous précédemment plantés par Joy Division et The Fall, sans jamais sembler trop appliqué mais sans jamais non plus s'en écarter. Et pourtant ça marche : le groupe suédois réussit là où d'autres (beaucoup), pas forcément moins cultivés ni moins sincères, se fondent dans la masse. Dès lors, impossible de ne pas se demander : pourquoi Agent Side Grinder ? Eux et pas les autres ?
D'abord, il y a la hargne. Le post-punk ne conjugue correctement que dans le soufre, la corrosion - quoi de plus logique concernant un genre qui figurait la décrépitude des années soixante-dix et de leurs utopies ? Le bon post-punk se doit d'être froid, désabusé, peut-être même un brin cynique, tout en étant nerveux (voire l'électricité épileptique de Frustration, probablement le meilleur groupe du genre en activité). Le froid, venons-y. La musique d'Agent Side Grinder, qui ne vient effectivement pas d'un pays très chaud, semble recouverte d'une épaisse couche de givre, comme déjà usée, fatiguée, rouillée. Ses compatriotes du Radio Dept. s'appliquent à délivrer une new-wave aux tons pastels ? Qu'à cela ne tienne : à l'exact opposé, Agent Side Grinder lui redonne ses couleurs ternes, passées comme sur un jean que l'on aurait oublié de retourner avant de le mettre dans la machine. Le post-punk vient d'un monde en noir et blanc, un monde qui n'est que hangars désaffectés et docks déserts, à perte de vue. Tout y est poisseux et désolé comme le futur du No Future. Sûr que le post-punk ne pouvait pas être new : après le punk ne restait plus rien. Des photos jaunies et de la terre brûlée, tout au plus.
C'est exactement cela, ce sentiment glacial, ce paysage mort-né, que l'on trouve dans la cold-wave sèche comme un coup de trique d'Agent Side Grinder. "Life in Advance", dit l'un des morceaux ? N'y voir là qu'une blague morbide. S'il est bien une chose qui n'existe pas sur Irish Recording Tapes, c'est la vie. Ce qui fait un bon disque post-punk, au final ? Ce minimalisme blafard, cette économie énergie (il en reste tellement peu), ce sentiment de fin. De vie, de siècle, du monde... peu importe : le post-punk, c'est la fin. Qu'elle soit trou noir ou cul-de-sac. Parce que les Suédois d'Agent Side Grinder ont compris cela, leur album est une franche réussite.
👍👍 Irish Recording Tapes
Agent Side Grinder | Enfant terrible, 2009 (2011 pour l'édition française)
Brillant article !
RépondreSupprimerJe vais, de ce pas, essayer d'écouter cet album.
Merci.
BBB.
"c'est quoi la vie?" est une question qui m'a toujours beaucoup fait rire (surtout par l'absence de réponse à cette question^^).
RépondreSupprimerle "post-punk" (à dire vrai, juste une étiquette fourre-tout) ne se résume pas aux succédanés de joy division, ni même à l'image que tu a l'air de lui prêter.
je ne pense pas que tu connaisses ces gars-là, par exemple:
http://youtu.be/eqa0y8gzr8Q
http://youtu.be/xFUsPx6xQd0
http://youtu.be/5y2ZZ8nS2mw
http://youtu.be/uHRvak30iEs
Si, bien sûr que je connais. Et je ne vois pas vraiment en quoi SL&G ne colle pas avec ce que j'écris. Dans le genre succédané de Joy Division ou - plus encore - de Cure, il me semble qu'un morceau comme "Cowboy" est quasiment un cas d'école (ou une caricature, selon qu'on aime ou pas - et j'ai plutôt tendance à aimer d'ailleurs). Et même si on est dans un registre plus atmosphérique et planant que ce que j'écris à propos d'ASG (ou, donc, de Joy ou The Fall, groupes qui "bastonnent" beaucoup plus) je ne trouve pas que dans l'esthétique on soit à des années lumières non plus... bref, je ne suis pas sûr de vraiment comprendre où tu veux en venir (mais il se fait tard ^^)
RépondreSupprimer> "Qu'elle soit trou noir ou cul-de-sac"
RépondreSupprimerEt trou du cul ça marche aussi?
Ok ok ------------->
Je sais même quoi dire ^^
RépondreSupprimerho, je ne pense pas avoir une idée préconçue de où je veux en venir; en fait, je crois que je m'en fous; j'écris ce que ça m'inspire comme remarque, sans plus; je n'ai pas la même perception que toi de sad lovers même si ton parallèle sur cowboys n'est pas totalement faux. mais dans ce genre de tentative de "filiation", on peut aller loin: par exemple, on peut aussi dire que le premier cure est aussi un enfant de joy, même si c'est loin d'être le cas (mais ceci n'est qu'un exemple).
RépondreSupprimerdifficile exercice que cet article, tu t'en tires pas trop mal. surtout, le titre en ligne est vraiment excellent. je vais pouvoir creuser ca, maintenant que je peux écouter de la musique au boulot (Yessssssss!)
RépondreSupprimerGMC >>> le premier Cure je ne sais pas (je crois qu'il est antérieur à Unknow Pleasures, à quelques mois près), mais Smith n'a jamais caché son adoration pour Joy Division, ni que c'était une influence majeure de Seventeen Seconds ou Faith...
RépondreSupprimerXavier >>> comment ça "pas trop mal" ? Mais fuck ya mothafucka!!! :-D
ah mais c'est ca d'habituer tes lecteurs à des articles de haut vol, ils deviennent exigeant les bougres!
RépondreSupprimerTenter de répondre à la question Pourquoi eux et pas les autres? avec des réponses purement objectives, c'est quand meme mission difficile...
(mais ceci n'est qu'un exemple).^^
RépondreSupprimerXavier >>> oui enfin, c'est un faux exercice de style car en réalité, quand tu écoutes l'album d'ASG, tu ne te poses pas tellement la question. Il fait partie (avec celui de Frustration ou celui de Spectres l'an passé) des albums de post-punk/cold-wave que tu adoptes immédiatement...
RépondreSupprimergmc >>> je sais ^^
Qu'on adapte immédiatement, mouais... Z'ont un peu tenté de faire fuir le chaland avec le premier morceau, non ? ^^
RépondreSupprimerCela dit, il est bien ce disque, oui.
En même temps on n'est pas là pour se faire des bisous et flatter la croupe à bobonne. On est post-punk, mec, yeah ! :-)
RépondreSupprimerFatigants les commentaires des désespérés de la vie... Arf ! Il est bien cet album et n'ayons pas peur de le dire.
RépondreSupprimerIndeed.
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