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On aurait pu croire qu'après un épais premier volet entièrement consacré à l'exposition, la fin de Hyperion (car Hyperion et Endymion constituent plus volontiers deux dyptiques qu'une véritable tétralogie) suivrait une progression narrative plus traditionnelle. Qu'elle serait placée sous le signe de l'action. Que toutes les zones d'ombres s'éclaireraient progressivement pour aboutir à un épilogue limpide. On était en droit de s'attendre à cela parce que ce n'est, après tout, que ce que dicte la logique romanesque. C'était sans compter sur le goût de Dan Simmons pour les constructions embrouillées et les intrigues kaléidoscopiques. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'amuse sadiquement à compliquer les choses (notez qu'il y a sans doute un peu de cela malgré tout), on ne peut pas nier que l'auteur a choisi de rejeter la facilité pour rendre sa fresque encore plus retorse, labyrinthique... profondément cinglée, somme toute.
Ainsi dès les premières pages et alors que l'on s'attend tout naturellement à retrouver nos pélerins (enfin, ce qu'il en reste) en route pour les Tombeaux du Temps, prêts à confronter le Shrike et à sauver l'univers en même temps que leurs peaux, voici que l'on se retrouve catapulté en plein coeur du gouvernement de l'Hegemony of Man, cette démocratie complexe et décadente régissant une infinité de mondes, dont la Présidente en personne décida d'envoyer les pélerins sur Hyperion. Simmons comble aussitôt l'une des principales interrogations du premier tome (on n'était pas tout à fait certains que les mystères entourant TechnoCore soient directement liés à l'intrigue principale), tout en créant un point de concordance entre Hegemony et Hyperion, par l'entremise de Joseph Severn, cybrid de John Keats, oniriquement relié à son prédécesseur dans la lignée des Keats (donc Brawne Lamia). Littéralement, Severn rêve en direct de ce que vit la détective, et le relate de manière plus ou moins exhaustive à la Présidente. Une mise en abyme un brin déstabilisante (Severn/Keats devient en quelque sorte son propre narrateur omniscient) qui relève surtout de l'astuce narrative habile : Hyperion n'étant pas, on l'a déjà compris, le genre de saga SF spectaculaire où l'action résoudra tout, Simmons contourne ainsi le principal problème qu'aurait pu lui poser The Fall of Hyperion - à savoir qu'il ne s'y passe somme toute pas grand-chose la plupart du temps ; après avoir été nichées au creux de leur mémoire, la quête des pélerins s'est désormais déplacée sur le terrain de la psychanalyse et du rêve, les faces à faces successifs avec le Shrike étant avant tout un affrontement psychologico-psychédélique. En dédoublant sa narration, ou plus précisément en choisissant de l'emboiter dans une seconde narration plus globale (le destin de Hegemony), Simmons la remet remarquablement en perspective, s'amuse même parfois à la désamorcer, et obtient un second roman par bien des aspects encore plus étrange que le premier. Et il est certain que sans cela, le pitch de base (six pékins qui marchent dans un désert poursuivis par une espèce de robot mi-divinité mi-serial killer) aurait pu rapidement lasser.
Revers de la médaille, le Shrike n'exerce plus tout à fait le même pouvoir de fasciner que dans le premier épisode, ne fût-ce que parce que l'effet de surprise s'est largement dilué. On devine assez facilement, la plupart du temps, à quel moment il va apparaître. Terrifiant dans Hyperion, il horrifie ici - la nuance n'est pas gratuite. Dans The Fall of Hyperion, la créature ancestrale (il paraît qu'Endymion développe plus longuement ses origines) brille avant tout par son incroyable cruauté et son improbable sophistication dans la torture, qu'elle soit physique ou psychologique. On en revient au bref débat que nous avions eu dans les commentaires du précédent billet, sur le thème "Dan Simmons, auteur sadique ?" ; à la lumière de The Fall of Hyperion (que contrairement à Hyperion je n'avais jamais lu), la réponse est bien évidemment "oui". Il y a une violence et un sadisme évidente dans l'utilisation faite ici du Shrike, qui n'est après tout qu'une allégorie de la mort et de la rédemption. Il pourrait aussi bien tuer d'un coup sec - on ne l'en craindrait pas moins. Mais il faut qu'il éviscère, découpe, massacre, et encore uniquement après s'être délecté de jouer avec les personnages comme avec des souris dans un labyrinthe poisseux et sordide. Il y a du grand malade assoiffé de sang chez Simmons, et une perversion profonde anime ce texte. Cela ne relève pas du jugement de valeur : si The Fall of Hyperion est un livre puissant qu'il est extrêmement difficile de lâcher avant une fin hélas un peu longue à se dénouer, c'est aussi à cause de cette transgression qui colle remarquablement à l'atmosphère apocalyptique du récit. D'une certaine manière, et non sans humour, Dan Simmons, en dépit du mysticisme croissant de son histoire, nous fait nous réjouir de la fin des temps - a contrario de toute la vague SF humaniste/progressiste. Le dyptique consacré à Hyperion et son étrange icône est si sombre, si violent, si sulfureux et si décadent qu'on a vraiment du mal à ne pas le trouver délicieux.
L'autre face du Cantos Golden Challenge, c'est chez ma sœur de blog Yueyin (à qui je souhaite un bon anniversaire au passage)
On aurait pu croire qu'après un épais premier volet entièrement consacré à l'exposition, la fin de Hyperion (car Hyperion et Endymion constituent plus volontiers deux dyptiques qu'une véritable tétralogie) suivrait une progression narrative plus traditionnelle. Qu'elle serait placée sous le signe de l'action. Que toutes les zones d'ombres s'éclaireraient progressivement pour aboutir à un épilogue limpide. On était en droit de s'attendre à cela parce que ce n'est, après tout, que ce que dicte la logique romanesque. C'était sans compter sur le goût de Dan Simmons pour les constructions embrouillées et les intrigues kaléidoscopiques. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'amuse sadiquement à compliquer les choses (notez qu'il y a sans doute un peu de cela malgré tout), on ne peut pas nier que l'auteur a choisi de rejeter la facilité pour rendre sa fresque encore plus retorse, labyrinthique... profondément cinglée, somme toute.
Ainsi dès les premières pages et alors que l'on s'attend tout naturellement à retrouver nos pélerins (enfin, ce qu'il en reste) en route pour les Tombeaux du Temps, prêts à confronter le Shrike et à sauver l'univers en même temps que leurs peaux, voici que l'on se retrouve catapulté en plein coeur du gouvernement de l'Hegemony of Man, cette démocratie complexe et décadente régissant une infinité de mondes, dont la Présidente en personne décida d'envoyer les pélerins sur Hyperion. Simmons comble aussitôt l'une des principales interrogations du premier tome (on n'était pas tout à fait certains que les mystères entourant TechnoCore soient directement liés à l'intrigue principale), tout en créant un point de concordance entre Hegemony et Hyperion, par l'entremise de Joseph Severn, cybrid de John Keats, oniriquement relié à son prédécesseur dans la lignée des Keats (donc Brawne Lamia). Littéralement, Severn rêve en direct de ce que vit la détective, et le relate de manière plus ou moins exhaustive à la Présidente. Une mise en abyme un brin déstabilisante (Severn/Keats devient en quelque sorte son propre narrateur omniscient) qui relève surtout de l'astuce narrative habile : Hyperion n'étant pas, on l'a déjà compris, le genre de saga SF spectaculaire où l'action résoudra tout, Simmons contourne ainsi le principal problème qu'aurait pu lui poser The Fall of Hyperion - à savoir qu'il ne s'y passe somme toute pas grand-chose la plupart du temps ; après avoir été nichées au creux de leur mémoire, la quête des pélerins s'est désormais déplacée sur le terrain de la psychanalyse et du rêve, les faces à faces successifs avec le Shrike étant avant tout un affrontement psychologico-psychédélique. En dédoublant sa narration, ou plus précisément en choisissant de l'emboiter dans une seconde narration plus globale (le destin de Hegemony), Simmons la remet remarquablement en perspective, s'amuse même parfois à la désamorcer, et obtient un second roman par bien des aspects encore plus étrange que le premier. Et il est certain que sans cela, le pitch de base (six pékins qui marchent dans un désert poursuivis par une espèce de robot mi-divinité mi-serial killer) aurait pu rapidement lasser.
Revers de la médaille, le Shrike n'exerce plus tout à fait le même pouvoir de fasciner que dans le premier épisode, ne fût-ce que parce que l'effet de surprise s'est largement dilué. On devine assez facilement, la plupart du temps, à quel moment il va apparaître. Terrifiant dans Hyperion, il horrifie ici - la nuance n'est pas gratuite. Dans The Fall of Hyperion, la créature ancestrale (il paraît qu'Endymion développe plus longuement ses origines) brille avant tout par son incroyable cruauté et son improbable sophistication dans la torture, qu'elle soit physique ou psychologique. On en revient au bref débat que nous avions eu dans les commentaires du précédent billet, sur le thème "Dan Simmons, auteur sadique ?" ; à la lumière de The Fall of Hyperion (que contrairement à Hyperion je n'avais jamais lu), la réponse est bien évidemment "oui". Il y a une violence et un sadisme évidente dans l'utilisation faite ici du Shrike, qui n'est après tout qu'une allégorie de la mort et de la rédemption. Il pourrait aussi bien tuer d'un coup sec - on ne l'en craindrait pas moins. Mais il faut qu'il éviscère, découpe, massacre, et encore uniquement après s'être délecté de jouer avec les personnages comme avec des souris dans un labyrinthe poisseux et sordide. Il y a du grand malade assoiffé de sang chez Simmons, et une perversion profonde anime ce texte. Cela ne relève pas du jugement de valeur : si The Fall of Hyperion est un livre puissant qu'il est extrêmement difficile de lâcher avant une fin hélas un peu longue à se dénouer, c'est aussi à cause de cette transgression qui colle remarquablement à l'atmosphère apocalyptique du récit. D'une certaine manière, et non sans humour, Dan Simmons, en dépit du mysticisme croissant de son histoire, nous fait nous réjouir de la fin des temps - a contrario de toute la vague SF humaniste/progressiste. Le dyptique consacré à Hyperion et son étrange icône est si sombre, si violent, si sulfureux et si décadent qu'on a vraiment du mal à ne pas le trouver délicieux.
L'autre face du Cantos Golden Challenge, c'est chez ma sœur de blog Yueyin (à qui je souhaite un bon anniversaire au passage)
👍👍 The Fall of Hyperion [La Chute d'Hyperion]
Dan Simmons | Firethorn Press, 1990
Arrêtez, avec tous ces 5/6, je vais me sentir mal.
RépondreSupprimer:-)
j'ai donc 3 livres de retard, c'est pire que ce que je pensais :(
RépondreSupprimerBBB. >>> quel casse-pieds :-)
RépondreSupprimerXavier >>> attends, on tient la cadence, nous, comme au bon vieux temps du Juge Ti :-)
(et encore, moi je suis relativement lent - ce bouquin m'a quasiment occupé tout le mois de mars... yueyin, elle, l'a bouffé en quelques jours...)
Dévoré tout cru, je l'ai, ce livre ! Or donc, je suis absolument d'accord avec ton billet, c'est un grand livre pervers, sanglant et apocalyptique peut être même tordu :-) , un quart de diode sous le premier pour moi à cause des 100 dernières pages mais nous en avons déjà parlé. Ce n'est pas tous les jours que ta soeur est un brin moins enthousiaste que toi (et oui je parle de moi à la troisième personne). Alors comme ça vous soupçonnez Simmons d'être un pervers sadique assoiffé de sang ? Carrément ! remarque ça se défend.
RépondreSupprimeret merci Thom :-))))
RépondreSupprimerHé, hé, de rien ^^
RépondreSupprimerThom: ah, le bon vieux temps du Juge Ti, celui où je n'avais qu'un gamin !!
RépondreSupprimerquand je pense que je ne pourrais lire vos articles que dans 6 mois, et encore, si j'arrive à les retrouver!
Je sais, c'est presque de la persécution, mais que voulez-vous !, je suis allergique au ragoût.
RépondreSupprimer;-)
BBB.
Xavier >>> ah ça. Faut faire des choix, dans la vie :-D
RépondreSupprimerBBB. >>> même d'agneau ?...
: D
RépondreSupprimerà ma décharge, je ne pouvais pas prévoir qu'il y aurait un nouveau challenge lecture sur le Golb...
Oui enfin à notre décharge, on pouvait pas prévoir que tu avais décidé de repeupler la région lyonnaise :-D
RépondreSupprimerque veux tu, Lyon manque cruellement de rockers, il faut bien que quelqu'un y remédie...
RépondreSupprimerOuais, d'ailleurs j'ai lu dans l'agenda concerts d'Interlignage qu'il y avait un concert pas dégueu ce soir, vers chez toi ;-)
RépondreSupprimeroh! et moi qui ne vais jamais sur cette page, je suis tout géné...
RépondreSupprimerpar contre le Tostaki est inondé, on s'est rabattu en catastrophe sur l'Atmosphère...
J'espère que ça s'est bien passé, au moins ;-)
RépondreSupprimerouf, je suis sur les rotules. ca c'est plutot bien passé, je vais faire un compte rendu des galères sur mon blog! tu pourras demander à Guic, pour un avis objectif. en tout cas merci pour le clin d'oeil sur interlignage...
RépondreSupprimerJe t'en prie ! Et la prochaine fois, n'hésite pas à m'envoyer un mail pour me l'annoncer à l'avance. L'agenda d'Interlignage, comme indiqué, sert aussi aux lecteurs d'Interlignage, dont tu fais partie ;-)
RépondreSupprimerIntéressante expérience. J'ai bien aimé "Hyperion", il y a longtemps. Par contre pas du tout sa suite : "Les voyages d'Endymion".
RépondreSupprimerÉcoute, c'est un peu tôt pour me prononcer mais je viens de commencer et j'ai vraiment du mal à accrocher...
RépondreSupprimerah, je viens enfin de finir (et donc de lire cet article!). j'ai vraiment eu du mal avec la fin, beaucoup plus qu'avec l'introduction que tu as semblé trouver pénible (cf ton précédent article du challenge). Ces chapitres concernant la fin de Severn/Keats sont ennuyeux à...mourir. comme en plus je ne suis pas fan de tout l'imaginaire "Mégasphère" et compagnie, mis à part quelques révélations et scènes d'action j'ai trouvé la chute d'Hyperion nettement moins bon que Hyperion.
RépondreSupprimerEn fait, je crois que c'est surtout les histoires des pélerins que j'aime, indépendament les unes des autres. C'est en cela que je me disais que Simmons avait de quoi faire 5 ou 6 bonnes Nouvelles plutot qu'une saga assez prise de tete par moment. Mais sans nul doute, je manque du bagage littéraire/philosophique (voire de la culture générale) nécessaire poiur bien appréhender l'ensemble de l'histoire...
Tu sais, moi, je suis imperméable à l'argument "j'aime pas parce que je suis pas assez cultivé". Des fois, ça peut - rarement - être valable, m'enfin dans le cas de Dan Simmons, j'y crois pas trop, je pense que tu as le droit de le taper sans retenue :-) (je ne dis pas parce qu'Endymion m'a gavé depuis ^^)
RépondreSupprimeron peut quand meme completement passer à coté d'une oeuvre par manque de références... Mais bon, si on prend les choses de manière brute, je me suis bien fait chier sur la fin. Vraiment dommage, avec les excellents personnages et le monde imaginé par Simmons, il avait de quoi faire plus passionant en se concentrant sur l'histoire plutot qu'essayer d'étaler sa culture...
RépondreSupprimerCe que je voulais dire c'est que Simmons n'était pas non plus Shakespeare, quoi. D'ailleurs vu le succès de sa série, je doute que la plupart des gens l'ayant portée aux nues aient connu toutes les références (je ne les ai d'ailleurs sans doute pas repérées toutes, je ne suis qu'un homme ordinaire ^^). A partir de là...
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