samedi 9 avril 2011

Un Bernanos pas si mineur

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Il y a deux manières distinctes d'aborder Un crime, court roman de deux cents pages à tout casser, souvent oublié pour être malencontreusement coincé entre deux œuvres majeures de l'auteur de Sous le Soleil de Satan (La Joie et Journal d'un curé de campagne). On peut le considérer comme un pont entre les deux parties de son œuvre romanesque (il se situe d'ailleurs pile au milieu de sa bibliographie, à l'orée d'une période durant laquelle Georges Bernanos va se consacrer de plus en plus à ses essais). Ou bien on peut le voir, tel qu'il l'annonce lui-même, "comme une mesure pour rien", un ouvrage mineur exécuté pour des raisons principalement pécuniaires. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, Bernanos aura ainsi, à l'instar de Faulkner à la même époque, choisi le genre policier, alors à la pointe de la mode, afin de renflouer ses caisses. Ce qui nous offre une formule toute faite et toute creuse : Un crime est le Sanctuary de Bernanos.

Quoique. Toute creuse, cela reste à démontrer. Car à dire vrai, ces deux livres présentent bien des similitudes formelles. Non que Bernanos y opère une transcendance du roman policier : par bien des aspects, il maîtrise moins son sujet que Faulkner, et reste bien plus dans les clous. Mais il parvient en revanche, comme l'auteur américain, à parfaitement appliquer ses propres obsessions (celle des curés de campagne en tête) à un genre qui peut semble, sur le papier, assez loin de son univers. Par bien des aspects, Un crime est du Bernanos pur jus : contrée reculée, personnages ambigus, figures féminines fortes et torturées. Ajoutons même que la fascination/répulsion de l'auteur pour le mensonge trouve ici sa plus belle incarnation et faisait du polar un terrain de jeu royal pour l'écrivain. On n'ira certes pas jusqu'à dire qu'il s'y en donne à cœur joie (Bernanos n'a jamais été un grand rigolo et Un crime comme tous ses romans brille par son austérité) ; il parvient cependant à construire son récit avec une intelligence et une minutie impressionnantes, partant d'un postulat basique (la nuit de son arrivée, le jeune et nouveau curé de Mégère est réveillé en pleine nuit par un coup de feu et provoque l'émoi dans le village) pour mieux multiplier les chausse-trappes, les faux-semblants et les masques en tout genre.

Étonnant, le résultat semble fort statique alors que l'action est en réalité partout, quasi invisible. Si l'intensité n'est pas la qualité première du roman, Un crime s'avère en revanche un bijou de construction labyrinthique, d'autant plus bluffante qu'on ne s'en rend compte qu'à la toute fin. Son twist final s'avère d'ailleurs à la hauteur de bien des classiques du roman dit "à énigme", très en avance sur son temps dans son esprit (Boileau & Narcejac ne commenceront à sévir qu'une vingtaine d'années plus tard mais il n'est cependant pas exclu que le premier, théoricien exceptionnel qui débuta sa "carrière solo" à peu près à cette époque, se soit partiellement inspiré du travail de Bernanos) et invitant inévitablement à la relecture tant, même une fois le pot-aux-roses dévoilé, l'auteur ne peut s'empêcher de ménager les ambigüités. C'est d'ailleurs très exactement ce que je viens de faire (le relire), puisque ce petit roman méconnu et mésestimé vient d'être opportunément réédité chez Libretto. Et je ne l'ai pas regretté - connaître le pourquoi du comment ne fait que renforcer l'admiration que suscite Bernanos.


Un crime, de Georges Bernanos (1935)

3 commentaires:

  1. J'avoue ne jamais avoir lu ce Bernanos, ci (j'ai lu, en revanche, tous les autres roman). Vous aiguisez ma curiosité, l'ami.

    BBB.

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  2. Pas trop Bernanos, personnellement, pour toutes les raisons que tu invoques comme des qualités thématiques :D Et puis bon, je trouve que ça n'a pas très bien vieilli par rapport à Mauriac par exemple.

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  3. BBB. >>> j'aime vous pousser au... crime :-)

    Lil' >>> ça ne m'étonne pas tellement venant de toi. Ceci dit, il y a des Mauriac qui ont mangé cher également...

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